- L’utilisation délinquante des technologies et la nécessité de concourir à la bonne administration de la justice en assurant la punissabilité des auteurs d’infraction ont obligé la police, le ministère public et les tribunaux à agir. En se servant des avantages des sciences et des techniques, ils se sont procurés des nouveaux moyens d’investigation.
- En outre, il n’est plus utile de démontrer que, grâce aux nouvelles technologies, les autorités pénales bénéficient de moyens probatoires importants qui sont largement appréciés au vu de leur prétendue objectivité, les juristes omettant bien souvant que ces preuves matérielles nécessitent d’être interprétées, voire analysées et traitées par des experts.
- Ce constat, démontré tout au long de notre travail, nous amène à nous demander si les preuves issues des nouvelles technologies ne constituent dorénavant pas une matérialisation de la réalité qui équivaudrait à l’aveu ou au jugement de Dieu ayant cours respectivement dans le système procédural inquisitoire et le système procédural accusatoire.
- Après avoir établi que la valeur probante des preuves scientifiques ou techniques n’est pas toujours analysée in concreto (I.), nous verrons la problématique de la stratégie du doute utilisée par la défense dans le procès pénal (II.), et l’impact que ces divers éléments ont sur l’intime conviction du juge et sa liberté d’appréciation des preuves (III.).
I. L’importance des preuves scientifiques ou techniques
- Depuis l’introduction, en 1829, du système de la preuve morale effaçant les abus de la preuve légale, il semble que ce régime soit indiscuté et indiscutable[1]. Néanmoins, l’introduction des preuves scientifiques et techniques nous laisse entrevoir un léger retour vers la preuve légale[2].
A. La reconnaissance des nouvelles technologies comme preuve de la vérité
- Nous vivons actuellement dans un monde que nous pourrions caractériser de technologique. Autant les instruments informatiques, que les sciences forensiques ou les techniques matérielles fascinent l’opinion publique par leur objectivité et leur possibilité d’établir les faits ou d’identifier les auteurs. L’avis et la reconnaissance du quidam pour la crédibilité des nouvelles technologies n’a pas manqué d’intéresser la justice.
- En procédure pénale, grâce à leur nature physique, à la matérialisation qu’elles apportent et au degré de précision ressortant des indices scientifiques ou techniques, les nouvelles technologies ont une place privilégiée. Elles sont considérées comme des moyens de preuves plus fiables et certains que toutes autres formes d’indices ou d’éléments probatoires. Certains auteurs de doctrine décrivent même les moyens de preuves scientifiques ou techniques comme une arme absolue dont le juge use et abuse pour faire triompher la vérité.
- En outre, la communauté mondiale et certains juristes n’hésitent pas à soutenir que les indices scientifiques ou techniques sont la clé pour l’issue de tout procès pénal[3].
B. L’administration des nouvelles technologies et l’appréciation de la preuve
- Avec certitude, nous pouvons affirmer que l’aveu n’est plus la reine des preuves. Mais qu’en est-il des preuves matérielles et objectives issues des nouvelles technologies?
- Le système des preuves morales qui a cours actuellement dans notre système procédural impose de ne pas quantifier la valeur probante par avance.
- Néanmoins, l’idéologie et la croyance qu’une preuve scientifique ou technique démontre la réalité de manière quasiment infaillible poussent régulièrement le juge ou les parties à administrer ces preuves sans débattre de leur valeur.
- Hiérarchiquement, nous ne pouvons pas constater de reconnaissance probatoire plus ou moins importante en fonction des divers moyens de preuves technologiques. En revanche, les juristes – en reconnaissant un peu rapidement que ces éléments probatoires sont purement objectifs – ont tendance à les privilégier aux preuves indirectes[4]. En effet, ils estiment que ces moyens de preuves ont l’avantage de ne pas pouvoir mentir contrairement aux témoins, aux personnes appelées à donner des renseignements ou au prévenu.
- L’objectivité de la preuve technologique, la matérialisation de la démonstration probatoire et le manque de connaissances des juristes pour apprécier l’élément probatoire poussent régulièrement le juge à s’en remettre à la valeur abstraite scientifique ou technique sans apprécier la preuve dans son contexte juridique.
- Ce premier constat nous permet déjà de démontrer que l’élément principal de la preuve morale, à savoir la libre appréciation des preuves par le juge, n’a plus réellement cours lors de l’administration d’une preuve issue des nouvelles technologies.
II. La stratégie du doute ou la décrédibilisation des preuves scientifiques ou techniques
- Si le juge n’a pas les connaissances scientifiques ou techniques suffisantes pour apprécier adéquatement la valeur probante des nouvelles technologies, il n’est pas non plus en mesure de déterminer avec précision les conséquences de certains risques sur la fiabilité et la crédibilité de ces mêmes éléments de preuve.
- La défense ne manque pas de s’appuyer sur le manque de connaissances des juges concernant les nouvelles technologies pour défendre son client et éviter qu’une preuve technologique soit jugée irréfutable.
- Afin de neutraliser les hypothèses issues des nouvelles technologies, les avocats se sont intéressés aux sciences et aux techniques. Plus particulièrement, ils ont recherché les failles et les risques permettant de décrédibiliser les preuves scientifiques et techniques.
- Une preuve n’a de réelle force probante que si elle est authentique, véridique ou s’il est possible de déterminer les conséquences sur la démonstration probatoire qu’un risque ou qu’une imprécision peut avoir.
- Ainsi, face à une preuve matérielle, comme celle issue des nouvelles technologies, la défense tente de démontrer systématiquement que rien ne peut prouver qu’aucune modification, manipulation ou contamination n’a eu lieu.
- En mettant en cause la validité des preuves scientifiques ou techniques, les avocats de la défense emploient la stratégie du doute. S’il est rare de pouvoir démontrer qu’une atteinte à l’authenticité de la preuve ou à son objectivité existe réellement, il est relativement aisé de former un doute dans l’esprit du juge quant à la fiabilité de la preuve.
- Corrélativement à la difficulté de comprendre et d’apprécier une preuve par manque de connaissances scientifiques ou techniques, le juge qui se trouve face à une décrédibilisation de la preuve par la défense peine à pouvoir juger du réel impact de la faille ou du risque présenté. Il se voit alors obligé d’écarter la preuve scientifique ou technique apportée ou, à tout du moins, de limiter considérablement sa force probante.
- Ce deuxième constat renforce notre première conclusion, à savoir qu’à défaut de libre appréciation de la preuve par le juge, le système de preuve morale a évolué.
III. L’impact des preuves issues des nouvelles technologies et de la stratégie du doute sur la décision du juge
- L’administration des preuves semble dorénavant orientée vers un régime de semi-preuve légale où le juge n’est plus à même de s’en remettre à son impression personnelle, soit à son intime conviction. Consciemment ou inconsciemment, à défaut d’avoir l’aptitude et les capacités scientifiques ou techniques pour comprendre toutes les subtilités des preuves issues des nouvelles technologies, le juge se réfère bien souvent à l’avis de l’expert, à la fiabilité théorique du mode probatoire et à la reconnaissance scientifique des sciences ou techniques administrées.
- De surcroît, le manque de connaissances des magistrats dans le domaine des technologies implique également l’incapacité de ceux-ci à pouvoir déterminer si les dires de la défense adoptant la stratégie du doute sont crédibles, et quelles en seraient les conséquences pour la valeur probante.
- Bien entendu, pour l’aider dans sa tâche, le juge peut toujours recourir à un expert afin de lui expliquer les arguments de la défense ou de l’accusation, de lui fournir un avis spécialisé sur une preuve scientifique ou technique ou de l’informer sur les conséquences qu’un risque déterminé peut avoir sur le résultat scientifique ou technique.
- Cependant, cette situation ne résout pas la problématique des difficultés du magistrat à apprécier la valeur probante. En effet, en recourant à un expert pour l’aider à interpréter la valeur des nouvelles technologies, le juge entre dans un cercle vicieux où le recours à un expert est un passage obligé impliquant que la décision sur la valeur probante ne lui appartient pas à défaut de connaissances suffisantes.
- Par conséquent, en l’absence d’évaluation concrète et d’appréciation libre des preuves administrées, nous pouvons admettre que la valeur probante des indices scientifiques et techniques est fixée par la reconnaissance théorique dans le domaine considéré. A défaut de quantification au cas par cas de la valeur probante d’un élément probatoire, l’un des principes essentiels du système des preuves morales n’est plus respecté.
- Cependant, il ne s’agit pour autant pas d’un retour de la preuve légale. En effet, la valeur probatoire n’est pas fixée dans une loi, mais ressort des considérants techniques ou scientifiques. C’est pourquoi, à notre avis, la preuve scientifique peut, à l’heure actuelle, être considérée comme une semi-preuve légale, soit à mi-chemin entre une preuve morale et une preuve légale.
- Afin d’éviter la surévaluation des preuves issues des nouvelles technologies ou leur décrédibilisation – parfois – injustifiée, le juge doit pouvoir appréhender la valeur criminalistique des indices scientifiques et techniques. Pour éviter la perte du pouvoir décisionnel du juge et de sa libre appréciation des preuves – nous le verrons plus précisément dans le second chapitre –, il est indispensable de former les magistrats sur les sciences et les techniques exploitées en procédure pénale.
[1] Supra Partie I, Chapitre 1, II, A, 3, b, n° 63 ss.
[2] Supra Partie I, Chapitre 1, II, A, 2, b, n° 49 ss.
[3] Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, b, iv, n° 708-709; Supra Partie II, Chapitre 2, II, C, 1, a, i, n° 942 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, I, A, 4, a, i, n° 1254 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 4, a, n° 1587 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, II, E, 1, a, n° 1784 ss.
[4] Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, b, iv, n° 709-710; Supra Partie II, Chapitre 2, II, C, 1, a, i, n° 944 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, I, A, 4, a, i, n° 1257 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 4, a, n° 1596 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, II, E, 1, a, n° 1793 ss.