T102 – 1 C. La portée de l’expertise

  • Historiquement, le juge a eu recours ponctuellement à des spécialistes lorsqu’une question était soulevée et n’entrait pas dans les limites de ses connaissances. Ainsi, les arpenteurs à Rome mesuraient les terres, les huissiers-priseurs estimaient les biens et les jardiniers de Constantinople évaluaient les légumes[1].
  • Dans le domaine pénal, l’usage de l’expertise s’est forgé une place lorsque la justice s’est tournée vers la science et la technique pour comprendre et interpréter les faits de l’affaire en cause. Le recours à l’expert est devenu de plus en plus fréquent dès le XIXe siècle[2]. Aujourd’hui plus qu’hier, les techniciens ou scientifiques jouent un rôle toujours plus éminent dans l’administration des preuves, la « phase sentimentale » de la preuve morale se transformant en « phase scientifique ». Plus la science se développe, plus les tribunaux recourent à des spécialistes pour être informés de manière adéquate sur les questions d’ordre scientifique ou technique[3].

  • L’expertise peut servir à établir un état de fait grâce aux connaissances spécifiques de l’expert, apprécier un état de fait grâce à ces connaissances particulières et aux règles générales d’expérience ou simplement communiquer des règles générales d’expérience[4].
  • La complexité des indices matériels empêche souvent leur utilisation immédiate et fournit rarement un résultat non équivoque. Dans de nombreux cas, les juristes ne sont pas aptes à interpréter et faire « parler » les indices. L’expert permet donc à l’autorité pénale de concrétiser la maxime d’office en investiguant des faits impossibles à apprécier par manque de connaissances.
  • A partir du moment où le ministère public ou le juge estime qu’il n’a pas les aptitudes requises pour répondre à une problématique, il fait appel à un expert. Il est notoire que le spécialiste donne son concours à la justice dans le domaine médical, biologique, chimique ou technique[5]. Ces dernières années, l’intervention de la police scientifique comme expert est quasi systématique pour permettre l’analyse des traces, la détection et l’identification des empreintes digitales, l’analyse ADN, etc. Depuis peu, un nouveau domaine d’expertise se développe avec l’évolution de l’informatique et l’utilisation de nombreux appareils techniques complexes (expertises en informatique, expertises et analyses mathématiques, expertises de localisation, etc.). La direction de la procédure recourt ainsi à l’expertise lorsqu’elle l’estime nécessaire, encore faut-il que le domaine des connaissances professionnelles utiles à l’établissement ou à l’exploitation d’un fait soit sûr et incontesté. L’accomplissement de ces deux conditions permet de reconnaître aux conclusions de l’expert une valeur scientifique ou technique suffisante pour être admises à la procédure. Si tel est le cas, le spécialiste entre en jeu, soit pour aider l’autorité pénale compétente lorsque l’état d’un fait n’est identifiable qu’avec son concours, soit parce qu’un élément est identifiable sans connaissances professionnelles, mais qu’il nécessite un savoir et de l’expérience pour être apprécié[6].
  • Ainsi, l’expertise et ses conclusions apparaissent comme un moyen adéquat pour découvrir et apprécier certaines preuves[7]. Ce moyen d’instruction fournit une base solide au juge du fond pour déterminer sa conviction sur l’existence, l’inexistence d’un fait ou sur l’interprétation à donner à un indice retrouvé sur les lieux de l’infraction. En revanche, l’expert ne doit pas s’arroger les compétences appartenant aux magistrats. Conformément à l’adage iura novit curia, le juge ne peut pas déléguer ses pouvoirs juridictionnels[8], notamment ceux relatifs à l’appréciation des preuves ou au droit applicable. Le technicien est appelé à ne régler que des questions de fond, soit des questions extrajudiciaires. Il doit répondre complètement et uniquement à la ou aux questions précisément posée(s) par le magistrat. Ces interrogations se limitent à l’éclaircissement de notions scientifiques ou techniques concernant un aspect de fait du procès dans le strict respect de la présomption d’innocence, du procès équitable et des conditions de forme et de fond de l’expertise.

 

 

[1] Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 382.

[2] Merle, Vitu, T. II, p. 258; Zollinger, p. 570.

[3] BSK-StPO-Heer, art. 182 N 1; Bühler, p. 574; Rassat, p. 419; Rodriguez, p. 22.

[4] Bettex, p. 7.

[5] BSK-StPO-Heer, art. 182 N 2; Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Sollberger, p. 175; Kaufmann, p. 157; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 583.

[6] BSK-StPO-Heer, art. 182 N 1; CR-CPP-Vuille, art. 182 N 6; CPP-Commentario-Galliani, Marcellini, art. 182-191 N 2; Donatsch, Jusletter, n° 7; Donatsch, Kriminalistik 2007, p. 566; Hauser, Schweri, Hartmann, p. 308; Kaufmann, p. 157-158; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 380; Polizeiliche Ermittlung-Armbruster, Vergeres, p. 280; Riklin, Strafprozessordnung, art. 182 N 1; Schmid, Handbuch, p. 384.

[7] Donatsch, Jusletter, n° 3; Zwiehoff, p. 26 et 33.

[8] BSK-StPO-Heer, art. 182 N 4; Gillardin, Jadoul, p. 128; Kaufmann, p. 159; Pieth, p. 184; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 384.

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