- Comme nous l’avons préalablement indiqué, le prélèvement, l’analyse et la comparaison des profils d’ADN peuvent porter atteinte aux droits fondamentaux[1]. Nous nous focaliserons dans la présente partie à la possible violation de la présomption d’innocence ainsi qu’à la mise en péril de la sphère privée et du droit à l’autodétermination informationnelle liées à l’intégration et la conservation des profils génétiques dans CODIS.
i. La présomption d’innocence
- La première critique généralement formulée contre le système CODIS est la violation de la présomption d’innocence[2]. D’après ce principe, aucune mesure de contrainte ne peut être ordonnée sans qu’il existe des soupçons suffisants.
- Ainsi, si un profil est conservé et qu’une recherche est effectuée à l’aide du fichier CODIS alors même qu’aucun soupçon n’existe, le comportement de l’autorité pénale viole la présomption d’innocence. En revanche, ce principe fondamental de la procédure pénale n’interdit pas qu’une source d’informations provenant d’affaires antérieures puisse servir pour en déduire des soupçons.
- Par conséquent, l’utilisation notamment des fichiers de profil génétique lors d’enquête ne viole en aucun cas la présomption d’innocence. La critique formulée par certains scientifiques ou juristes doit donc être réfutée.
ii. Le droit à l’autodétermination informationnelle et la sphère privée
- La seconde critique concerne le droit à l’autodétermination informationnelle et la sphère privée[3].
- En accord avec l’arrêt Amann Suisse[4], le Tribunal fédéral reconnaît que toute mémorisation par une autorité publique des données relative à la vie privée atteint à l’art. 8 § 1 CEDH – corrélativement à l’art. 13 al. 1 Cst – et que le stockage des profils d’ADN restreint la liberté personnelle[5]. Concernant la gravité de cette atteinte, elle est interdépendante avec le sort réservé aux échantillons ayant servi de base au profilage et au profil lui-même.
- Dans le cadre du profilage ADN, seules les parties non-codantes de l’ADN étant analysées, le Tribunal fédéral a estimé que l’atteinte causée correspondait à l’atteinte subie par le prélèvement d’empreinte digitale, soit une atteinte légère[6].
- Ainsi, tant que l’évolution scientifique ne permettra pas de fournir des informations personnelles à l’aide de segment non-codant[7], la réglementation limitant l’établissement d’un profil d’ADN sur la base de segment non-codant est suffisante pour éviter une atteinte illicite aux droits fondamentaux.
- Quant au sort des échantillons, afin de se limiter à une atteinte légère, ils doivent être détruits rapidement (art. 9 al. 1 et 2 cum 10 à 13 Loi sur les profils d’ADN). Cette destruction se justifie par le respect du principe de la nécessité. En effet, ce n’est pas l’échantillon d’ADN, mais le profil qui découle de son analyse qui est utile à l’identification génétique. Dès lors, la conservation d’un échantillon ne pourrait être utile que pour effectuer un nouveau profilage. Néanmoins, d’autres moyens peuvent permettre une nouvelle analyse, notamment un nouveau prélèvement du matériel génétique de la personne incriminée. A noter également que la destruction doit permettre d’éviter une possible analyse subséquente des parties codantes. Si une telle analyse était réalisée, l’atteinte aux libertés personnelles et au droit à l’autodétermination informationnelle serait considérée comme grave et probablement illicite faute d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité[8].
- En outre, en tant que système informatisé, CODIS présente des risques liés à l’utilisation abusive des données stockées (art. 8 § 1 CEDH, art. 17 § 1 Pacte II et art. 13 al. 2 Cst). Même si les informations sont anonymisées et que les systèmes CODIS et IPAS sont séparés physiquement et structurellement, il est possible de réunir le profil d’ADN avec des données strictement personnelles contenues dans IPAS. Ces risques sont d’autant plus grands que la sécurité informatique n’est pas garantie à 100%[9]. Une atteinte aggravée au droit à l’autodétermination informationnelle n’est donc pas exclue.
iii. La proportionnalité des atteintes aux droits fondamentaux liées à l’utilisation de CODIS
- En fonction des données analysées, du temps de conservation et de la méthode de stockage, la gravité de l’atteinte aux droits fondamentaux causée par l’existence de CODIS varie considérablement.
- Dans des circonstances optimales – ADN non-codant analysé, échantillons détruits, sécurités informatiques assurées – l’atteinte à la liberté personnelle et à l’autodétermination est légère, mais si une de ces conditions fait défaut une atteinte grave n’est pas exclue.
- Partant de ces constations, la restriction des droits fondamentaux doit s’appuyer sur une base légale, être nécessaire et proportionnée (art. 8 § 2 CEDH et 36 Cst). Concernant la première condition, la loi sur les profils d’ADN et son ordonnance constituent des bases légales suffisantes pour règlementer la conservation des échantillons et des profils d’ADN ainsi que le stockage automatisé de ces derniers. La seconde condition ne pose guère plus de problème, la nécessité de poursuite des infractions avec comme point d’orgue la découverte du ou des auteur(s) d’infraction et la prévention générale contre les actes répréhensibles visent un but d’intérêt public[10]. La base de données CODIS remplit entièrement ce but en permettant l’identification d’un auteur de trace et, conséquemment, une possible instruction pénale contre lui. Un examen des problématiques liées à la proportionnalité s’impose.
- La conservation des profils d’ADN sert à poursuivre les auteurs en les identifiant. Il n’est plus à prouver que plus le nombre de profils d’ADN conservés est important, plus les chances de parvenir à une correspondance sont grandes. En conséquence, l’aptitude de la mesure consistant à ne pas effacer immédiatement les profils est admissible pour poursuivre la criminalité. Quant au respect du principe de nécessité, le stockage des données ne pose guère de problème, dès lors que la durée de conservation dépend étroitement de la gravité de l’acte et de la sanction (art. 16 Loi sur les profils d’ADN).
- La question de la proportionnalité au sens strict est plus délicate et discutable.
- Selon les décisions des Chambres fédérales, la banque de données CODIS n’intègre que les personnes condamnées à des crimes ou délits, mais pas les auteurs de contraventions. A notre sens, nous pourrions et même devrions ajouter le terme « intentionnels » aux crimes et délits commis. En effet, les risques de récidive étant logiquement inexistants pour une personne ayant agi par négligence, l’intérêt public ne pourrait pas justifier l’atteinte aux droits personnels de l’individu concerné.
- D’ailleurs, l’art. 257 CPP prévoit expressément que seules les personnes déjà condamnées pour un crime ou un délit intentionnel peuvent faire l’objet d’un prélèvement génétique, extensivement d’une conservation de son profil d’ADN, étant relevé que la let. c de cette disposition légale ne prévoit pas clairement ces conditions, mais que la doctrine s’entend à interpréter cette lettre à l’aune des deux précédentes.
- En revanche, ni l’art. 255 et 256 CPP, ni la loi sur les profils d’ADN n’explicitent l’intentionnalité pour la conservation des prélèvements de personnes suspectées et subséquemment condamnées.
- Dans le strict respect de la proportionnalité, une précision devrait être apportée aux bases légales existantes pour assurer la légalité de la restriction à la sphère privée et au droit à l’autodétermination informationnelle. A noter qu’il ne s’agit pas d’évaluer a priori – lors du prélèvement – si l’infraction est commise intentionnellement ou par négligence[11], mais bien de conserver l’intégration du profil d’ADN uniquement en cas de condamnation pour une infraction intentionnelle.
[1] Supra Partie II, Chapitre 2, II, B, 1, a, n° 845 ss.
[2] Killias, Haas, Taroni, Margot, p. 307; Roux, p. 185-186.
[3] Busch, p. 643; Donatsch, RPS 1991, p. 182; Jositsch, Strafprozessrechts, p. 137-138; Klumpe, p. 143-144 et 152; Oberholzer, DNA, p. 331; Rohmer, Banque de données ADN, p. 203; Rohmer, Thèse, p. 78-79; Schmid, Handbuch, p. 475; Viredaz, p. 323.
[4] CourEDH, Affaire Amann c. Suisse, arrêt du 16 février 2000, 27798/95.
[5] ATF 120 Ia 147, 149-150 = JdT 1996 IV 61, 61; ATF 128 II 259, 267-268 = JdT 2003 I 411, 419-420 = SJ 2002 I 531, 531.
[6] ATF 128 II 259, 269-270 = JdT 2003 I 411, 420-421 = SJ 2002 I 531; Donatsch, RPS 1991, p. 185.
[7] Knoppers, Grimaud, Choquette, le Bris, p. 62.
[8] ATF 128 II 259, 268 = JdT 2003 I 411, 419-420 = SJ 2002 I 531.
[9] Supra Partie II, Chapitre 2, II, C, 2, b, ii, n° 1054 ss.
[10] ATF 120 Ia 147, 151 = JdT 1996 IV 61; ATF 126 I 7, 13; ATF 128 II 259, 275 = JdT 2003 I 411, 426 = SJ 2002 I 531; Donatsch, RPS 1991, p. 191; PFPDT, Rapport 2008/2009, p. 46; Rohmer, Thèse, p. 96-97.
[11] En contradiction avec: Rohmer, Thèse, p. 121.