t159 – 1. L’évaluation de la preuve dactyloscopique dans l’ordre judiciaire suisse

a. Le potentiel de la preuve dactyloscopique
i. Une preuve hybride
  • La preuve dactyloscopique est incontestablement une preuve hybride. Elle se compose d’une empreinte digitale, soit d’une trace indiciale matérielle qui est détectée et constatée directement sur les lieux de l’infraction ou sur un objet s’y trouvant, ainsi que d’une inférence[1].
  • Conséquemment, le juge ne saisit pas directement la portée de l’indice en présence. Un raisonnement/une interprétation est nécessaire. Cet aspect subjectif peut rendre l’empreinte papillaire plus facilement contestable qu’une preuve purement matérielle, c’est pourquoi il est contrebalancé par l’objectivité de la science et de l’expert.
  • L’expert n’étant pas partie au procès et ne déclarant pas ce qu’il a vu ou entendu, mais uniquement ce qui résulte du processus identificatoire scientifique, ses conclusions sont plus fiables que celles d’un témoin; d’autant que le scientifique agit conformément à la déontologie en faisant honneur à sa profession et en agissant en toute impartialité[2]. En cas de doute quant à l’objectivité de l’expertise, il est toujours possible d’interroger le professionnel ou de recourir à une contre-expertise pour s’assurer de la bonne application des principes scientifiques.
  • Mi-subjectives, mi-objectives, les traces papillaires ont pour les criminalistes le pouvoir de faire avancer l’enquête. Sans cette science, bon nombre d’affaires criminelles n’auraient pas été résolues à défaut de connaître l’identité du potentiel coupable.
  • L’atout majeur de la preuve dactyloscopique est donc son caractère scientifique qui permet de prouver, d’argumenter ou de motiver les résultats identificatoires, extensivement d’accorder un certain poids aux dires de l’expert. La dactyloscopie procure une certitude d’ordre physique[3] préférable aux présomptions morales qui peuvent entacher les preuves testimoniales.

ii. La reconnaissance scientifique
  • La forte reconnaissance scientifique de l’apport des empreintes papillaires et leurs triples caractéristiques font l’objet d’une exégèse développée. Nous nous bornerons donc à affirmer que ces deux points fondent les qualités et l’intérêt positif de l’empreinte papillaire comme moyen de preuve sans intégrer de développements conséquents.
  • La conviction des experts et des juristes concernant la fiabilité de la preuve dactyloscopique repose principalement sur la qualité de loi physique et scientifique. Une telle loi vaut par elle-même. Elle ne nécessite aucune application ou concrétisation. Elle n’a pas à être interprétée et ne peut pas être erronée. Elle existe parce que le monde existe. Elle n’est pas créée ni transformée par les dactyloscopes.
  • Scientifiquement, si le processus d’identification est réalisé dans les règles de l’art, sans subjectivité, en suivant à la lettre les principes dactyloscopiques, ainsi que les prérogatives devant être remplies pour exploiter correctement une trace indiciale, aucune erreur de droit imputable à l’empreinte papillaire n’est possible[4]. Le risque n’est lié qu’à l’interprétation des magistrats lorsqu’une identification est réalisée et présentée au procès, ou – éventuellement – au travail peu satisfaisant du dactyloscope généralement lié à la mauvaise qualité d’une empreinte ou à sa subjectivité qui ne devrait pas exister.
  • Le peu d’erreurs identificatoires documentées jusqu’à aujourd’hui permet d’affirmer que ce moyen de preuve n’est pas illusoire et a acquis avec les années une valeur inestimable aux yeux des juristes. La pratique démontre qu’implicitement la force théorique et objective des empreintes digitales comme moyen de preuve est grandement prise en considération lors de l’appréciation des preuves par le magistrat sans grand débat[5].
  • L’importance de la valeur scientifique et sa reconnaissance dans le temps doivent tout de même être nuancées. Certaines techniques sont exploitées depuis de nombreuses années, alors que d’autres ont fait leur apparition plus ou moins récemment. Vraisemblablement, avec l’évolution perpétuelle de la science, de la physique et de la chimie, l’exploitation de techniques inconnues encore aujourd’hui n’est pas à écarter. Dès lors, il peut être erroné d’affirmer que la valeur scientifique de la dactyloscopie repose sur plusieurs dizaines d’années. Certes, les trois prémisses que sont l’individualité, la pérennité et l’inaltérabilité, ainsi que l’importance des minuties datent et sont ancrées dans la pratique depuis longtemps, mais la détection des empreintes dermatoglyphes permettant d’obtenir un dessin papillaire analysable avec plus ou moins de clarté peut résulter d’une technique récente.
  • La qualité de la trace indiciale influençant sur le résultat identificatoire, il nous paraît important de tenir compte de la méthode de détection utilisée lors de l’appréciation de la preuve dactyloscopique. Ainsi, une technique récente ayant moins d’assise, la valeur scientifique et le pouvoir probatoire de l’identification y afférant doivent être nuancés en conséquence comparativement à une technique ayant fait ses preuves.
iii. Les facultés probatoires à charge ou à décharge
  • Lorsqu’une personne est suspectée, que de forts soupçons pèsent sur elle et que le processus identificatoire fournit une correspondance certaine entre l’empreinte indiciale et son empreinte dermatoglyphe, la preuve dactyloscopique est une preuve utilisable à charge. Elle permet de prouver l’identité de l’auteur ou – tout du moins – la présence de l’individu identifié sur les lieux de l’infraction, voire le contact entre cette personne et un objet lié à l’acte délictuel.
  • En revanche, si des traces papillaires sont retrouvées sur le corps de la victime, sur l’arme du crime et à divers endroits stratégiques de la scène de crime, qu’une comparaison est effectuée avec les empreintes du suspect, mais que la conclusion du dactyloscope énonce des dissemblances, alors la preuve dactyloscopique permet d’innocenter le suspect.
  • De même, si une trace digitale est révélée sur l’arme du crime, qu’aucun autre indice ne permet d’identifier le coupable, et qu’après confrontation, il n’est pas possible d’identifier l’accusé comme l’auteur du crime, il est possible d’administrer la preuve dactyloscopique pour faire planer le doute sur l’implication du suspect, voire du prévenu. Le doute profitant à l’accusé, le juge du fond ne peut que reconnaître l’accusé innocent.
  • Par conséquent, face à l’administration d’une preuve dactyloscopique, le rôle du juge est de rechercher non seulement si l’empreinte indiciale est probante, mais encore ce qu’elle démontre: la culpabilité, si d’autres indices convergent dans ce sens, ou l’innocence, si les empreintes de l’accusé ne correspondent pas aux traces indiciales rattachées à l’auteur ou ne concordent pas avec les autres indices analysés[6].
iv. L’univocité de l’univers déterministe
  • Chaque portion du doigt, quelle qu’elle soit, est individuelle et propre à une unique personne, ce qui exclut – pour une partie des professionnels forensiques[7] – la possibilité de déclarer un résultat possible sans être affirmatif.
  • Dans l’univers déterministe, les dactyloscopes ne fournissent à la Cour qu’une identification formelle[8]. Dans une telle conjoncture, soit l’identification est réalisée parce que des similitudes entre la trace et l’empreinte connue existent, soit des dissemblances trop importantes sont découvertes empêchant d’assurer l’individualisation de l’empreinte indiciale. Hormis ces deux conclusions, aucun autre résultat n’est envisageable.
  • Grâce à l’avis déterministe, les juristes sont face à une preuve univoque, sans compromis, une preuve indiscutable qui ne souffre d’aucune interprétation quant à sa nature, une preuve absolue apportant une certaine évidence sur laquelle ils peuvent se fier s’il ressort que l’analyse du scientifique a été réalisée dans les règles de l’art. L’absence d’avis qualifié implique que le juge est en droit d’estimer l’identification comme certifiée et correcte, et de penser qu’en cas de doute ou de soupçon d’erreur, l’expert dactyloscope ne conclut pas à une individualisation. C’est pourquoi, dans la pratique, la nature déterministe du processus identificatoire rassure les magistrats qui, n’ayant pas les connaissances suffisantes pour identifier une personne à l’aide d’une trace dermatoglyphe, peuvent s’appuyer complètement sur les conclusions de l’expertise.
  • Actuellement, la preuve dactyloscopique jouit ainsi d’une place privilégiée étant le seul moyen de preuve s’exprimant univoquement. Sans probabilité ou marge d’erreur citée, les magistrats sont face à une réponse du dactyloscope ne laissant pas place à la Cour d’imaginer – faussement – que deux personnes puissent produire les mêmes dessins papillaires[9].
  • N’ayant en outre pas besoin de justifier l’avis qualifié et l’univocité, l’identification formelle induit un gain de temps non négligeable pour les experts dactyloscopes et pour l’autorité judiciaire, puisqu’elle rend quasi inexistants les débats en cours de procès[10].
[1] Galluser, p. 8; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 380.

[2] Champod, Vuille, p. 30; Vuille, Thèse, p. 356-360.

[3] Champod, Reconnaissance, p. 268; Le Douarin, p. 2; Locard, T. I-II, p. 226.

[4] Gysin, p. 12.

[5] TF 6P.47/2005 du 30 mai 2005, c. 3.1. Par analogie pour la preuve pénale: RR.2007.173, c. 4.3; RR.2008.47, c. 2.2; E-2565/2010. A ce sujet, voir: Champod, Taroni, RPS 1993, p. 224.

[6] Benedict, p. 522; Galluser, p. 14.

[7] A ce sujet: Champod, Reconnaissance, p. 16-17.

[8] Margot, Champod, p. 236; Margot, Lennard, Empreintes, p. 9.

[9] Gysin, p. 12; Locard, T. I-II, p. 88; Margot, Champod, p. 236.

[10] Benedict, p. 521; Champod, Reconnaissance, p. 268.

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