T280 – v. L’exploitation des données recueillies

  • L’écoute téléphonique et l’interception des communications en général fournissent toute une série d’informations. Elles peuvent être protégées par le secret professionnel, ne présenter aucun rapport avec les faits à élucider, découler d’une surveillance non-autorisée, faire partie de ce qu’on nomme les découvertes fortuites ou être utiles à la découverte de la vérité matérielle. La législation suisse différencie toutes ces catégories de données pouvant être issues de la surveillance des télécommunications. En principe, seules les informations obtenues qui ont trait à l’enquête peuvent être exploitées[1].
  1. a) La protection du secret professionnel
  • La surveillance des télécommunications doit préserver le secret professionnel (art. 271 al. 1 CPP cum 170 à 173 CPP et 321 CP), soit toutes personnes bénéficiant du secret de fonction, du secret professionnel, de la protection des professionnels des médias ou pouvant invoquer un devoir de discrétion[2]. Le régime de surveillance institué par l’art. 271 CP est un régime spécial dès lors que cette catégorie de personnes peut bénéficier du droit de refuser de témoigner.
  • Dans le dessein d’éviter que le prévenu ne puisse bénéficier de la protection reconnue au détenteur du droit de refuser de témoigner (art. 170 à 173 CPP), les bénéficiaires du secret peuvent faire l’objet d’une surveillance des télécommunications aux mêmes conditions requises pour la surveillance de tout un chacun, et ceci dans quatre hypothèses. La mesure de contrainte est possible: si le prévenu est détenteur du secret professionnel et que des raisons particulières l’exigent (art. 271 al. 2 CPP)[3], si le prévenu se sert de manière active du raccordement téléphonique ou informatique d’un tiers soumis au secret professionnel (art. 270 let. b ch. 1 CPP), si le tiers reçoit des communications déterminées pour le compte du prévenu ou qui émanent du prévenu (art. 270 let. b ch. 2 CPP), ou si une personne sous écoute converse avec un interlocuteur dépositaire du secret, à ce sujet la question de l’exploitabilité des données recueillies doit être analysée de cas par cas après analyse (art. 271 al. 3 CPP).

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T274 – iv. La procédure de mise sous surveillance des télécommunications

  1. a) Les compétences pour ordonner et autoriser la mesure de surveillance
  • En toute hypothèse – surveillance en temps réel ou rétroactive–, le ministère public est compétent pour ordonner la surveillance des télécommunications (art. 269 al. 1 CPP) et/ou pour obtenir les données relatives au trafic, à la facturation et à l’identification des usagers (art. 273 al. 1 CPP).
  • La transmission des communications et la collecte des données accessoires constituant une ingérence plus ou moins grave à la sphère privée des individus, l’ordre de surveillance doit être avalisé par une autorité judiciaire indépendante. La compétence pour autoriser une surveillance est confiée au tribunal des mesures de contrainte (art. 18, 272 al. 1, 273 al. 2 et 274 CPP).
  1. b) La procédure d’autorisation et autorisation-cadre
  • La surveillance des télécommunications débute par l’ordre donné par le ministère public sous forme d’une décision faisant généralement suite à la requête des enquêteurs et sur la base du rapport de police. A noter qu’à ce stade, aucune motivation n’est exigée pour ordonner la surveillance.
  • L’ordre de surveillance – contenant toutes les informations nécessaires pour mettre en œuvre la surveillance (art. 15 et 23 OSCPT) – est alors adressé par poste, télécopie ou par tout moyen de transmission sécurisé, voire oralement en cas d’urgence au SCPT qui fait office d’autorité intermédiaire entre les divers fournisseurs existants et les organes de poursuite ou d’instruction pénale (art. 5 al. 1 OSCPT).

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T272 – iii. Les objets de la surveillance de la correspondance par télécommunication

  • Comme précédemment énoncé[1], tous les types de correspondances sont concernés par la surveillance secrète par poste et télécommunications: ligne fixe ou mobile, bipeur, connexion internet, etc. L’objet de la surveillance des télécommunications est par conséquent large.
  • Au sens de l’art. 270 CPP, la surveillance doit notamment porter sur un raccordement de télécommunication. Les fournisseurs des systèmes de télécommunication dans leur ensemble sont donc concernés par l’application d’une surveillance des correspondances, notamment les entreprises soumises à concession ou à l’obligation d’annoncer qui fournissent des raccordements téléphoniques ou des accès à Internet (art. 1 al. 2 LSCPT)[2].
  • L’art. 270 CPP détermine en outre quels raccordements de télécommunication peuvent être surveillés.
  • En premier lieu, la surveillance peut être ordonnée dans un but d’investigation contre un prévenu. Le prévenu (art. 111 CPP) est la personne contre laquelle il existe de graves soupçons de commission d’un certain type d’infraction – surveillance rétroactive ou en temps réel pour les données accessoires – ou d’une infraction listée – surveillance en temps réel des communications – en tant que participant principal ou accessoire[3].
  • Cette définition constitue une limite suffisante contre les fishing expeditions. Elle exclut également les possibilités de surveiller des auteurs inconnus non-individualisables.
  • Par contre, la surveillance d’un raccordement d’un auteur non-identifiable mais individualisable est possible s’il est prouvé que l’utilisateur du téléphone – par exemple, du téléphone mobile – est probablement l’auteur d’une infraction[4]. Dès lors, ce qui importe c’est que le prévenu soit le titulaire ou le co-titulaire et fasse lui-même usage du raccordement devant être mis sous surveillance.
  • En second lieu, le raccordement d’un tiers peut faire l’objet d’une surveillance dans deux cas de figure: le prévenu utilise le raccordement comme s’il s’agissait du sien (art. 270 let. b ch. 1 CPP), ou le tiers reçoit des communications pour le compte du prévenu ou de la part de ce dernier (art. 270 let. b ch. 2 CPP)[5].
  • Pour surveiller le raccordement d’un tiers, il est obligatoire que l’autorité ait des indices objectifs laissant penser que le prévenu en fait usage soit directement, soit indirectement ou par personne interposée[6]. A cet égard, le Tribunal fédéral a estimé que le raccordement d’une partie plaignante pouvait faire l’objet d’une surveillance rétroactive, si tant est que les données servent directement à l’élucidation de l’infraction[7].
  • En outre, bien que le CPP ne l’exprime pas explicitement, les raccordements publics – cabines téléphoniques notamment – ou anonymes – carte SIM au nom d’autrui, par exemple d’une entreprise – sont assimilables aux raccordements de tiers[8]. La surveillance de ces derniers raccordements pouvant toucher la sphère privée d’un nombre conséquent de personnes, le ministère public est en droit, voire dans l’obligation, de ne pas exploiter les données dont la voix n’est pas identifiable comme celle du ou des prévenus, ou de tiers en lien avec l’enquête[9].

 

[1] Supra Partie II, Chapitre 3, I, A, 1, a, n° 1105.

[2] Biedermann August, p. 79; Sträuli, p. 95.

[3] CR-CPP-Bacher, Zufferey, art. 269 N 10; Sträuli, p. 131.

[4] CR-CPP-Bacher, Zufferey, art. 270 N 7; Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Wolter, p. 258; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 448.

[5] ATF 138 IV 232, 234 et 239 = JdT 2013 IV 200; TF 1B_563/2012 du 6 novembre 2012, c. 4 et 6.1-6.2; TPF 2007 13, 14-15; Biedermann August, p. 84; Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 229; Jeanneret, Kühn, p. 310; Perrier Depeursinge, art. 270, p. 353-354; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 621; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 448; Riedo, Fiolka, Niggli, p. 320; Sträuli, p. 133-135. A contrario Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 4 N 10.

[6] Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Wolter, p. 258; Jean-Richard-dit-Bressel, BÜPF, p. 47; Message, CPP, p. 1231; Sträuli, p. 134-135.

[7] ATF 142 IV 34, 39-41.

[8] CR-CPP-Bacher, Zufferey, art. 270 N 16; Message, CPP, p. 1231; Métille, Thèse, p. 170; Perrier, Vuille, p. 163; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 621; Pitteloud, p. 446; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 448.

[9] Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Wolter, p. 259.

T269 – ii. Les conditions d’application

  1. a) Pour la surveillance des communications
  • Dans le cadre de la surveillance en temps réel du contenu des communications, l’art. 269 CPP prévoit quatre conditions cumulatives pour qu’une surveillance puisse être ordonnée.
  1. L’existence de graves soupçons
  • Afin de respecter la présomption d’innocence, l’autorisation de la surveillance dépend tout d’abord de la présence de graves soupçons pesant sur la personne dont le raccordement doit être surveillé suite à un comportement punissable et prévu dans la liste exhaustive des infractions (art. 197 al. 1 let. b CPP et 269 al. 1 let. a et al. 2 CPP). La notion de « graves soupçons » s’entend autant en lien avec une infraction consommée, tentée, de commission ou d’omission, intentionnelle ou par négligence[1].
  • Une prévention suffisante existe lorsque les soupçons ont atteint une certaine intensité comparativement au « fortement soupçonné » de l’art. 221 al. 1 CPP justifiant la mise en détention provisoire. En théorie, seule la gravité objective de l’infraction et la probabilité que le ou les auteurs utilisent un moyen de communication pour commettre le forfait sont les critères déterminants pour faire figurer une infraction dans la liste[2]. Quant à la notion de « graves soupçons » – simple rappel d’une des conditions de principe des mesures de contrainte (art. 197 al. 1 let. b CPP) –, elle se réfère à l’intensité des indices concrets que la personne concernée par la surveillance du raccordement a commis l’une des infractions autorisant la surveillance[3]. En somme, les charges reposant sur les faits, des déclarations de témoins ou d’autres sources doivent être vérifiables et donc objectivement fondées pour permettre la surveillance[4].
  • A noter que les exigences sont nettement moindres en ce qui concerne la surveillance dite rétroactive, étant donné que le contenu de la surveillance n’est pas connu et donc que l’atteinte aux droits fondamentaux est de moindre importance.
  • La nécessité d’avoir des soupçons importants permet de respecter tant le principe de proportionnalité que de prévisibilité. L’accomplissement de la première condition assure en outre une limitation suffisante contre les opérations de fishing expeditions et évite que le CPP puisse servir de base légale à une mesure de surveillance préventive qui sort du cadre de cette loi[5].

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T268 – i. Le champ d’application

  • Les art. 269 ss CPP s’appliquent pour toutes les surveillances des correspondances qui sont ordonnées et exécutées dans le cadre d’une procédure pénale fédérale ou cantonale pendante, exception faite des cas de recherche d’urgence des personnes disparues (art. 1 al. 1 let. c et 3 LSCPT). Par renvoi, elles peuvent également être exécutées dans le cadre d’une demande d’entraide pénale (art. 1 al. 1 let. a et b LSCPT).
  • Le Code de procédure pénale, contrairement aux législations cantonales en matière de police, ne prévoit en revanche pas la possibilité d’effectuer une surveillance préventive[1]. Cette interdiction doit toutefois être nuancée. Lorsque la surveillance peut prévenir indirectement une infraction, notamment lorsque l’activité délictueuse se poursuit dans la durée[2], ou qu’elle permet d’élucider des infractions futures, notamment pour prouver la réalisation de l’aggravante du métier[3], elle peut être licite. En effet, les informations obtenues concernent bien de futures infractions, mais la mesure de contrainte permet en premier lieu de mettre un terme aux activités délictueuses[4].
  • En outre, la législation fédérale autorisant la surveillance que dans le cadre d’une procédure pénale pendante, la surveillance d’un condamné après l’entrée en force du jugement – que ce soit en cas d’évasion ou pour débuter sa peine – n’est pas admis par le Code de procédure pénale[5]. En effet, une telle surveillance est une pure mesure de police relevant de la compétence des cantons.

 

[1] Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 1 N 4; Schmid, Praxiskommentar, art. 269 N 7.

[2] Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 1 N 4; Oberholzer, Strafprozessrechts, p. 420; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 446; Schmid, Praxiskommentar, art. 269 N 6-7.

[3] Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 446.

[4] Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 3 N 4.

[5] Eicker, Huber, p. 181; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 441-442; Schmid, Praxiskommentar, art. 269-279 N 2; StPO-Hansjakob, art. 269 N 4.

T266 – c. Les normes fédérales élémentaires à la surveillance répressive des télécommunications

  • Les mesures de surveillances, plus spécifiquement les mesures consacrées à la surveillance par poste et télécommunication sont définies aux articles 269-279 CPP. Ces dispositions abrogent les art. 3 à 10 aLSCPT dont elles s’inspirent largement. Afin d’harmoniser les procédures de mise en œuvre des mesures de contrainte et pour clarifier certains points, voire remédier aux défauts de l’aLSCPT, quelques différences existent néanmoins entre les conditions de mises sous surveillance anciennement prévues par la LSCPT et celles du CPP[1].
  • Notons encore qu’à défaut de base légale prévoyant la procédure d’exécution ou de contrôle de la surveillance dans le CPP, la LSCPT reste en vigueur sur ces points.
[1] CR-CPP-Bacher, Zufferey, art. 269-281 N 2.