T120 III A -L’appréciation et la valeur probante de l’expertise – Le contrôle du juge et des parties

  • Les preuves administrées durant le procès étant promptes à fonder une décision de culpabilité, la Cour européenne des droits de l’homme a insisté sur l’importance de l’administration de la preuve et de la nécessité de respecter l’égalité des armes entre la défense et l’accusation[1]. La phase de désignation de l’expert et d’établissement de l’expertise étant non-contradictoire, l’équité exige en particulier que la défense puisse contrôler postérieurement les travaux entrepris. Tout moyen de preuve doit être soumis au débat contradictoire permettant au prévenu ou à son représentant de faire valoir leurs observations et de contester la crédibilité d’une preuve. L’expertise judiciaire n’est pas épargnée par le principe de contradiction[2].
  • L’autorité judiciaire doit pouvoir soumettre à son libre arbitre le contenu de l’expertise pour motiver sa décision. N’ayant pas les aptitudes professionnelles, il est nécessaire que la crédibilité des conclusions soit certaine et intelligible. Afin de respecter l’équité des débats[3] et le droit d’être entendu[4], le juge communique aux parties les écrits du spécialiste avec un délai pour formuler leurs observations. Ainsi, le rapport d’expertise est soumis au contrôle du magistrat et des parties.
  • En d’autres termes, le juge et les parties vérifient si les conclusions sont complètes, compréhensibles et exactes[5].

  • Les conclusions sont signalées comme complètes, si les connaissances professionnelles et les faits ayant servis à appuyer l’avis du spécialiste sont intégralement exposés et que toutes les questions libellées trouvent une réponse. A contrario, est incomplet le rapport qui ne contient pas toutes les données utiles[6]. Ne pouvant s’appuyer sur des imprécisions sans violer la présomption d’innocence, le magistrat procède alors à l’obtention des compléments utiles (art. 189 let. a CPP).
  • Les conclusions sont compréhensibles, si les éléments rattachés à l’expertise et leurs conséquences sont à la portée de la direction de la procédure et des parties. La justice saisissant un technicien pour l’aider dans sa tâche, des explications peu claires sont inutiles raison pour laquelle l’expert privilégie l’usage d’un langage simple plutôt que technique et précise au mieux comment ses conclusions se sont forgées.
  • Pour terminer, les conclusions sont convaincantes si elles sont concordantes avec les avis doctrinaux et la logique. La vérification de la réalisation de cette condition est la plus ardue. L’avis de l’expert ne doit pas être écarté ou clarifié uniquement parce qu’une autre doctrine expose l’opinion inverse. En conséquence, si l’expert, par ses connaissances professionnelles, constate un différend scientifique, il explique sa position et spécifie pourquoi il choisit telle doctrine plutôt qu’une autre afin d’éviter toute contradiction non-justifiée.
  • Dans la mesure où il serait arbitraire de considérer les faits comme prouvés si le rapport est incomplet, imprécis ou inexact, la justice procède d’office à l’examen du rapport d’expertise. Elle vérifie si l’expert a répondu aux questions libellées dans le mandat, sans quoi des informations supplémentaires doivent être obtenues, et détermine si de nouvelles questions s’imposent[7].
  • Les parties ou leurs avocats s’appuyant sur les mêmes écrits peuvent émettre le souhait de soumettre des questions additionnelles à l’expert. Généralement, le droit d’interagir intervient parce que la défense et l’accusation ont un parti pris en souhaitant que les conclusions leur soient favorables. Elles vont donc tenter d’introduire des doctrines divergentes ou de modifier l’avis de l’expert à l’aide de nouvelles questions[8].
  • En outre, lorsque les faits à l’appui de l’expertise ou les résultats de l’expert paraissent incomplets (art. 189 let. a CPP) ou incorrects (art. 189 let. b et c CPP), une demande, d’office ou sur réquisition d’une partie, est émise pour combler les lacunes par des renseignements complémentaires (art. 189 hyp. 1 et 2 CPP). Si des questions complémentaires ou explicatives ne sont pas suffisantes, l’autorité compétente désigne un nouvel expert (art. 189 hyp. 3 CPP) pour formuler une contre-expertise. De plus, la lecture du rapport apportant des connaissances approfondies au juge ou au ministère public, il est possible que des faits supplémentaires inconnus soient constatés grâce au rapport d’expertise et doivent être élucidés à leur tour. Ces conséquences valent de même lorsque la direction de la procédure fait appel à plusieurs experts et qu’ils n’arrivent pas aux mêmes conclusions (art. 189 let. b CPP)[9].
  • Plus complexe est la résolution de la problématique liée à un état de fait technique. Le non-expert ne peut que difficilement s’assurer de la logique et de l’exactitude de connaissances techniques ou scientifiques qu’il ne maîtrise pas. Face à une telle situation, il est admissible, en cas de probable cohérence dans le dossier, de faire confiance à l’expert et de renier tout doute[10].

Les vérifications concernant les exigences sur le contenu de l’expertise, l’écoulement du délai imparti aux parties pour formuler leurs observations et l’apport d’éventuelles clarifications ou compléments clôturent la phase des débats contradictoires sur l’expertise judiciaire. Exception faite des cas où un nouvel expert doit être désigné et une nouvelle expertise établie[11], le rapport est reconnu comme un moyen de preuve fiable. Il peut être sou

[1] CourEDH, Affaire Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, 21363/93, 21364/93, 21427/93 et 22056/93, § 50-55; CourEDH, Affaire Augusto c. France, arrêt du 11 janvier 2007, 71665/01, § 50; CourEDH, Affaire McKeown c. Royaume-Uni, arrêt du 11 janvier 2011, 6684/05, § 43.

[2] CourEDH, Affaire Mantovanelli c. France, arrêt du 18 mars 1997, 21497/93, § 33; CourEDH, Affaire G.B c. France, arrêt du 02 octobre 2001, 44069/98, § 69-70; CourEDH, Affaire Augusto c. France, arrêt du 11 janvier 2007, 71665/01, § 50.

[3] ATF 118 Ia 144, 145-146; ATF 127 I 73, 81-82.

[4] BSK-StPO-Heer, art. 187 N 10 et art. 189 N 1; CPP-Commentario-Galliani, Marcellini, art. 188 N 1; Jositsch, Strafprozessrechts, p. 111; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 389; Schmid, Handbuch, p. 394.

[5] BSK-StPO-Heer, art. 189 N 1 ss; Bühler, p. 573; Donatsch, Jusletter, n° 47; Hauser, Schweri, Hartmann, p. 314; Riklin, Strafprozessordnung, art. 189 N 1-2; Wiprächtiger, p. 207.

[6] CR-CPP-Vuille, art. 189 N 8-10; Donatsch, Jusletter, n° 45; Kaufmann, p. 220.

[7] Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Sollberger, p. 180; Kaufmann, p. 173-174.

[8] Kaufmann, p. 175-176.

[9] Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Sollberger, p. 180; Maurer, p. 231; Moreillon, Parein-Reymond, art. 189 N 1-3.

[10] Par analogie entre le CPC et le CPP: Kaufmann, p. 221.

[11] A ce sujet: TF 6B_283/2007 du 5 octobre 2007, c. 2; Wiprächtiger, p. 212.

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