T079 – A. Les constatations indirectes ou médiates

  • Les preuves indirectes ou médiates sont celles qui nécessitent un raisonnement logique et un examen critique approfondi pour pouvoir être appréciées à leur juste valeur.
  • Trois catégories de personnes peuvent fournir des preuves indirectes ou médiates: le prévenu entendu lors de l’interrogatoire (1.), les témoins interrogés au cours d’une audition (2.) et les personnes appelées à donner des renseignements (3.).

1. L’interrogatoire du prévenu

  • Le prévenu peut faire des déclarations judiciaires à titre primaire devant une autorité judiciaire et des déclarations extrajudiciaires (aveux faits à un tiers, fuites, destructions d’objets essentiels à la détermination des faits, etc.).
  • Concernant les déclarations judiciaires, le Code de procédure pénale prévoit la possibilité à tous les stades de la procédure d’entendre le prévenu sur les faits qui lui sont reprochés (art. 157 à 161 CPP). Il s’agit « d’entendre une personne à l’encontre de laquelle il existe des indices graves et concordants ou des charges suffisantes laissant supposer qu’elle a participé à la commission des faits reprochés […]« [1].
  • Les déclarations du prévenu présentent juridiquement trois caractéristiques les distinguant de celles faites par les témoins[2]:
  • la personne poursuivie n’est pas tenue de collaborer à l’administration de la justice. Elle n’est donc – en principe – pas tenue de comparaître et un refus de déférer à une citation du juge ne peut entraîner aucune sanction pénale.
  • le prévenu n’est pas dans l’obligation de dire la vérité (art. 177 CPP). En effet, la loi reconnaît au prévenu le droit de se défendre par tous les moyens, au besoin par le mensonge[3].
  • le prévenu n’est pas tenu de déposer, ni de répondre aux questions qui lui sont posées. Il a en effet le droit de garder le silence (art. 158 al. 1 let. b. CPP).
  • Durant l’audition, le prévenu peut donc avouer, faire des déclarations pouvant être exploitables comme preuve ou se taire.
  • A noter que, le juge étant libre d’apprécier les faits, l’aveu n’est plus une preuve absolue et la rétractation du prévenu peut ne pas être prise en considération[4]. En outre, en cas d’aveu, le juge doit vérifier que la confession ait été donnée librement, spontanément et de manière non-définitive[5].
  • L’aveu revêt théoriquement la qualité de preuve classique. En pratique, l’historique de l’aveu en procédure pénale modifie légèrement la conception théorique, dès lors qu’il rassure l’enquêteur et le décideur. Ce ressentiment est dangereux, bon nombre d’aveux ne sont pas crédibles, voire inexacts; tel est le cas des aveux fournis par des personnes psychologiquement diminuées, jeunes ou mythomanes qui font preuve de vantardise ou encore des personnes affectivement liées à l’auteur[6].
  • Ainsi, l’aveu ne devrait jamais subordonner d’autres preuves, voire les rendre insignifiantes[7]. D’ailleurs, l’art. 160 CPP exige la continuation des investigations même en cas d’aveu, ceci dans le but de déceler la fausseté des aveux et d’obtenir d’autres preuves concordantes ou discordantes.
  • Quant aux simples déclarations, elles sont propres à apporter des éclaircissements sur le déroulement des faits ou sur la non-implication du prévenu. En revanche, les déclarations acquises par ruse, moyens de pression, violence, menace ou provocation doivent être écartées des débats (art. 140 al. 1 cum 141 al. 1 CPP)[8].

 

2. Le témoignage

  • Le témoignage ou preuve testimoniale est un récit utile fourni à la justice par une personne relatant ce qu’elle a constaté personnellement par la vue ou l’ouïe[9] – perception directe – ou ce qu’elle a appris ou entendu d’autres personnes – perception indirecte ou témoignage par ouï-dire[10].
  • Le contenu du témoignage n’est toutefois pas sans limite. Le rôle du témoin est d’exposer ce qu’il a vu, entendu ou appris; il ne doit en aucun cas faire part de son opinion personnelle ou de ses présuppositions sur les faits imputés au prévenu (art. 162 a contrario CPP). Dans le cas contraire, le juge doit mettre un terme à l’audition.
  • La qualité de témoin est reconnue à toute personne – autre que le prévenu (art. 157 ss CPP) et les personnes appelées à donner des renseignements (art. 178 ss CPP) – ayant des renseignements concernant l’acte délictuel ou l’auteur. Afin d’écarter les témoignages dont la crédibilité est d’emblée insuffisante, l’art. 163 al. 1 CPP exclut la capacité de témoigner aux personnes de moins de 15 ans et aux incapables de discernement.
  • En outre, le témoin a un statut particulier qui implique certains devoirs contrairement au prévenu:
  • les témoins ont le devoir de témoigner (art. 176 CPP), sous réserve de l’application du droit de refuser (art. 168 ss CPP). Ainsi, ils sont astreints à collaborer avec la justice;

–     en tant que devoir civique, le devoir de témoigner oblige le témoin à répondre à la citation à comparaître et à se présenter au procès, même s’il estime avoir le droit de refuser de témoigner[11];

  • le témoin a l’obligation de déposer, soit de parler. Il ne peut pas se taire sans raison (art. 176 al. 1 et 177 al. 1 CPP);
  • le témoin est exhorté à dire la vérité sous peine d’être poursuivi pour faux témoignage (art. 177 al. 1 CPP cum 307 CP)[12];
  • le témoin doit en outre rester discret (art. 165 CPP) concernant son audition et celles auxquelles il a pris part[13].
  • Enfin, les témoins ont également des droits, notamment celui d’être indemnisé (art. 167 CPP), d’être protégé lorsqu’il existe un risque pour leur vie ou leur intégrité corporelle ou celle d’un de leurs proches (art. 149 CPP) ou de refuser de témoigner (art. 168 à 176 CPP).
  • La preuve testimoniale est la plus ancienne des preuves. Par son assise historique, elle est considérée comme l’une des preuves les plus importantes en procédure pénale. Le témoignage est, avec l’aveu, la preuve la plus utilisée, le témoin étant considéré comme « les yeux et les oreilles de la justice« [14].
  • Plusieurs raisons militent en faveur de cette preuve. La première tient à ce que l’audition des tiers soit moins suspecte que la déclaration du prévenu. La seconde se rapporte à la procédure orale et contradictoire adoptée par notre système juridique, dont le témoignage offre un respect total. La troisième est la possibilité d’étendre les déclarations des témoins à l’aide de questions posées par la défense, l’accusation ou par le juge.
  • Néanmoins, le témoignage reste incertain, fragile et approximatif[15]. Les dires du témoin peuvent être entachés de mensonges – faussetés de l’audition consciente dues à la haine ou à la sympathie – ou d’erreurs – faussetés inconscientes – puisque la mémoire n’est pas infaillible.
  • A l’image des autres preuves, la preuve testimoniale n’a pas la qualité de reine des preuves. Le raisonnement critique, lors de l’appréciation d’une déclaration par le juge, doit tenir compte tant de la valeur morale – moralité générale, capacité intellectuelle, dispositions affectives – que des facultés psychologiques du déposant et de la valeur de la déposition elle-même en décelant les mensonges ou les réticences[16].

 

3. Les personnes appelées à donner des renseignements

  • Les « personnes appelées à donner des renseignements » forment une catégorie particulière et subsidiaire d’informateurs entendus par la justice répressive[17]. Il s’agit d’un statut intermédiaire sis entre celui du prévenu et celui du témoin[18].
  • La création de cette catégorie est nécessaire pour rechercher la vérité matérielle qui impose d’entendre toutes personnes susceptibles de fournir des informations et pour prendre en considération les situations où il n’est pas exigible d’attendre d’une personne qu’elle dépose conformément à la vérité, notamment du fait de son jeune âge (art. 178 let. b CPP), de ses facultés mentales ou psychiques restreintes (art. 178 let. c CPP) ou de sa position dans la procédure (art. 178 let. d à g CPP). C’est pourquoi, la personne appelées à donner des renseignements doit comparaître, mais n’est pas tenue par l’obligation de témoigner (art. 163 et 176 CPP), et ne risque pas d’être poursuivie pour faux témoignage.
  • Pour le surplus, les bases légales relatives à l’interrogatoire du prévenu sont applicables par analogie.
  • Relevons encore que le lésé qui se constitue partie plaignante (art. 118 CPP) est entendu à titre de renseignement (art. 178 let. a CPP) avec un régime particulier. Il ne peut pas être condamné pour faux témoignage[19], mais il est astreint à déposer devant les tribunaux (art. 180 al. 2 CPP). Dans ce cas de figure, les dispositions concernant l’audition des témoins s’appliquent par analogie exception faite de l’art. 176 CPP.
  • Les déclarations des personnes appelées à donner des renseignements ont une valeur probante similaire au témoignage. Juridiquement, le juge est en droit de préférer une déclaration faite à titre de renseignement plutôt qu’un témoignage[20].
  • Cependant, il est contestable qu’une déposition faite par une personne appelée à donner des renseignements soit aussi fiable qu’un témoignage pour deux raisons. Premièrement, les personnes appelées à renseigner sont soit parties intéressées quant à l’issue du procès – c’est le cas du lésé qui s’est constitué partie plaignante (art. 178 let. a CPP), du co-prévenu visé sous let. d et e de l’art. 178 CPP –, soit des auteurs, instigateurs ou complices des faits délictueux qui n’ont pas la qualité de prévenu, soit des personnes ne pouvant pas être témoin à défaut d’avoir une crédibilité suffisante. Deuxièmement, ces personnes n’ont pas la crainte de la sanction pénale en cas de faux témoignage. Pouvant mentir en toute impunité, le risque de déclaration infidèle à la réalité est augmenté.
  • Par conséquent, il serait préférable que le juge évalue la crédibilité du ou des renseignements fournis par les personnes visées à l’art. 178 CPP pour écarter, par exemple, un témoignage.

 

[1] Guinchard, Buisson, Procédure pénale, p. 452.

[2] Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 144-145; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 348.

[3] Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 145; Moreillon, p. 143; Rassat, p. 380.

[4] Hauser, Schweri, Hartmann, p. 245; Jositsch, Strafprozessrechts, p. 99; RSJ 96 (2000) p. 40; Schmid, Praxiskommentar, art. 160 N 1; St-Yves-St-Yves, Meissner, p. 155. Supra Partie I, Chapitre 3, III, C, n° 313 ss.

[5] Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 350; Rassat, p. 381.

[6] Bouloc, p. 114; Merle, Vitu, T. II, p. 276.

[7] Rassat, p. 396; St-Yves-St-Yves, Meissner, p. 179-181.

[8] Jositsch, Strafprozessrechts, p. 88-89; Moreillon, p. 143; Perrier Depeursinge, art. 140, p. 191; Schmid, Praxiskommentar, art. 140 N 2 ss et art. 141 N 5.

[9] Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 149-150; Jositsch, Strafprozessrechts, p. 101; Polizeiliche Ermittlung-Zuber, p. 254-255; Schmid, Handbuch, p. 358-359; Schmid, Praxiskommentar, art. 162 N 2.

[10] ComEDH, Affaire X c. République fédérale d'Allemagne, arrêt du 7 juillet 1978, 8414/78, p. 234 et 236.

[11] JdT 2002 III 27; CR-CPP-Dongois, art. 163 N 9-10; Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 150; Hauser, Schweri, Hartmann,p. 270; Rémy, p. 51; StPO-Donatsch, art. 163 N 18.

[12] Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 150; Jositsch, Strafprozessrechts, p. 102; Schmid, Praxiskommentar, art. 177 N 2.

[13] CR-CPP-Dongois, art. 165 N 4; Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 150; Schmid, Praxiskommentar, art. 165 N 1 ss; Polizeiliche Ermittlung-Zuber, p. 256.

[14] Bentham, Vol. I, p. 191-192; St-Yves-Geiselman, Fisher, p. 31.

[15] Perrier Depeursinge, art. 162, p. 215; Polizeiliche Ermittlung-Zuber, p. 255; Rassat, p. 416; Ruckstuhl, Dittmann, Arnold, p.163-170; St-Yves-Hope, Sauer, p. 103 et 121-122.

[16] Franchimont, Jacobs, Masset, p. 1073-1074.

[17] Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Ill, p. 169; Schmid, Praxiskommentar, art. 178 N 1-2.

[18] Jositsch, Strafprozessrechts, p. 106; Perrier, Vuille, p. 125; Polizeiliche Ermittlung-Zuber, p. 265; Ruckstuhl, Dittmann, Arnold, p.171.

[19] CR-CPP-Perrier, art. 180 N 19; Pieth, p. 180-181.

[20] ATF 117 Ia 401, 405 = JdT 1993 IV 192; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 359.

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