T152 – 2. L’identification judiciaire et la preuve dactyloscopique

  • Depuis plusieurs décennies[1], les empreintes digitales sont des indices matériels importants dans le procès pénal. Leur fréquence d’exploitation judiciaire équivaut à celle de toutes les autres techniques de police scientifique réunies[2].
  • Permettant diverses comparaisons, extensivement l’élucidation de faits importants aux affaires pénales, l’apport des empreintes digitales ou palmaires en Suisse n’est plus à prouver. Une comparaison entre une empreinte déposée sur les lieux de l’infraction ou sur un objet lié à celle-ci avec une empreinte fichée et/ou connue permet d’apporter devant la Cour un élément de preuve – plus ou moins infaillible – de l’identité de l’auteur.
  • Du fait de son objectivité et de sa valeur scientifique, la preuve dactyloscopique est largement appréciée, mais l’identification d’un individu dans le procès pénal reste une décision judiciaire dont le fardeau revient à la Cour et non au criminaliste. Il est essentiel que le juge puisse appréhender correctement le résultat identificatoire rendu par l’expert, déterminer ce qu’il démontre objectivement et quelle en est la force probante.

a. La nature déterministe de l’identification
i. L’absence de consensus international et les résolutions de l’association professionnelle internationale pour l’identification (IAI)
  • La pratique internationale concernant la preuve identificatoire dactyloscopique n’est pas uniformisée[3]. Certains Etats exigent un nombre minimal de minuties pour reconnaître une identification formelle – en Grande-Bretagne, le chiffre minimal est de seize points caractéristiques, limite pouvant être abaissée à quatorze minuties similaires, selon la gravité de l’infraction; en France, Belgique, Portugal, Espagne et bien d’autres Etats, le nombre minimum est de douze – ou fixent un intervalle – selon l’usage, l’Allemagne, la Suède et la Hollande fixent un intervalle entre huit et douze minuties – dont la limite inférieure est suffisante si des particularités existent. Alors que pour d’autres aucun minima n’est prévu, l’identification étant uniquement une question de jugement.
  • Le manque de consensus international pour déterminer la force probatoire de l’identification dactyloscopique met à mal la valeur scientifique de cette preuve. Pour tenter de pallier les divergences et les doutes subséquents, des résolutions destinées aux professionnels des sciences forensiques ont été formulées par l’’International Association for Identification (IAI). D’après leurs constatations, il n’existe pas d’élément probant pour justifier la fixation d’un standard minimum[4]. La nature même de l’unicité des empreintes digitales par les diverses minuties impose la proscription d’une norme numérique[5]. Néanmoins, un standard minimum peut éviter les erreurs crasses, principalement lors d’analyses effectuées par des dactyloscopes inexpérimentés.
  • En 1980[6], l’IAI a en outre fixé une ligne directrice interdisant aux experts d’apporter une réponse complétée par un qualificatif, tel que « possible », « probable », « très probable », « peu probable », etc. Corrélativement à la volonté de la majorité des experts dactyloscopes, la preuve dactyloscopique ne devrait jamais être présentée par un avis qualifié, la probabilité d’erreur lors de spéculation ne pouvant être connue.
  • Les résolutions de l’IAI n’ayant aucune force juridique[7], les pays restent toutefois libres d’instaurer leur propre réglementation pour déterminer si oui ou non l’identification dactyloscopique est viable et probante.
ii. L’identification dactyloscopique en Suisse
  • Jusqu’en 2007, les experts suisses favorisaient l’approche quantitative en retenant qu’une concordance entre huit à douze points rendait l’identification certaine, étant précisé que le rapport identificatoire était exclusivement fourni au juge lorsque douze minuties étaient relevées et similaires[8]. Dès le mois de novembre 2007, les chefs de la division AFIS ont décidé de passer à l’approche holistique[9].
  • Partant du postulat que l’individualisation d’une empreinte ne peut pas se réduire à compter le nombre de minuties similaires[10], l’approche holistique ou non-numérique met en balance l’aspect quantitatif – avec le nombre de minuties – et qualitatif – avec la forme générale des lignes papillaires, des pores, de leur combinaison ou du type de minuties – des points visibles sur le dessin de l’empreinte[11].
  • La nécessité d’appréhender les circonstances du dépôt et la qualité des concordances lorsque moins de douze minuties similaires sont découvertes a nécessité le classement des experts en trois niveaux de compétences.
  • En cas d’empreintes complexes – contenant moins de douze minuties –, les années de pratiques sont un atout pour l’expert qui est à même de déterminer la fréquence ou l’exceptionnalité d’une minutie précise. Ainsi, une telle approche permet de reconnaître un potentiel identificatoire similaire entre six minuties exceptionnelles et douze minuties communes analysées respectivement par un expert expérimenté et débutant, et donc d’augmenter la fréquence des identifications formelles.
  • Quant aux conclusions identificatoires, en s’appuyant sur la caractéristique d’unicité des empreintes papillaires et en niant les probabilités qui affirmeraient que plusieurs donneurs potentiels existent, les dactyloscopes suisses ont opté pour la nature déterministe de l’identification.
  • Les conclusions du processus de comparaison sont de cinq ordres: l’empreinte analysée est identifiable et identifiée; l’empreinte examinée n’ayant pas assez de points caractéristiques ne peut pas fournir un résultat positif; l’empreinte n’est pas directement exploitable pour fournir l’identité de l’auteur, cependant des points distinctifs sont suffisants pour exclure avec certitude des personnes déterminées; l’empreinte fournit trop peu d’informations, mais si des concordances existent, que la police suspecte fortement une personne et que l’expert connaît les doutes de la police, il est en droit de répondre : « Il n’est pas à exclure que la personne faisant l’objet de l’enquête soit l’auteur de la trace latente examinée« , sans autres précisions; l’empreinte de référence est de mauvaise qualité et ne permet aucune analyse.
  • En définitive, la preuve dactyloscopique est une preuve dichotomique ne laissant place à aucune interprétation ou spéculation[12].
b. La valeur probatoire
i. La valeur probatoire scientifique reconnue
  • L’intégration de la science dans le cadre juridique n’est pas dénuée de tout fondement. Elle assiste la justice pour atteindre son objectif lié à la recherche des éléments nécessaires pour fonder un jugement de condamnation ou d’innocence, soit à la punition des actes délictueux. Dans ce sens, la dactyloscopie est une méthode fiable, généralisable, rapide et peu coûteuse pour tenter d’identifier l’auteur d’un acte criminel et constituer des archives pour confondre les récidivistes[13].
  • Pour établir l’identité d’une personne directement ou indirectement concernée par la perpétration d’une infraction, nous l’avons vu, un processus scientifique est obligatoire[14]. Une fois réalisé et lorsqu’un hit est détecté[15], le service AFIS ADN transmet par le biais d’une plateforme sécurisée un message à l’autorité chargée de l’enquête et à l’origine de la demande de comparaison. Reposant sur le postulat déclarant que les dessins papillaires sont individualisés et sur plus de cent années d’expériences durant lesquelles peu d’erreurs ont été décelées, les dactyloscopes déclarent que les empreintes digitales sont un moyen d’identification fiable et incontestable dès lors que rien ni personne n’a pu démontrer qu’ils avaient tort de penser ainsi[16]. Cela étant, certains experts forensiques préconisent de dire que l’empreinte digitale ne permet pas d’identification, mais une présomption[17].
  • Peu importe que le fichage d’une empreinte date d’une année, de dix ans ou plus, ou qu’elle soit endommagée, la comparaison et l’identification restent possibles. Un récidiviste ou toute personne ayant fait l’objet d’un profilage de ses empreintes ne peut donc pas arguer une modification des dessins papillaires pour nier l’identification effectuée par la méthode lophoscopique, à moins qu’un jour l’un d’eux entreprenne la monumentale opération qui consiste à retirer l’entièreté des téguments composés de crêtes épidermiques et à greffer une nouvelle peau. De plus, grâce au processus aléatoire de la morphogénèse durant la gestation, même les jumeaux univitellins ont des empreintes papillaires différentes, alors même que leur patrimoine ADN est identique.
  • Scientifiquement, la valeur probatoire des empreintes digitales est donc absolue et sans restriction. Néanmoins, le résultat identificatoire n’est pas une décision, mais uniquement une proposition transmise à la justice après validation par l’office de police cantonale ou toute autre autorité à l’origine de la demande. En aucun cas l’examinateur scientifique, extensivement le service AFIS ADN, n’a les capacités d’imposer son avis à l’autorité policière et judicaire.
  • Le principe de la libre appréciation des preuves dominant le procès pénal[18], en théorie, les empreintes digitales comme moyen identificatoire n’ont pas une force probatoire déterminée. Par conséquent, la valeur scientifique ne s’impose pas dans le cadre procédural et le juge est en droit de la réfuter par des considérants juridiques. Les juges de fond sont donc aptes à déterminer les éléments probatoires nécessaires pour forger leur intime conviction. Ils ont également la difficile tâche d’évaluer la valeur probante, la crédibilité et la suffisance d’un élément de preuve.
  • La pratique judiciaire démontre toutefois que la preuve dactyloscopique joue un rôle décisif dans l’identification d’une personne. Quand bien même un accusé clame que l’empreinte trouvée sur les lieux du crime ne lui appartient pas personne ne le croit[19], principalement parce que le juge estime que la science prouve le contraire et qu’il craint – parfois à tort – de s’écarter des considérants scientifiques. Au gré des évolutions, l’évaluation de la preuve dactyloscopique se complexifie creusant exponentiellement le fossé entre les aptitudes des juristes et celles des dactyloscopes. Bien souvent, les magistrats suivent les déclarations de l’expert sans débattre sur la valeur probatoire faute d’avoir les compétences pour ce faire.
  • Il est certain que si un « hit » est obtenu à l’aide d’une empreinte claire, précise et de qualité excellente, la discussion quant à la certitude scientifique est inutile, puisqu’il est largement reconnu que deux individus ne peuvent avoir la même empreinte. Tel n’est en revanche pas le cas lorsqu’une empreinte est de mauvaise qualité ou contient peu de minuties.
  • Cependant, il ne faut pas en conclure que, juridiquement, l’identification grâce aux empreintes papillaires n’a pas de force probante autonome. Les tribunaux apprécient tout de même selon leur capacité la preuve dactyloscopique.
ii. La preuve dactyloscopique et le faisceau d’indices
  • Dans une affaire datant de 2005[20], des traces papillaires ont été examinées sans succès identificatoire. Le recourant reproche à l’autorité cantonale de jugement de ne pas avoir pris en considération ces empreintes non-attribuées pour rendre sa décision. Le Tribunal fédéral relève que, comme le permet son pouvoir d’appréciation, la Cour apprécie la preuve dactyloscopique de manière objective et spatiale. Les traces papillaires ayant été détectées dans des parties communes d’une entreprise ainsi que dans un bureau grandement fréquenté durant la journée, les empreintes peuvent appartenir soit à l’auteur, soit à un innocent, et ne permettent pas de mettre en doute la culpabilité du recourant. Certes, le Tribunal fédéral ne discute pas du processus d’identification, soit de la phase scientifique, ni même des résultats non-déterminants de l’expert dactyloscope, ou encore de savoir si la comparaison a été effectuée dans les règles de l’art, mais ces questions peuvent rester ouvertes, puisque, prises isolément, de telles empreintes ne prouvent rien ni à charge ni à décharge.
  • Conséquemment, une empreinte déposée et identifiée, appréciée séparément des autres indices ou preuves n’est juridiquement pas probante. La trace papillaire est une simple preuve de contact entre une personne et un objet ou une surface liée à une infraction[21]. Ainsi, elle doit s’intégrer dans un faisceau d’indices concourant à la décision d’identification[22], sans quoi l’intime conviction obtenue serait entachée d’arbitraire. Il n’est en revanche pas nécessaire de recourir à un autre moyen de preuve pour reconnaître le faisceau d’indices.
  • En 2006, un grief est porté devant le Tribunal fédéral[23] dans une affaire de vol d’une bourse dans un véhicule stationné dont la vitre conducteur était légèrement ouverte. Le recourant reprochait à la Cour cantonale de s’être appuyée uniquement sur la présence de ses empreintes sur la vitre du véhicule pour admettre un verdict de culpabilité. A cet égard, les juges fédéraux rappellent qu’il n’est pas arbitraire de juger coupable un individu en s’appuyant sur la présence de ses empreintes digitales. In casu, la Cour cantonale s’est certes basée sur l’identification des empreintes papillaires, mais ce qui a été déterminant était l’emplacement desdites empreintes qui se trouvaient sur la face extérieure et surtout intérieure de la vitre, ainsi que le manque d’explications crédibles du recourant[24]. Le Tribunal fédéral a donc tranché la problématique grâce à une évaluation globale des circonstances, soit à l’aide de la preuve dactyloscopique et des éléments obtenus grâce à elle. Dans de telles circonstances, il serait en outre préférable que la justice s’intéresse de plus près à la qualité de l’empreinte, aux qualifications de l’expert et au cheminement qui ont mené ce dernier à rendre un résultat identificatoire positif, afin de juger correctement et complètement de la valeur de la preuve dactyloscopique apportée.
  • En conséquence, la preuve dactyloscopie ne doit être qu’une aide à forger l’intime conviction du juge grâce à ses qualités scientifiques, mais ne doit en aucun cas être considérée comme une preuve de culpabilité.
[1] Supra Partie I, Chapitre 1, II, B, 1, b, n° 72 ss.

[2] Information disponible sur le site internet d'Interpol: http://www.interpol.int [consulté le 08.05.2016].

[3] A ce sujet: Champod, Friction Ridge Skin, p. 111 ss; Champod, Reconnaissance, p. 2-3; Champod, Lennard, Margot, Stoilovic, p. 28.

[4] Anonyme, International Association for Identification: standardization committe report, in FBI Law Enforcement Bulletin 42 (1973), p. 8.

[5] Anonyme, International Association for Identification: standardization committe report, in FBI Law Enforcement Bulletin 42 (1973), p. 8; Champod, Fingerprint, p. 7; Champod, Friction Ridge Skin, p. 115; Champod, Overview, p. 308; Margot, Champod, p. 233.

[6] International Association for Identification, Resolution VII amended, in Identification News 30 (1980), p. 3.

[7] International Association for Identification, Resolution VII amended: "THEREFORE BE IT RESOLVED that any member, officer or certified latent print examiner who provides oral or written reports, or gives testimony of possible, (underlined for emphasis) probable or likely friction ridge identification shall be deemed to be engaged in conduct unbecoming such member, officer or certified latent print examiner as described in Article XVII, Section 5, of the constitution of the International Association for Identification, and charges may be brought under such conditions set forth in Article XVI, Section 5, of the constitution. If such member be a certified latent print examiner, his conduct and status shall be reconsidered by the Latent Print Certification Board...".

[8] Champod, Reconnaissance, p. 15; Pfefferli, p. 220.

[9] Information obtenue de Monsieur Axel Glaeser, Chef de division du service AFIS ADN.

[10] Champod, Fingerprint, p. 7; Champod, Friction Ridge Skin, p. 115; Champod, Overview, p. 308; International Association for Identification, Standardization Committee report, in FBI Law Enfoncement Bulletin 42 (1973), p. 7-8.

[11] Ashbaugh, p. 6; Champod, Lennard, Margot, Stoilovic, p. 30; Pfefferli, p. 220.

[12] Champod, Reconnaissance, p. 3; Champod, Lennard, Margot, Stoilovic, p. 33; Margot, Champod, p. 236.

[13] Champod, Reconnaissance, p. 3 et 268; Le Douarin, p. 2.

[14] Supra Partie II, Chapitre 2, I, A, 2, n° 530 ss.

[15] Supra Partie II, Chapitre II, I, A, 2, c, i, n° 544 ss.

[16] Champod, Reconnaissance, p. 268; Le Douarin, p. 2.

[17] Champod, Friction Ridge Skin, p. 115; Champod, Overview, p. 308; National Research Council, p. 109.

[18] Supra Partie I, Chapitre 3, III, C, n° 313 ss.

[19] Gysin, p. 12.

[20] TF 6P.47/2005 du 30 mai 2005, c. 3.5.

[21] Champod, Overview, p. 308; Margot, Lennard, Empreintes, p. 13; Walder, p. 41.

[22] Champod, Reconnaissance, p. 17; Pfefferli, p. 221.

[23] TF 1P.822/2005 du 4 juillet 2006.

[24] TF 1P.822/2005 du 4 juillet 2006, c. 3.2.

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