T274 – iv. La procédure de mise sous surveillance des télécommunications

  1. a) Les compétences pour ordonner et autoriser la mesure de surveillance
  • En toute hypothèse – surveillance en temps réel ou rétroactive–, le ministère public est compétent pour ordonner la surveillance des télécommunications (art. 269 al. 1 CPP) et/ou pour obtenir les données relatives au trafic, à la facturation et à l’identification des usagers (art. 273 al. 1 CPP).
  • La transmission des communications et la collecte des données accessoires constituant une ingérence plus ou moins grave à la sphère privée des individus, l’ordre de surveillance doit être avalisé par une autorité judiciaire indépendante. La compétence pour autoriser une surveillance est confiée au tribunal des mesures de contrainte (art. 18, 272 al. 1, 273 al. 2 et 274 CPP).
  1. b) La procédure d’autorisation et autorisation-cadre
  • La surveillance des télécommunications débute par l’ordre donné par le ministère public sous forme d’une décision faisant généralement suite à la requête des enquêteurs et sur la base du rapport de police. A noter qu’à ce stade, aucune motivation n’est exigée pour ordonner la surveillance.
  • L’ordre de surveillance – contenant toutes les informations nécessaires pour mettre en œuvre la surveillance (art. 15 et 23 OSCPT) – est alors adressé par poste, télécopie ou par tout moyen de transmission sécurisé, voire oralement en cas d’urgence au SCPT qui fait office d’autorité intermédiaire entre les divers fournisseurs existants et les organes de poursuite ou d’instruction pénale (art. 5 al. 1 OSCPT).

  • Même si elle est directement exécutoire, la décision du ministère public a une durée de validité limitée à vingt-quatre heures, calculée à la minute près. Dans ce délai, qui commence à courir dès la transmission de l’ordre de surveillance au SCPT, le ministère public doit requérir l’autorisation de surveillance auprès du tribunal des mesures de contrainte (art. 274 al. 1 CPP).
  • Le régime d’autorisation (art. 273 al. 2 et 274 CPP) assure une meilleure protection des personnes concernées par la surveillance. En effet, la mesure de contrainte étant effectuée secrètement et s’immisçant dans la vie sociale des individus, la personne concernée ne peut pas recourir immédiatement contre la décision du ministère public[1]. Grâce à la validation ou invalidation de l’ordre par une autorité judiciaire, deux autorités vérifient le respect des conditions de mise sous surveillance ce qui doit permettre d’éviter les abus.
  • A ce stade de la procédure de mise sous surveillance, la demande de l’autorité chargée de l’enquête doit contenir un exposé des motifs en fait et en droit qui explique notamment en quoi les conditions de mises sous surveillance sont données et pourquoi tel ou tel raccordement doit être surveillé (art. 274 al. 1 let. b CPP). Si l’individu concerné par la surveillance change de raccordement à intervalles rapprochés – à partir de trois changements ou usage de trois numéros aux cours des derniers mois[2] –, une autorisation-cadre peut être demandée (art. 272 al. 2 CPP), ce qui réduit notablement les charges administratives de l’autorité chargée de l’enquête.
  • En outre, pour étayer sa demande, le ministère public fournit les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé pour ordonner la surveillance, ainsi qu’éventuellement les éléments recueillis durant les premières vingt-quatre heures[3].
  • La décision d’autorisation intervient après vérification par le tribunal des mesures de contrainte du respect des conditions de l’art. 269 CPP, mais non de son opportunité[4]. La Cour rend sa décision sous forme d’une ordonnance écrite et motivée dans les cinq jours qui suivent la transmission de l’ordre de surveillance au SCPT. Etant précisé que le premier jour n’est pas compté (art. 44 al. 1 LTF) et que le délai est respecté si la décision d’autorisation est transmise et non reçue dans les cinq jours.
  • Le tribunal des mesures de contrainte peut approuver ou refuser la mesure de surveillance. En cas d’autorisation, l’exécution de la mesure peut naturellement se poursuivre, alors qu’en cas de refus d’autoriser la surveillance, la mesure de contrainte doit immédiatement cesser. Le ministère public doit, dans ce cas, communiquer au prévenu ainsi qu’aux tiers ayant fait l’objet d’une surveillance les motifs, le mode et la durée de la surveillance (art. 279 al. 1 CPP)[5].
  • Relevons encore que le tribunal des mesures de contrainte peut également assortir sa décision de conditions, approuver provisoirement la mesure ou demander des compléments (art. 274 al. 2 CPP). Il peut en outre indiquer si des mesures spécifiques visant à sauvegarder le secret professionnel doivent être prises, voire si la possibilité d’un branchement direct est acceptable (art. 274 al. 4 CPP). Dans ces hypothèses, la motivation de la décision d’autorisation est accrue[6].
  • En complément de la surveillance, une demande de renseignements est souvent formulée (art. 14 LSCPT et art. 19-22 et 27 OSCPT). Ceci permet à l’autorité d’investigation et judiciaire d’identifier le ou les titulaires de numéros téléphoniques ou d’adresses électroniques.
  1. c) L’exécution de la mesure
  2. Le Service de surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (SCPT)
  • L’organe d’exécution de la surveillance de la correspondance fait exception aux autres mesures de contrainte. Alors qu’en règle générale, la police est chargée d’exécuter ces mesures, la LSCPT donne la compétence au SCPT rattaché administrativement au DFJP (art. 2 al. 1 LSCPT et art. 3 al. 1 OSCPT).
  • Après s’être assuré notamment que l’acte délictuel fait partie de la liste des infractions concernées par la surveillance des télécommunications et que l’ordre émane du ministère public (art. 13 al. 1 let. a LSCPT), le SCPT donne suite à l’ordre de surveillance. L’examen de l’ordre de surveillance est purement formel et ne saurait être le lieu d’un contrôle des conditions normatives, notamment la subsidiarité ou la proportionnalité[7]. Le service n’a donc qu’un rôle d’exécutant[8].
  • En revanche, si le SCPT constate un vice dans la décision du ministère public, il en informe directement l’autorité judiciaire et, au besoin, demande qu’aucune donnée ne soit transmise par les fournisseurs de services de télécommunications et/ou d’accès internet (art. 13 al. 1 let. a LSCPT).
  • Avant ou après autorisation de la surveillance, le SCPT détermine quelles mesures d’ordre technique et organisationnel doivent être mises en œuvre dans le cas particulier (art. 13 al. 1 let. b LSCPT et 17 al. 1 et 25 al. 1 OSCPT). Il communique les directives aux fournisseurs de services (art. 13 al. 1 let. b LSCPT).
  • En outre, le SCPT reçoit par déviation les communications qui transitent par le raccordement ou l’accès internet surveillé (art. 13 al. 1 let. c LSCPT). Cette mesure permet au service d’enregistrer les communications et les données de facturation utiles à la surveillance sur des supports de données ou des documents qu’il transmet au ministère public. Il réceptionne également les données accessoires relatives au trafic, à la facturation et à l’identification des usagers (art. 13 al. 1 let. e LSCPT). Lors d’un branchement direct, il veille à son installation mais n’enregistre en aucun cas les communications (art. 13 al. 1 let. d). Pour le surplus, il veille à la bonne exécution de l’ordre et de l’autorisation de surveillance.
  1. Les fournisseurs de services de télécommunication et d’accès internet
  • Les fournisseurs de services de télécommunication, d’accès internet, voire les hébergeurs[9] sont les deuxièmes acteurs de l’exécution de la mesure de surveillance des télécommunications. C’est à eux que revient l’exécution des mesures techniques contenue dans la directive du SCPT.
  • En outre, ils doivent assumer un certain nombre d’obligations. Leur principale tâche est de retenir les informations du raccordement surveillé – surveillance en temps réel –, conserver les données relatives au trafic et à la facturation durant six mois – surveillance dite rétroactive – et transmettre au SCPT toutes les informations nécessaires à l’enquête (art. 15 al. 1 LSCPT).
  • Corrélativement à ce qui prévaut pour le SCPT, les fournisseurs de services de télécommunication n’ont pas le pouvoir de contester la légalité d’une mesure de surveillance ou encore son opportunité[10]. Ils ne sont donc également que des exécutants et sont obligés de transmettre les informations couvertes par un ordre de surveillance.
  1. d) La levée de la surveillance
  • L’exécution de la mesure de surveillance, corrélativement la mesure elle-même, prend fin immédiatement lorsque le ministère public renonce à l’exécution, les conditions requises pour l’application de la mesure ne sont plus remplies (art. 275 al. 1 let. a CPP) – par exemple parce que la surveillance a permis d’écarter les graves soupçons initiaux ou parce que l’infraction considérée est hors liste – ou parce que les conditions procédurales n’ont pas été respectées, voire parce que l’autorisation a été refusée (art. 275 al. 1 let. b CPP).
  • En dehors de ces hypothèses, l’autorisation pour la surveillance en temps réel est octroyée durant trois mois à compter de sa mise en œuvre technique et se compte à la minute près (art. 274 al. 5 CPP)[11]. Cependant, pour autant que la proportionnalité soit respectée et que la demande de prolongation soit motivée par le ministère public (art. 274 al. 5 CPP), un renouvellement de l’autorisation est possible pour des périodes de trois mois.
  • En outre, lorsque les soupçons sont confirmés et qu’il existe suffisamment d’éléments pour justifier une arrestation, l’autorité d’enquête doit intervenir et la surveillance est, par conséquent, interrompue.
  • Pour ce qui concerne la surveillance rétroactive, l’art. 273 al. 3 CPP prévoit l’obtention des informations pouvant avoir six mois d’ancienneté. Ce délai semblait n’être fixé que dans le dessein de ne pas imposer aux fournisseurs de services de télécommunication une conservation trop longue[12].
  • Par conséquent, la doctrine était d’avis que la prescription de durée d’une demi-année est une simple prescription d’ordre qui n’empêche pas le fournisseur du service de télécommunication ou d’accès internet à fournir des données sur plus de six mois[13]. Dès lors, les données accessoires de plus de six mois auraient également été exploitables comme moyen probatoire (art. 141 al. 3 CPP).
  • Pendant longtemps, le Tribunal fédéral a laissé cette question ouverte indiquant, toutefois, que les infractions commises au moyen d’Internet bénéficient d’une disposition procédure spéciale, comme nous le verrons[14]. Cela étant, le Tribunal fédéral en a décidé autrement, aussi longtemps que le législateur n’aura pas modifié la lettre de la loi. Dans un arrêt récent, notre Haute cour a déclaré que les données secondaires ne pouvaient être ordonnées que pour une durée de six mois, même si le fournisseur a conservé les données plus longtemps en arrière[15].
  1. e) La communication au prévenu et aux tiers sujets de la surveillance
  • Au plus tard dès la clôture ou la suspension de la procédure préliminaire (art. 318 CPP) correspondant au terme de la mesure de surveillance, le magistrat verse au dossier les résultats ou informations obtenues et avertit les personnes concernées – auteurs présumés et tiers dont le raccordement ou l’accès a été surveillé, ce qui exclut les correspondants de la personne surveillée[16] – qu’elles ont fait l’objet d’une surveillance des télécommunications (art. 279 al. 1 CPP). Le recueil des données accessoires est également soumis à l’obligation de communication.
  • Cette obligation de communication vise à permettre aux personnes concernées par la surveillance de faire valoir leur droit de recours effectif dont dispose tout être humain impliqué dans une procédure[17] (art. 13 CEDH, art. 14 § 5 Pacte II, art. 32 al. 3 Cst et art. 393 à 397 CPP). C’est pourquoi, le ministère public doit informer lesdites personnes de la forme de la surveillance, des motifs ayant déterminés la surveillance, la méthode technique et la durée de la surveillance (art. 279 al. 1 CPP). A noter que l’exigence de communication ne fait aucune distinction entre les cas où les données résultant de la surveillance sont utilisées comme preuve et ceux où elles ne le sont pas, puisque l’un dans l’autre, il y a eu atteinte au droit individuel (art. 8 § 1 CEDH, art. 17 § 1 Pacte II et 13 al. 1 Cst)[18].
  • Nonobstant le devoir de communication au plus tard lors de la clôture de la procédure préliminaire, il est possible de différer l’information sur la surveillance, voire d’y renoncer (art. 279 al. 2 CPP).
  • En effet, si les informations ne sont pas utilisées comme preuve et que de différer ou de renoncer est utile et indispensable pour préserver un intérêt prépondérant – enquête en cours, maintien de la sécurité publique, lutte contre le crime organisé, etc. –, le tribunal des mesures de contrainte peut accorder sur demande que la communication ne soit pas réalisée au sens de l’alinéa 1er de l’art. 279 CPP.
[1] Message, LSCPT, p. 3691.

[2] Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 4 N 37; Jeanneret, Kühn, p. 313; Schmid, Praxiskommentar, art. 271 N 4.

[3] Sträuli, p. 144.

[4] CR-CPP-Bacher, Zufferey, art. 274 N 9.

[5] Infra Partie II, Chapitre 3, I, A, 2, c, iv, e) , n° 1197 ss.

[6] Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 7 N 19.

[7] ATF 130 II 249, 253-254; Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 11 N 2; Jeanneret, Kühn, p. 315;  Heiniger, n° 8-9; Message, LSCPT, p. 4241; Pitteloud, p. 446.

[8] ATF 130 II 249, 254; Jeanneret, Kühn, p. 315; Pitteloud, p. 446.

[9] TF 6B_766/2009 du 8 janvier 2009, c. 3.4.

[10] ATF 130 II 249, 254; Heiniger, n° 11.

[11] Moreillon, Parein-Reymond, art. 274 N 19; Sträuli, p. 129.

[12] Message, CPP, p. 1233.

[13] Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 5, n° 21; Perrier Depeursinge, art. 273, p. 357; StPO-Hansjakob, art. 273, n° 14.

[14] ATF 139 IV 98,101-102 = JdT 2014 IV 3, 6-7; Perrier Depeursinge, art. 273, p. 357. Infra Partie II, Chapitre 3, A, III, A, 3, ii, n° 2060.

[15] ATF 139 IV 195, 197.

[16] Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 10 N 24 et 28; Hauser, Schweri, Hartmann, p. 361.

[17] Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 10 N 10; Oberholzer, Strafprozessrechts, p. 429; Perrier Depeursinge, art. 279, p. 363.

[18] ATF 109 Ia 273, 298-303 = JdT 1985 I 616, 618; ATF 123 IV 236, 241 et 244 = JdT 1999 IV 76, 76 et 79; ATF 138 I 6, 33-34.

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