T105 – B. L’expertise judiciaire facultative – Le choix de l’expert

1. Le choix de l’expert

a. Le droit de consultation des parties
  • En droit pénal, le choix et la désignation du ou des experts sont de la compétence exclusive de la direction de la procédure – le ministère public ou le juge du fond – lorsqu’elle l’estime nécessaire (art. 182 CPP) pour pallier les lacunes du savoir de la justice[1]. Par voie de décision, elle désigne le nombre d’experts appelés à aider la justice, leur nom et leurs tâches.
  • L’art. 6 § 1 CEDH, l’art. 14 § 1 Pacte II et l’art. 29 al. 1 et 2 Cst garantissent le droit à un procès équitable dont l’un des éléments essentiels est le caractère contradictoire de la procédure et le droit d’être entendu[2]. Cependant, aucune de ces bases légales n’accorde aux parties le droit de choisir l’expert ou de se prononcer sur le choix du juge[3].
  • La jurisprudence de la Cour européenne a spécifié que la garantie au procès équitable et son corollaire – le droit à la contradiction – ne sont pas des principes généraux et abstraits[4]. La direction de la procédure n’est donc pas obligée d’entendre les parties sur le choix de l’expert et/ou les questions posées, il suffit que celles-là puissent participer de manière adéquate à un moment donné de la procédure avant qu’une décision ne soit prise[5].
  • En revanche, les exigences d’impartialité et d’indépendance – éléments du procès équitable – permettent aux parties d’exiger de l’autorité de recours la récusation de l’expert[6]. Au surplus, les parties ont la possibilité de formuler des observations, de demander des compléments ou des clarifications (art. 188-189 CPP)[7]. Ainsi, les parties ont la possibilité de participer adéquatement à la procédure, ce qui est suffisant pour respecter les garanties du Pacte II, de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Constitution.
  • Le Code de procédure pénale va plus loin dans la protection de la garantie au procès équitable lors de la désignation de l’expert en donnant un droit de consultation aux parties. Afin d’éviter une demande de récusation subséquente (art. 56 ss CPP) et d’économiser la procédure, le magistrat qui rend la décision de nomination entend les parties sur son futur choix (art. 184 al. 3 CPP) et prend en considération leurs propositions. Néanmoins, la direction de la procédure n’est pas obligée de tenir compte de l’avis exprimé par les parties[8].
  • La faculté offerte aux parties de se prononcer sur le choix de l’expert et les questions qui lui sont posées souffrent d’une exception dans les cas d’actes d’enquête routiniers pour lesquels il existe des protocoles d’analyse préétablis (art. 184 al. 3 phr. 2 CPP)[9]. Le texte légal souffre de quelques imprécisions, voire d’incohérences.
  • En premier lieu, l’interprétation littérale de la loi conduit à ce que le travail effectué avant ou après l’analyse n’est pas soumis à l’exception. Au contraire, Jürg Sollberger[10] estime quant à lui que tous les actes réalisés dans l’urgence – et non pas selon le caractère routinier – sont concernés. Cette interprétation n’est cependant pas fidèle à la lettre de la loi puisque l’art. 184 al. 3 CPP parle de « déterminer« , « établir » et « prouver« , ce qui n’équivaut pas à « prélever ». Si seuls les actes réalisés dans l’urgence de la préservation de la scène étaient concernés, l’analyse serait soumise au régime ordinaire. La volonté du législateur ne semble pas être celle-là. Néanmoins, nier l’application de l’exception pour le simple prélèvement peut être délicat puisqu’un temps précieux peut être perdu d’ici à ce que le prévenu et toutes les parties à la procédure se prononcent sur le choix de l’expert.
  • Il semble correct de s’écarter de la lettre de la loi et de la volonté du législateur en considérant le prélèvement et la phase après analyse comme entrant dans le cadre de la loi pour permettre à l’expert d’analyser et d’interpréter ce qu’il a pu constater par une observation directe de la scène de crime. Au surplus, la limite imposée par le simple fait qu’il s’agisse d’opérations de routine n’est également pas satisfaisante. Il est préférable de s’accorder sur l’existence ou non d’un laboratoire ou de personnes accréditées qui suivent un protocole d’analyse préétablis pour garantir la qualité des résultats sans que la consultation des parties soit nécessaire[11].
  • En second lieu, l’exception de l’art. 184 al. 3 phr. 2 CPP nous semble dangereuse quant à l’importance portée aux questions posées à l’expert. Cette base légale empêche les parties de se prononcer sur les questions. Du point de vue scientifique, l’élaboration de la question est un élément essentiel pour minimiser les risques d’erreur lors de la prononciation des résultats[12]. Pour qu’un moyen de preuve soit correctement évalué de manière indépendante et transparente, l’évaluation par hypothèse est la méthode la plus adéquate. Le simple fait d’exposer à l’expert un autre avis ou questionnement permet d’élargir le champ des possibilités pour l’investigation. Plus les questions ouvrent une vision des événements, plus l’expert est amené à se positionner de manière neutre[13]. C’est pourquoi, il est important que les parties puissent émettre des propositions quant aux questions à poser. La possibilité offerte aux parties de se prononcer sur l’expertise réalisée et de demander des compléments ou des clarifications (art. 185-186 CPP) n’est pas suffisante pour réparer la perte de contradiction au moment du choix des questions. L’atteinte psychologique de l’expert est en effet déjà réalisée et son ouverture à une autre vision paraît a posteriori
  • En accord avec Franco Taroni et Joëlle Vuille[14], il nous apparaît que l’exception de l’art. 184 al. 3 CPP est une fausse bonne idée.

 

[1] Antognini, p. 3; CR-CPP-Vuille, art. 182 N 22 ss; De 29 à l'unité, p. 107.

[2] ATF 127 I 196, 198; ATF 130 I 388, 393; CourEDH, Affaire Lobo Machado c. Portugal, arrêt du 20 février 1996, 15764/89, § 31-32; CourEDH, Affaire Vermeulen c. Belgique, arrêt du 20 février 1996, 19075/91, § 33; CourEDH, Affaire Nideröst-Huber c. Suisse, arrêt du 18 février 1997, 18990/91, § 24; CourEDH, Affaire Mantovanelli c. France, arrêt du 18 mars 1997, 21497/93, § 33; CourEDH, Affaire Steel et Morris c. Royaume-Uni, arrêt du 15 mai 2005, 68416/01, § 62; CourEDH, Affaire Louis c. France, arrêt du 14 février 2007, 44301/02, § 31-38.

[3] TF 6P.39/2006 du 30 août 2006, c. 3; Hauser/Schweri/Hartmann, p. 309.

[4] CourEDH, Affaire Kerojärvi c. Finlande, arrêt du 19 juillet 1995, 17506/90, § 42; CourEDH, Affaire Mantovanelli c. France, arrêt du 18 mars 1997, 21497/93, § 33; CourEDH, Affaire Susanna Ros Westlund c. Islande, arrêt du 6 décembre 2007, 42628/04, § 33.

[5] ATF 99 Ia 42, 46; ATF 125 II 591, 604; ATF 131 II 680, 683-684.

[6] ATF 126 I 68, 73; TF 1B_488/2011, c. 1.1 = Forumpoenale 2012 p. 285.

[7] Infra Partie II, Chapitre 1, III, C, 3, n° 471 ss.

[8] CR-CPP-Vuille, art. 184 N 17; Hauser, Schweri, Hartmann, p. 336.

[9] Schmid, Praxiskommentar, art. 184 N 14; Vuille, Taroni, RPS 2011, p. 165.

[10] Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Sollberger, p. 176.

[11] Vuille, Taroni, RPS 2011, p. 167.

[12] Inman, Rudin, p. 248; Vuille, Thèse, p. 66.

[13] Inman, Rudin, p. 250.

[14] Vuille, Taroni, RPS 2011, p. 164ss.

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