T087 – C. Les constatations hybrides

  • Lorsque le juge aurait pu observer personnellement et déduire seul la force probante d’une preuve, mais, par manque de connaissances spécifiques ou par économie de procédure, un intermédiaire – expert ou rédacteur d’un procès-verbal – est appelé à participer à l’interprétation ou à la récolte des preuves, la preuve matérielle n’est plus directe. Ces preuves fournies en partie par les choses et en partie par les personnes se situent entre les constatations matérielles des faits et les constatations médiates.
  • Nous pouvons regrouper dans la catégorie des constatations hybrides les indices devant être interprétés (1.) et les procès-verbaux relatifs à la phase d’enquête ou d’instruction ainsi qu’à la recherche de preuve (2.).

1. L’expertise

  • Au vu de l’importance de l’expertise dans le cadre de notre travail, ce mode probatoire fait l’objet d’un chapitre distinct[1]. Cela étant, la présente partie énumérant les divers moyens de preuves, nous nous devons d’expliquer, dans la présente partie, en quoi ce moyen de preuve est une constations hybride. Pour le surplus, nous renvoyons le lecteur à la partie supra précitée.
  • L’indice se définit comme un fait, un élément ou une circonstance se rapportant à l’infraction et permettant de déterminer l’existence ou les modalités de la perpétration d’un acte délictuel ainsi qu’éventuellement l’identité d’un suspect ou d’un prévenu. Il peut s’agir d’indices matériels tirés de la conduite ou de l’attitude d’une partie ou d’un témoin, d’objets et de traces recueillis sur les lieux et/ou sur les personnes, ou d’indices comportementaux.
  • Contrairement aux indices matériels, les indices comportementaux peuvent être constatés et interprétés par le seul raisonnement du juge, notamment en vérifiant un alibi. L’indice matériel requiert généralement des connaissances spécifiques approfondies pour être interprété[2].
  • Lors de l’analyse d’un indice matériel, le recours à l’expert peut être considéré comme un passage obligatoire pour comprendre et établir un fait[3]. L’expert joue le rôle d’intermédiaire entre une preuve normalement directe – pièce à conviction, trace ou objet découvert – et ce qu’elle démontre en finalité. Par exemple, trouver une trace de sang n’est en soi pas une preuve, il faut encore l’analyser et la traiter pour déterminer si elle identifie un éventuel suspect.
  • Ainsi, lorsqu’une preuve matérielle nécessite le recours à un expert pour la faire « parler », il ne s’agit plus d’une preuve directe, mais d’une preuve hybride[4]. Il nous faut spécifier que l’appel à un spécialiste ne rend pas la preuve indirecte. En effet, il serait erroné de considérer la valeur de la parole d’un expert indépendant dont la nomination est conditionnée au respect de dispositions légales strictes[5] à celle du prévenu, d’un témoin ou d’une personne appelées à donner des renseignements pouvant avoir un parti pris dans l’affaire.
  • Depuis quelques années, cette preuve par indice matériel a connu un essor considérable en matière pénale, ce qui s’explique par la variété infinie des indices et des progrès des techniques d’interprétation[6]. Conséquemment, l’expertise s’est immiscée en procédure pénale pour confirmer scientifiquement les dires d’une personne ou identifier un individu[7].
  • La conclusion du rapport d’expertise n’a juridiquement pas de valeur probatoire, il s’agit d’un simple avis technique soumis à la libre appréciation du juge[8]. Cette liberté offerte au magistrat lui permet de déroger à la conclusion de l’expertise, si, d’un point de vue juridique, il peut justifier sa décision[9]. Naturellement, nous pourrions nous interroger s’il existe réellement une autonomie entre les conclusions de l’expert et le choix du juge. Nous laissons la question ouverte à ce stade de l’analyse, l’expertise et les nouvelles technologies étant au cœur de notre deuxième partie et de notre conclusion.

 

2. Les procès-verbaux

  • En procédure pénale, tous les actes de procédure doivent être consignés dans un procès-verbal comme l’impose l’obligation de documenter faisant partie intégrante de la bonne tenue des dossiers (art. 100 CPP)[10] et du droit de consultation (art. 107 CPP), extensivement du droit d’être entendu[11].
  • Aux articles 76 à 79, le Code de procédure pénale traite des principes généraux relatifs à l’obligation de documenter, plus précisément des exigences concernant la tenue des procès-verbaux. Tous les actes de procédure pénale doivent être consignés de manière appropriée et être versés au dossier. Le procès-verbal retrace normalement dans l’ordre chronologique tous les faits accomplis s’étendant de la procédure d’enquête de police jusqu’à l’entrée en force du jugement permettant un contrôle a posteriori des actes de procédure[12].
  • De manière générale, le préposé au procès-verbal – membre de la police judiciaire, ministère public, magistrat ou greffier – relate par écrit les infractions constatées et les résultats des opérations effectuées avec leurs déroulements[13]. Les procès-verbaux sont des actes authentiques témoignant des observations visuelles ou auditives dont le fonctionnaire a pris personnellement connaissance. Ces écrits peuvent être utilisés – complètement ou en partie – pour établir un fait nécessaire à la détermination de l’infraction ou de la culpabilité du prévenu.
  • Le procès-verbal de procédure (art. 77 CPP) sert à documenter les diverses phases de procédure. Il s’agit des procès-verbaux de confrontations (art. 146 al. 2 CPP), d’inspections ou de constatations (art. 192 ss CPP), de perquisitions (art. 244 ss CPP), de séquestres (art. 264 ss CPP), de surveillances de la correspondance par poste et télécommunication (art. 269 ss CPP), d’observations (art. 282 ss CPP), d’investigations secrètes (art. 285a ss CPP) et de recherches secrètes (art. 298a ss CPP)[14]. Ces procès-verbaux consignent le plus fidèlement possible notamment la nature de l’acte, le lieu, le contenant, les objets découverts lors de la perquisition, de la saisie, l’identité des personnes présentes, les conclusions des parties, les observations, etc.[15].
  • Concernant les procès-verbaux suite à une inspection, dans le cadre des constatations hybrides, il ne s’agit pas de retenir les procès-verbaux faisant état d’observations perçues par le juge, mais uniquement des procès-verbaux rédigés suite au transport sur les lieux de l’infraction sans que le juge soit présent et donc sans qu’il ne puisse personnellement constater les éléments probatoires.
  • Le procès-verbal des auditions (art. 78 CPP) regroupe les informations sur le déroulement et le contenu des interrogatoires et témoignages[16]. La rédaction de ces procès-verbaux doit être faite chronologiquement et directement après la déposition orale, soit séance tenante (art. 78 al. 1 CPP). Suivant la pratique adoptée par les cantons, le Code de procédure pénale suisse n’exige pas une retranscription textuelle des questions posées et des réponses apportées[17]. La suppression de la question et la consignation unique de la réponse ou le résumé de plusieurs réponses est acceptable. Ce procédé peut poser problème quant à la fiabilité de la retranscription, il n’est jamais évident de synthétiser un dire sans lui ôter – du moins en partie – sa substance. C’est pourquoi, l’art. 78 al. 3 CPP précise que les questions et réponses déterminantes pour l’avenir de la procédure doivent être consignées textuellement. Il est opportun de faire preuve de retenue quant à savoir si une question ou une réponse peut être synthétisée, puisque cette problématique intervient préalablement à la prise de connaissance par le juge des déclarations. Il contreviendrait à la libre appréciation des preuves d’écarter trop aisément un dire qui finalement serait essentiel à l’établissement d’un fait lié à l’affaire pénale.
  • Concernant la valeur probante, les procès-verbaux d’audition, de procédure ou de constatations sont des actes authentiques rédigés de bonne foi et relatant avec exactitude le déroulement des diverses phases procédurales. La plupart des dispositions relatives à la tenue des procès-verbaux – exception faite de l’art. 78 al. 2 et 3 qui sont des règles d’ordre dont l’irrespect peut seulement occasionner une diminution de la valeur probante – sont impératives et ne souffrent d’aucune dérogation. Le non-respect des conditions légales occasionne l’inexploitation des documents.
  • Conformément au principe de la liberté de la preuve, lorsque les prescriptions impératives sont respectées, toutes les formes de procès-verbaux ont la même force probante égale à celle valant pour les autres moyens de preuves[18]. En pratique, généralement, les procès-verbaux des audiences n’ont pas de force probante particulière, ils sont considérés comme de simples renseignements. Les autres procès-verbaux peuvent – au contraire – être administrés comme preuve – appelée preuve de la justesse par document – soit du respect des conditions de procédure, soit d’un fait ou de la culpabilité du prévenu. Sans hiérarchiser et reconnaître une force probatoire prépondérante à l’une ou à l’autre des formes de procès-verbaux, des préjugés existent différenciant le procès-verbal d’audition du procès-verbal de procédure.
  • Concernant spécifiquement la valeur probatoire des procès-verbaux d’audition, il existe un risque plus ou moins important que des dépositions soient faussées ou que des éléments décisifs ne soient pas consignés textuellement. La prise en compte de ce risque restreint d’office la valeur probatoire des procès-verbaux d’audition. Dans la mesure du possible, si le juge peut entendre l’auteur de la déposition, le procès-verbal d’audition doit être considéré comme un simple renseignement complémentaire.
  • Concernant les procès-verbaux rédigés suite à une inspection sans la présence du juge, il semblerait judicieux d’exiger du fonctionnaire de certifier avoir accompli personnellement les constations retranscrites, de ne rédiger que les observations matérielles sans opinion propre, d’effectuer les observations dans l’exercice de ses fonctions et de remplir les conditions de forme et de fond. Sous le couvert du respect de ces quatre conditions, il semblerait acceptable de reconnaître à ces procès-verbaux la même force probante que les constations directes effectuées par le juge lui-même.
  • Bien que des différences de force probante entre les divers types de procès-verbaux existent, elles sont minimes et le juge reste libre de les apprécier.

 

 

[1] Infra Partie II, Chapitre 1, n° 385 ss.

[2] Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 163; Pieth, p. 183-184; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 380; Rassat, p. 417-418; Viau, Preuve pénale, p. 126.

[3] Bouloc, p. 113; Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 163; Jositsch, Strafprozessrechts, p. 108; Pieth, p. 183-184; Schmid, Handbuch, p. 384; Schmid, Praxiskommentar, art. 182 N 1.

[4] Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Sollberger, p. 174; Polizeiliche Ermittlung-Zuber, p. 276.

[5] Infra Partie II, Chapitre 1, n° 408 ss et 424 ss.

[6] Franchimont, Jacobs, Masset, p. 786.

[7] Infra Partie II, Chapitre 1, I, C, n° 418 ss.

[8] Jositsch, Strafprozessrechts, p. 111; Perrier Depeursinge, art. 189, p. 238; Pieth, p. 188; Schmid, Handbuch, p. 395.

[9] Infra Partie II, Chapitre 1, III, B, 2, n° 494-495; Infra Partie II, Chapitre 1, III, C, 1, n° 498-502 et 504.

[10] Perrier Depeursinge, art. 100, p. 124; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, p. 108; Schmid, Praxiskommentar, art- 76-79 N 3.

[11] Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, p. 108; Schmid, Praxiskommentar, art. 76-79 N 3 et art. 78 N 10.

[12] CR-CPP-Chapuis, art. 101 N 2; Message, CPP, p. 1133; Perrier Depeursinge, art. 101, p. 125; Schmid, Praxiskommentar, art. 76 N 2.

[13] CR-CPP-Chapuis, art. 101 N 1; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 565.

[14] Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, p. 124-127;.

[15] Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 160-161 et 565; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, p. 124-125; Schmid, Praxiskommentar, art. 77 N 1 ss.

[16] CR-CPP-Bomio, art. 78 N 1; Perrier Depeursinge, art. 78, p. 98; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, p. 120; Schmid, Praxiskommentar, art. 78 N 2.

[17] Message, CPP, p. 1134; Perrier Depeursinge, art. 78, p. 98; Schmid, Praxiskommentar, art. 78 N 5.

[18] Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 565.

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