T287 – 3. L’usage et le moyen probatoire

a. L’utilisation des informations recueillies
i. En cas de surveillance répressive ou mixte
  • Le but des mesures de surveillance prévue par le CPP est avant tout de récolter des informations afin de confondre un prévenu et de prouver les suspicions préalables à la mise sous surveillance. Elles peuvent ainsi être utilisées pour prouver des faits passés ou servir à la poursuite d’infractions en série s’étalant sur une période plus ou moins longue, par exemple pour les trafics de drogue[1].
  • En outre, en vertu des normes législatives fédérales et cantonales sur la police, la surveillance à titre préventif n’est pas exclue[2].
  • Selon qu’il s’agisse d’une surveillance répressive ou préventive, les normes d’application ne sont donc pas les mêmes.
  • Aux fins d’exploiter les informations recueillies pour l’enquête ou comme moyen probatoire, il est essentiel de différencier les mesures à but préventif ou de police et celles à dessein répressif ou judiciaire.
  • En théorie, la distinction entre surveillance répressive ou préventive est relativement aisée, soit elle sert à réprimer un acte délictuel donc à obtenir des indices, voire des preuves, soit elle est utile pour prévenir ou dissuader la commission d’infractions. En pratique, elle peut se confronter à quelques difficultés.
  • Dans l’hypothèse où l’autorité judicaire porte de forts soupçons sur la commission d’une infraction continue ou que la surveillance s’effectue en lien avec les actes préparatoires d’un acte délictuel non encore commis, la nature de la surveillance est à la fois préventive et répressive[3]. Dans de telles circonstances, la règle veut qu’à défaut de surveillance purement préventive et lorsqu’il y a suspicion d’actes délictueux, la législation procédurale s’applique et non la loi sur la police[4].
  • Ainsi, si la procédure prévue dans le CPP est respectée, les informations obtenues sont exploitables comme preuve.

ii. En cas de surveillance préventive
  • En cas de surveillance purement préventive, la situation est plus délicate. Actuellement, certains cantons n’ont pas légiféré sur une telle surveillance ou sont en train de le faire. Une telle surveillance dans ces cantons est donc, pour l’heure, illicite[5].
  • Par conséquent, si des données de communication sont récoltées à la suite d’une surveillance préventive qui ne peut s’appuyer sur aucune norme de police, les informations obtenues sont inexploitables nonobstant le fait qu’elles peuvent servir à élucider une infraction ou à enclencher une procédure d’enquête.
iii. En cas d’écoute ou d’enregistrement effectué par des particuliers
  • Quant aux communications écoutées, interceptées et/ou enregistrées par une personne privée, l’atteinte à la personnalité causée par la surveillance à l’insu d’autrui empêche l’utilisation de propos concernant des faits personnels, mais pas les déclarations objectives en lien avec un acte pénalement répréhensible[6].
  • Le juge étant libre de former son intime conviction sur tous les éléments administrés, les enregistrements ou les témoignages en lien avec une écoute/interception d’une communication ne sont pas inaptes à servir de preuve. Néanmoins, il est nécessaire que les enregistrements ou les dires soient fidèles à la réalité des événements et ne soient pas modifiés. En cas d’enregistrement, un expert peut donner son opinion quant à une possible transformation et, en cas de témoignage, le faisceau de preuves ne doit pas démontrer que les dires du témoin sont manifestement inexacts ou illogiques.
  • La jurisprudence a précisé que l’autorité d’instruction et/ou d’enquête peut se servire de ce type de preuve, dans toutes les hypothèses où elle-même aurait pu obtenir légalement ce moyen probatoire[7], avec la précision que la doctrine retient que la preuve est également exploitable si aucun autre moyen ne permettait de l’obtenir et sous certaines réserves, notamment liées à l’urgence[8].
b. Les données issues de la surveillance des télécommunications comme moyen de preuve
  • La surveillance des télécommunications effectuée dans le respect des normes pénales, procédurales et constitutionnelles peut apporter un grand nombre d’informations.
  • Du point de vue de l’enquête pure, les mesures de surveillance des télécommunications limitent le nombre de policiers mobilisés sur une affaire, économisent des investigations secrètes telles que les filatures et fournissent une preuve – à tout le moins en apparence, suffisamment accablante et difficilement contestable par le prévenu[9].
  • Du point de vue juridique, la mesure des techniques de surveillance ayant pour but principal de lutter efficacement et sans lacune contre la criminalité, elle peut prouver la commission de certaines infractions par la personne soupçonnée faisant l’objet de la surveillance ou la commission d’une autre infraction, voire la perpétration de l’infraction par une autre personne lorsque l’autorisation rétroactive est possible – suite à une découverte fortuite – ou pour identifier formellement un auteur individualisable par son raccordement mais pas identifiable sans la mesure de surveillance[10].
  • Concernant l’élucidation des faits relatifs à un acte délictuel, les mots, qui sont un support d’informations échangées entre deux ou plusieurs personnes, sont employés comme preuve. C’est donc l’information recueillie elle-même qui est utilisée après traitement – élimination des données relevant du secret professionnel, inutiles ou découlant d’une découverte fortuite qui ne pourrait être utilisée à défaut d’autorisation rétroactive – et est soumise à l’appréciation du juge. Pour permettre la réalisation de cet objectif, la quantité de données recueillies lors de la surveillance ne doit donc pas être trop importante pour permettre leur traitement. C’est pourquoi il est essentiel que les mesures de surveillance soient ciblées.
  • Concernant les renseignements sur les raccordements et la transmission des données permettant d’identifier les usagers (art. 13 al. 1 let. e, art. 14 al. 1 et 4 et art. 15 al. 5bis LSCPT), ils accompagnent généralement la surveillance. Ces informations sont essentielles pour déterminer de manière précise qui est vraisemblablement l’auteur (les auteurs) de l’acte délictuel. Néanmoins, ces renseignements ne doivent pas conduire l’autorité pénale à s’imaginer qu’en tout état de cause les personnes identifiées sont les auteurs. L’enquête et les circonstances de l’affaire doivent appuyer ces constatations.
  • En définitive, l’acceptation des interceptions de télécommunication en tant que moyen de preuve facilite et accroît la certitude sur l’établissement des faits et l’identité de leur(s) auteur(s).
[1] Message, CPP, p. 1235; Oberholzer, Strafprozessrechts, p. 441-442; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 435-436.

[2] ATF 134 IV 266, 279-280 = JdT 2008 IV 35, 53.

[3] Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 436-437.

[4] Message, CPP, p. 1235.

[5] Infra Partie II, Chapitre 3, I, A, 4, c, ii, n° 1355 ss.

[6] ATF 109 Ia 244, 246-247 = JdT 1984 IV 160 = SJ 1984 153; ATF 133 IV 329, 333 = JdT 2007 IV 29, 32; ATF 138 IV 169, 171; Gauthier, Audio-surveillance, p. 83; Gauthier, Enregistrement clandestin, p. 338; Godenzi, p. 335 ss.

[7] TF 6B_983/2013 du 24 février 2014, c. 3.3.1; TF 6B_ 789/2015 du 8 février 2016, c. 3.1; Godenzi, p. 264 et 314.

[8] Godenzi, p. 264 ss.

[9] Brodeur, p. 560; Commission de réforme du droit du Canada, p. 95; Cusson, Nouvelles technologies, p. 135; Giannalopoulos, Parizot, p. 252 ; Huyghe, La vie numérique.

[10] Bondallaz, protection des personnes, p. 513, 515 et 521; Huyghe, Ecoutes téléphoniques, p. 32; Jobard, Schulze-Icking, p. 102.

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