T096 – B. Le statut de l’expert

1. Le rôle de l’expert en procédure

a. L’expert et le témoin
  • Par le passé[1], l’expertise a souvent été comprise dans la catégorie des preuves testimoniales, le rapport d’expertise étant le pendant des déclarations faites par les témoins qui exposent les faits marquants et les circonstances utiles à la procédure.
  • Même s’il est exact d’affirmer que l’expert effectue des constations sur les faits et événements liés à l’affaire, l’expert est un technicien intervenant dans le cadre d’une procédure pendante grâce à ses connaissances[2].
  • Contrairement au témoin, il n’explique pas ce qu’il a perçu durant la commission de l’infraction, mais il donne une opinion scientifique ou technique motivée et répond à des questions spécifiquement posées par le juge.

  • De surcroît, la personnalité de l’expert n’est pas comparable à celle du témoin. Alors que celui-ci déclare ce qu’il a entendu ou vu, celui-là se limite à ses expériences et aux questions d’ordre scientifique ou technique. Contrairement au statut de témoin qui est reconnu aux uniques personnes qui ont entendu ou vu un élément important, la position de l’expert est interchangeable[3] dès lors que l’aptitude pour répondre à la question est donnée (art. 189 CPP). Ainsi, l’expert peut être remplacé en cours de procédure, soit pour terminer l’expertise – parce que le premier expert a dû se révoquer ou parce qu’il n’a pas tenu ses engagements –, soit pour réaliser une nouvelle expertise, soit encore pour compléter ou clarifier la première expertise.
  • Par conséquent, les déclarations des témoins sont des preuves indirectes, car personnelles, alors que le rapport d’expertise est l’interprétation d’une preuve directe fondée sur l’expérience et les connaissances. L’expert n’a donc pas le statut de témoin[4] et l’expertise n’est pas une preuve testimoniale.
  • Néanmoins, lorsque l’expert est entendu par le ministère public ou le tribunal aux fins de compléter, clarifier ou commenter son rapport d’expertise, les dispositions sur l’audition des témoins lui sont applicables, exception faite de la transmissibilité du procès-verbal reconnu par les tribunaux cantonaux comme étant conforme à la volonté du législateur (art. 187 al. 2 CPP). En procédure, il peut donc être assimilé aux témoins, il n’en devient pas témoin pour autant dès lors qu’il n’a pas constaté personnellement un état de fait. Il reste l’interprète scientifique ou technique et objectif des circonstances de fait.

 

b. L’expert et le juge
  • L’expert n’est pas davantage un juge.
  • La Cour européenne des droits de l’homme rappelle que « [l]es experts ne sont désignés que pour assister le tribunal [ou le ministère public] en lui fournissant des avis éclairés grâce à leurs connaissances spécialisées, sans avoir de fonctions juridictionnelles. Il incombe au tribunal concerné et à ses juges [ou le ministère public] d’apprécier ces avis d’expert, avec l’ensemble des autres informations et preuves pertinentes. »[5].
  • Même si l’expertise concerne le fond de l’affaire et que l’expert intervient durant la phase d’instruction ou de procès, il n’est en aucun cas habilité à résoudre des questions juridiques[6]. Il ne peut pas non plus émettre un avis personnel qui ne repose sur aucune base scientifique ou technique. L’expertise ne constitue donc qu’un avis motivé, un élément d’informations sur lequel le juge peut s’appuyer pour rendre sa décision[7] et permettre de respecter la présomption d’innocence.

 

c. L’expertise et l’avis
  • En ne fournissant pas un avis global, mais s’appuyant sur un cas concret, sur des pièces et des éléments du dossier de procédure pour répondre à une ou des interrogations, l’expertise doit être distinguée de l’avis qualifié.
  • La différenciation entre ces deux types d’avis est prépondérante pour connaître la valeur probatoire de l’expertise.
  • Devant résoudre la problématique de l’administration d’un avis tiré d’une ancienne expertise qui portait sur une question générale, le Tribunal fédéral a déclaré que « [c]es renseignements sont du même ordre que les explications de caractère général qu’un expert entendu comme « témoin » donne à l’appui d’un rapport écrit. Le juge ne les utilise pas comme preuves, mais comme source d’information […]« [8]. L’avis scientifique ou technique d’ensemble est donc assimilable aux traités scientifiques ou techniques, mais non à un moyen de preuve. Le juge qui tient compte d’un tel avis appuie sa décision sur la même base que celle relative à la reconnaissance d’une doctrine sans invoquer une preuve concrète de l’affaire.
  • L’expertise, au contraire, doit respecter une certaine procédure pour être valablement administrée au procès (art. 10, 139 ss et 182 ss CPP). Juridiquement, étant liée à une affaire précise, elle doit avoir plus d’impact qu’un simple avis, dès lors que la conclusion spécifique sur un cas d’espèce est plus fiable que le caractère abstrait de l’avis général.

 

d. L’expert comme auxiliaire de la justice
  • L’expert est un auxiliaire de la justice[9].
  • Par le rôle qu’il joue au sein de l’autorité judiciaire, il est et doit rester indépendant et impartial[10]. Il serait en effet paradoxal qu’un expert – nommé par l’autorité judiciaire et aidant à interpréter les preuves matérielles pour découvrir la vérité – puisse être dépendant et partial, et d’exiger l’impartialité et l’indépendance du juge du fond qui motive une partie de sa décision à l’aide de l’expertise.
  • En conséquence, pour respecter les garanties du procès équitable – tendant à éviter qu’un élément extérieur puisse influer sur le déroulement du procès ainsi que sur le jugement – le juge se doit d’écarter le rapport d’expertise des débats et de procéder au remplacement de l’expert si l’intérêt de la cause le justifie (art. 60 et 184 al. 5 CPP).

 

 

[1] Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 583-584; Rassat, p. 423.

[2] BSK-StPO-Heer, art. 182 N 7; Bühler, p. 567; CPP-Commentario-Galliani, Marcellini, art. 182-191 N 3 et art. 182 N 2; Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 164;  Kaufmann, p. 160; Merle, Vitu, T. II, p. 258; Pieth, p. 183-184; Perrier Depeursinge, art. 182, p. 231; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 380-381; Polizeiliche Ermittlung-Armbruster, Vergeres, p. 282; Riklin, Strafprozessordnung, art. 182 N 4.

[3] BSK-StPO-Heer, art. 183 N 4; Hauser, Schweri, Hartmann, p. 308; Jositsch, Strafprozessrechts, p. 108; Merle, Vitu, T. II, p. 258; Schmid, Handbuch, p. 384-385.

[4] CR-CPP-Vuille, art. 182 N 1; Merle, Vitu, T. II, p. 258; Moreillon, Parein-Reymond, Intro art. 182 ss N 1;  Perrier Depeursinge, art. 182, p. 231; Schmid, Praxiskommentar, art. 182 N 5.

[5] CourEDH, Affaire D.N c. Suisse, arrêt du 29 mars 2001, 27154/95, § 53.

[6] Antognini, p. 3; Bühler, p. 574; BSK-StPO-Heer, art. 182 N 4 et art. 184 N 12; CPP-Commentario-Galliani, Marcellini, art. 182 N 2 et art. 184 N 5; CR-CPP-Vuille, art. 182 N 8; Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 62; Jositsch, Strafprozessrechts, p. 108; Kaufmann, p. 159; Maurer, p. 231; Paychère, p. 147; Perrier Depeursinge, art. 182, p. 231; Riklin, Strafprozessordnung, art. 182 N 4; Schmid, Handbuch, p. 384-385; Schmid, Praxiskommentar, art. 182 N 2. Infra Partie II, Chapitre 1, I, C, n° 423. Infra Partie II, Chapitre 1, II, B, 2, b, n° 445-449.

[7] Bühler, p. 567; CR-CPP-Vuille, art. 182 N 1; Donatsch, Kriminalistik 2007, p. 568; Hauser, Schweri, Hartmann, p. 310; Kaufmann, p. 220; Oberholzer, Strafprozessrechts, p. 293; Perrier Depeursinge, art. 189, p. 238; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 585; Rassat, p. 424; Riklin, Strafprozessordnung, art. 182 N 4; Rodriguez, p. 22.

[8] ATF 107 Ia 212, 214 = JdT 1983 IV 56, 57.

[9] ATF 114 Ia 461, 464; ATF 134 I 159, 163; Moor, Poltier, p. 288; Pitteloud, p. 277.

[10] BSK-StPO-Heer, art. 183 N 19 ss; Bühler, p. 567; CPP-Commentario-Galliani, Marcellini, art. 185 N 1; Donatsch, Jusletter, n° 8 et 20; Donatsch, Cavegn, SJZ 2007, p. 410; Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 165; Gillardin, Jadoul, p. 124; Kaufmann, p. 161-163; Perrier Depeursinge, art. 183, p. 234; Pieth, p. 184; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 386; Riedo, Fiolka, Niggli, p. 210; Riklin, Strafprozessordnung, art. 183 N 1; Schmid, Handbuch, p. 386-387.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *