T177 – 3. L’utilisation du système AFIS et ses limites

a. Un outil efficace et précieux pour les dactyloscopes et la justice
  • Dans le domaine des empreintes papillaires, le système AFIS constitue la base de données regroupant les profils dermatoglyphes d’individus et les traces inconnues. La collection des fiches enregistrées sert ainsi à mettre en place un matériel de référence permettant l’évaluation des traces prélevées pour déterminer l’identité d’une personne.
  • Au sein de cette base, les algorithmes de recherches automatiques permettent de comparer une trace aux empreintes intégrées dans AFIS[1], et inversement, de comparer une empreinte connue par la base de données pour retrouver un potentiel lien avec une trace inconnue.
  • Le nombre d’identifications positives est intimement lié à la croissance constante des données enregistrées. Il est indiscutable que plus il existe de profils déca- ou monodactylaires, plus les chances d’obtenir un hit s’accroissent.
  • L’augmentation des profils ou des traces répertoriées offre également une base AFIS plus représentative des variabilités entre les différentes appositions des minuties.
  • L’intra- (même doigt) et l’intervariabilité – se définissant comme le résultat statistique au vu des différentes appositions des minuties – sont à la base de toutes approches probabilistes. Actuellement, l’approche déterministe en vigueur en Suisse ne s’appuie jamais sur le rapport de vraisemblance que peut offrir un système informatisé. Cependant, selon notre position, l’approche probabiliste est plus viable pour le juriste qui doit apprécier la preuve dactyloscopique. C’est pourquoi, il est important de souligner l’avantage de l’exploitation des scores issus du système AFIS. La collection de fiches et l’automatisation des bases de données offrent en effet la possibilité de déterminer le plus justement possible les fréquences et probabilité d’existence des points caractéristiques. Ainsi, la fréquence connue d’un type de minutie ou de la concordance avec d’autres points caractéristiques renforce la valeur identificatoire, ou au contraire, s’il n’existe que peu de minuties analysables et qu’elles sont fréquemment examinées dans cette configuration, la diminue.

  • Dans le cadre de la recherche de la vérité, il ne fait nul doute que la chance accrue d’identifier un suspect ou de blanchir un innocent, de surcroît en déterminant la fréquence d’apparition des minuties, est de grand intérêt, le but de tout procès pénal étant de punir l’auteur et de disculper l’innocent.
  • Dans tous les cas, le résultat obtenu après analyse par le système AFIS est utile au dactylotechnicien pour évaluer l’identification après comparaison entre une empreinte inconnue et une autre – connue. Le rapport de vraisemblance issu de l’utilisation des scores – indiquant la proximité entre les deux empreintes comparées – du système automatisé peut être utilisé à des fins d’évaluation de la preuve.
  • Ainsi, le renforcement des bases de données d’empreintes digitales influe sur les chances d’identification et aide les juristes à se déterminer sur la force probante d’une identification papillaire[2]. En contrepartie, avec l’évolution des systèmes informatiques – capacité de stockage grandissante, augmentation de la vitesse d’analyse, fiabilité sécuritaire, qualité des résultats, etc. –, les bases de données contiennent de plus en plus d’informations exploitables en justice, ce qui peut créer des risques d’atteintes aux droits personnels.
b. Le traitement informatisé des empreintes papillaires à la lumière de la liberté personnelle et de la sphère privée
  • Par application de l’art. 354 CP, le service AFIS ADN enregistre et répertorie les empreintes digitales et les traces relevées par les autorités cantonales, fédérales ou les représentations de la Suisse à l’étranger. En cas d’identification positive, le service chargé de la gestion de la base de données relie le numéro de contrôle de processus avec les données personnelles contenues dans IPAS et communique les résultats avec les données à l’autorité demanderesse.
  • La recherche des concordances dans le système AFIS, voire l’intégration de la trace ou du profil décadactylaire, puis le regroupement entre le numéro de contrôle de processus et les données du fichier IPAS soulèvent un certain nombre de problèmes. Ce processus – traitement et couplement des informations – peut porter atteinte, de manière plus ou moins importante, aux droits fondamentaux de chaque personne.
  • Trois questions se posent alors: quelle est la nature de l’atteinte subie par les personnes concernées lors du traitement et du stockage de leurs données? Quels sont leurs droits? A partir de quand devons-nous déclarer qu’il est fait usage des données personnelles de manière inappropriée ou abusive?
  • La Cour européenne des droits de l’homme[3] et le Tribunal fédéral[4] sont unanimes et considèrent que la collecte, le traitement et la communication des empreintes digitales, ainsi que leur enregistrement dans un système informatisé, constituent une atteinte à la liberté personnelle (art. 8 § 1 CEDH, art. 17 § 1 Pacte II et art. 10 al. 2 et 13 Cst), dès lors qu’elles entrent dans la définition des données personnelles (notamment, art. 3 let. a et c LPD).
  • Contenant des informations uniques et individuelles, les empreintes digitales constituent des données à caractère personnel (art. 3 let. a LPD), considérées comme des données sensibles lorsqu’avec l’association de l’identité elles fournissent une indication sur la race (art. 3 let. c LPD)[5]. Dès lors, leur conservation et leur traitement n’est acceptable et licite qu’en respectant les conditions de légalité, de proportionnalité et d’intérêt public prépondérant (art. 4 LPD).
  • La première et la dernière condition de l’art. 4 LPD ne créent guère de problème. Le législateur suisse a édicté des dispositions légales suffisamment précises (art. 261 CPP et les dispositions de l’Ordonnance sur les données signalétiques) indiquant aux intéressés dans quelles circonstances et sous quelles conditions l’autorité policière peut s’ingérer dans leur vie privée pour traiter des données signalétiques[6].
  • Quant à l’intérêt public, dans le cadre de la lutte contre la criminalité, il est essentiel d’identifier rapidement les potentiels criminels. Sans suspect, aucune procédure judiciaire n’a lieu d’exister, extensivement aucun crime ne peut être puni. Toute société démocratique est en droit de protéger la collectivité et de punir les criminels. La conservation des données dactyloscopiques vise ce but légitime de détection des infractions pénales et, par voie de conséquence, de prévention de celles-ci.
  • L’atteinte aux droits de la personnalité subie par l’enregistrement des données dans le système automatisé et leur regroupement en cas d’identification avec d’autres données personnelles n’est donc pas injustifiable. Faut-il encore que la proportionnalité soit respectée.
  • Dans l’affaire et Marper c. Royaume-Uni, la Cour européenne rappelle que la protection de la vie privée (art. 8 CEDH) est affaiblie de manière inacceptable si l’usage des techniques informatisées est effectué à n’importe quel prix et sans mise en balance des intérêts en présence. En particulier, la Cour estime qu’il n’est pas proportionné de conserver les données indéfiniment, ou concernant des personnes acquittées ou au bénéfice d’un non-lieu[7].
  • Ces quelques remarques d’ordre général nous amènent à nous déterminer sur le fichier AFIS, tel qu’il est conçu et exploité par le service AFIS ADN.
  • Au début du processus d’identification, la police cantonale attribue un numéro de contrôle de processus permettant la pseudonymisation des empreintes utiles à l’enquête. Le couplement de l’empreinte digitale avec l’identité de la personne, soit avec le fichier IPAS, n’est effectué que dans l’hypothèse où l’identification est réalisée. De surcroît, la transmission du résultat se fait via une plateforme de communication spécialement créée à cet effet, ce qui permet un transfert sécurisé des données personnelles.
  • Dans ces circonstances et après investigation, le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence a constaté que la protection des données est totalement respectée[8]. A noter que cette constatation est applicable par analogie au respect des conditions sur la protection des données imposées par les art. 95 ss CPP, lorsqu’une procédure pénale est pendante. Par conséquent, l’atteinte à la liberté personnelle et à la sphère privée est justifiée et le traitement n’est pas abusif au sens de l’art. 13 al. 2 Cst.
c. L’exception de l’art. 261 al. 2 CPP
  • A la lumière de l’évolution dans la pratique de l’identification judiciaire grâce aux empreintes digitales et de la procédure pénale unifiée, il est intéressant de constater que les risques d’atteintes illicites, voire abusives, ne sont pas inexistants.
i. Le passé, le présent et le futur possible du champ d’application personnel
  • Avant l’unification de la procédure pénale, la plupart des cantons limitaient les mesures d’identification aux seules personnes suspectées d’avoir commis un crime ou un délit. La prise d’empreintes digitales et leur éventuelle conservation ne concernaient en aucun cas les auteurs d’une simple contravention ou les tiers n’ayant pas le statut de prévenu ou de suspect.
  • Depuis l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale fédéral, le champ d’application personnel s’est quelque peu élargi, notamment en octroyant la possibilité de saisir des données signalétiques en cas de commission d’une contravention. En outre, même s’il est exacte que – sauf application de l’exception de l’art. 261 al. 2 CPP – la conservation et l’utilisation des données signalétiques subséquentes à la procédure pénale ne concernent que les données individuelles d’une personne rendue coupable ou acquittée pour cause d’irresponsabilité, la conservation des empreintes digitales des personnes reconnues comme ne pouvant pas être l’auteur de l’infraction ou disculpées est interdite; l’insertion des empreintes digitales dans la base de données AFIS, voire la liaison avec le fichier IPAS, touche, en revanche, tout individu ayant fait l’objet d’une identification.
  • L’évolution de la pratique judiciaire dans le domaine des empreintes digitales impliquant le développement du champ d’application personnel concerne donc exclusivement la saisie et le traitement des données. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les pratiques changent et les mœurs aussi. L’art. 261 al. 2 CPP ouvre une nouvelle porte, celle de la conservation des données signalétiques d’une personne acquittée moyennant le respect de certaines conditions. Il est légitime de se poser la question d’un élargissement plus conséquent du champ d’application personnel. Il n’est pas inconcevable que, dans un futur plus ou moins proche, la totalité de la population soit inscrite dans ce registre informatisé.
  • Mais qu’en serait-il de la proportionnalité si une base légale était édictée dans ce sens? Vraisemblablement, une telle pratique ne devrait pas pouvoir se justifier par la nécessité de répression des infractions pénales. Elle irait à l’encontre de la présomption d’innocence et de l’interdiction du fishing expedition.
  • Concernant la présomption d’innocence, s’il est exact que l’inscription des empreintes digitales de la totalité de la population ne serait pas signe de soupçon, il ne fait nul doute que nous aurions tous l’impression d’être considérés comme de potentiels coupables[9].
  • Pour employer une mesure coercitive, des soupçons suffisants sur la commission d’une infraction doivent exister. La doctrine et la jurisprudence en déduisent l’interdiction d’une recherche indéterminée de moyen de preuve, nommé le fishing expedition[10]. Un acte de procédure ne doit pas être effectué pour obtenir une série d’informations et qui ne serait justifié qu’ultérieurement par des soupçons.
  • Actuellement, la saisie et l’enregistrement systématique des empreintes digitales de toute la population est donc incompatible avec le respect des libertés en cause. Cependant, le droit évolue. Les accords fiscaux entre la Suisse et divers Etat tiers, tel que les Etats-Unis, démontrent une volonté croissante d’échange d’informations se basant sur un ensemble de circonstances sans que de réels soupçons existent ou qu’un but déterminé ne soit visé. La Suisse a toujours trouvé des compromis pour éviter le fishing expedition[11]. Pendant, longtemps, les fiscalistes étaient inquiets de voir la limite d’un tel principe s’amoindrir de plus en plus[12]. Leurs inquiétudes se sont révélées légitimes puisque, notamment, l’échange automatique d’informations entre la Suisse et l’Union européenne sur les intérêts perçus et produits d’assurance-vie est applicable depuis le 1er janvier 2015 et s’étendera à toutes les données requises par l’OCDE dès le 1er janvier 2017. Il n’est donc pas dénué de sens de s’inquiéter qu’une recherche indéterminée d’empreintes digitales puisse se justifier – par exemple – par la croissance de la criminalité et la volonté toujours plus grande de punir les criminels au nom de la sécurité publique.
  • De la possibilité de saisir et d’enregistrer le profil en cas d’infraction de crime ou de délit, nous avons élargi ce moyen de contrainte aux contraventions et exceptionnellement aux personnes acquittées (art. 261 al. 2 CPP). Personne ne peut prédire l’avenir et exclure que la limite s’amoindrisse avec le fishing expedition.
  • Alec Jeffreys prône d’ailleurs le fichage génétique de l’intégralité de la population[13]. Cette volonté peut être appliquée par analogie au fichage des empreintes papillaires dès lors qu’elles visent le même but d’identifier l’auteur de l’infraction. Par ailleurs, d’après le Professeur Jeffreys, afin d’éviter des recherches de preuve sans fondement, il suffirait qu’une entité indépendante gère le fichier et que l’autorité policière puisse consulter le fichier qu’avec l’autorisation d’un juge. Les juristes doivent donc rester prudents quant à la possibilité de ficher tout un chacun.
  • Notons encore qu’aujourd’hui, le passeport biométrique nécessite la prise d’empreintes de deux doigts. Tout individu muni d’un passeport biométrique voit ses empreintes fichées. Pour l’heure, la transmission de ces données ou leur utilisation à des fins judiciaires n’est pas prévue, mais, comme énoncé précédemment, l’évolution en matière de mesure d’identification est incertaine. Il n’est dès lors pas inutile de s’inquiéter quant à la possibilité de coupler toutes ces données dans le cadre juridique, s’il est prouvé que dans le cas concret l’usage de la banque de données ISA[14] par le service AFIS ADN est nécessaire et dans l’intérêt de la sécurité publique. Ce processus correspondrait à l’idée d’Alec Jeffreys concernant le fichage génétique.
  • La question se pose néanmoins de savoir si un intérêt public pourrait justifier le fichage des empreintes digitales de la totalité de la population et la transmission des données en cas de présomption liée à une infraction pénale. Outre se prémunir contre la criminalité, le fichage automatique de l’intégralité de la population permet d’éviter la discrimination et d’augmenter les scores effectués par la base de données et peut permettre de diminuer les erreurs judiciaires liées à un mauvais résultat identificatoire ou un résultat peu probant. Mais est-ce suffisant pour exclure l’interdiction du fishing expedition, ainsi que violer la présomption d’innocence?
  • En l’absence de visualisation de l’avenir, la question d’un tel traitement reste ouverte, mais il nous faut garder à l’esprit que si l’usage évolue ainsi, les atteintes à la sphère privée seront particulièrement graves.
ii. La légalité de l’exception de l’art. 261 al. 2 CPP
  • Une autre crainte liée à l’application de l’exception issue de l’art. 261 al. 2 CPP existe.
  • L’art. 261 al. 2 CPP fait exception au principe général selon lequel une personne acquittée ou ayant fait l’objet d’une ordonnance de non-entrée en matière est innocente et que, partant de là, elle a le droit de voir ses données personnelles effacées. En effet, cette disposition légale prévoit que les données signalétiques peuvent être conservées et utilisées durant dix années à compter de l’entrée en force de la décision d’acquittement ou de non-entrée en matière, si les faits permettent de supposer que les données serviront pour élucider une future infraction.
  • Dans sa jurisprudence, nous en avions fait état[15], en cas d’ingérence à l’exercice des droits garantis par la CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme exige que la loi édictée use de termes clairs permettant à la personne concernée de connaître les circonstances et les conditions auxquelles elle est soumise lors de mesures d’identification et de conservation de ses données. Cette exigence a d’ailleurs été l’un des arguments clé du Tribunal fédéral pour déterminer si les réglementations fédérale et cantonale étaient suffisantes pour permettre le traitement de données sensibles[16]. Pourtant, la formulation de l’alinéa 2 de l’art. 261 CPP est des plus vagues. Les termes « certains faits« , « permettent de supposer » et « futures infractions« , ainsi que l’utilisation du futur – « serviront » – ne fournissent aucune indication concrète.
  • Quand les faits sont-ils suffisants? A partir de quelle limite devons-nous reconnaître que les données signalétiques pourraient être utiles ultérieurement? Comment déterminer si elles seront à même de permettre l’élucidation d’un acte criminel? Que signifie « futures infractions« : est-ce une infraction ayant été commise et en cours d’investigation, ou uniquement la possibilité qu’un tel acte soit commis? Le pluriel utilisé se limite-t-il à « au moins deux infractions » ou en faut-il plus? Doivent-elles être du même genre ou d’une certaine gravité?
  • Ni le Conseil fédéral, ni la doctrine ne répondent à ces interrogations. Le message du Conseil fédéral se borne à affirmer que les risques d’abus ou l’application systématique de la clause d’exception sont évités par la subordination à l’autorisation de la direction de la procédure pour la conservation au-delà de la durée ordinaire[17]. Cet argument ne nous convainc guère!
  • Qu’il s’agisse d’une décision unique des autorités de police ou d’une décision soumise à autorisation, la différence réside dans la double analyse du respect des conditions qui n’est pas exempt du spectre de l’arbitraire. Par cette base légale, les autorités pénales ont une large marge d’appréciation pour savoir dans quel cas l’exception peut ou non être appliquée[18].
  • Quant à la doctrine, seule Sandrine Rohmer tente de reconnaître la légalité de l’exception de l’art. 261 al. 2 CPP en énonçant qu’il suffit d’utiliser cette possibilité de manière restrictive et sous couvert d’une stricte proportionnalité pour ne pas porter atteinte à la présomption d’innocence[19]. Or, même s’il nous paraît discutable de pouvoir restreindre à ce point la présomption d’innocence en restant proportionnel, la question peut rester ouverte, puisque la problématique est en amont et concerne la clarté de la base légale.
  • De même, si nous reconnaissons que l’usage abusif de cette exception est limité, voire évité, par la demande d’autorisation, la problématique de l’imprécision de la base légale demeure.
  • Contrairement à l’obligation de précision commandée par la Cour européenne des droits de l’homme et par le Tribunal fédéral[20], il est impossible de prévoir dans quelles circonstances les empreintes digitales d’un innocent peuvent être conservées. Dès lors, un usage abusif de cet alinéa n’est pas exclu impliquant une possible atteinte au droit à l’autodétermination informationnelle (art. 13 al. 2 Cst).
  • De plus, l’art. 261 al. 2 CPP est essentiellement axé sur la prévention et ne confère pas la garantie fondamentale à toute personne d’être considérée comme innocente[21] demandant que les autorités policière et judiciaire ne tiennent pas un intéressé pour coupable alors même qu’une décision d’acquittement ou de non-lieu est entrée en force[22]. In casu, l’application de l’art. 261 al. 2 CPP peut laisser penser que les soupçons sur la personne subsistent durant dix ans, puisque le matériel est conservé[23].
  • Comme le relève la Cour européenne des droits de l’homme[24], ce type de disposition va à l’encontre de la présomption d’innocence (art. 6 § 2 CEDH, art. 14 § 2 Pacte II, art. 32 al. 1 Cst et art. 10 al. 1 CPP). Certes, la conservation des données personnelles n’équivaut pas en tant que telle à l’expression d’un soupçon planant sur une personne acquittée ou non-accusée, mais renforce le sentiment de cette personne de ne pas être considérée comme innocente.
  • Alors qu’en règle générale ses données personnelles doivent être effacées, il est légitime que l’individu concerné par l’exception de l’art. 261 al. 2 CPP ait l’impression d’être coupable d’un méfait. Le risque d’une telle stigmatisation est loin d’être anodin puisque la personne acquittée ou sous le couvert d’une décision de non-entrée en matière est traitée à égal avec une personne condamnée à une peine privative de moins d’une année (art. 369 al. 1 let. c CP).
  • En conséquence, à notre avis, l’application généralisée de l’art. 261 al. 2 CPP atteint à la liberté personnelle, à la sphère privée et à la présomption d’innocence de manière inacceptable. Pour qu’une telle restriction soit justifiée, la Cour européenne des droits de l’homme affirme que l’autorité policière doit avancer de puissantes raisons, sans quoi la proportionnalité ne serait pas respectée[25]. La justification de cette conservation devrait se baser sur des critères précis, tels que la gravité de l’infraction, les arrestations antérieures, le risque élevé de récidive, la force des soupçons pesant sur la personne ou tout autre argument qui limiterait l’application de la clause d’exception[26]. En l’état, l’art. 261 al. 2 CPP nous paraît être rédigé dans des termes trop vagues pour justifier l’atteinte à la sphère privée, à la liberté personnelle et à la présomption d’innocence.
d. La durée de conservation
  • Le système automatisé des empreintes digitales est un outil précieux pour les experts dactyloscopes et pour la justice. Toutefois, son utilisation doit être contrôlée et parcimonieuse. Il est essentiel de garder à l’esprit que tout enregistrement, traitement et conservation de données personnelles ou des profils de la personnalité peut porter atteinte de manière plus ou moins importante aux garanties fondamentales de l’art. 10 et 13 Cst ainsi que de l’art. 10 al. 1 CPP – respectivement de les art. 6 et 8 CEDH et art. 14 et 17 Pacte II –, et que la condition de proportionnalité doit être particulièrement bien examinée lors de l’usage informatisé des empreintes papillaires.
  • Dans le cadre de la conservation des empreintes papillaires, l’examen de la proportionnalité quant à la sauvegarde de ces données s’effectue principalement à l’aide du facteur temps. En effet, le Tribunal fédéral a reconnu qu’il était disproportionné de conserver indéfiniment les empreintes papillaires[27].
  • Tant le Code de procédure pénale fédéral que l’Ordonnance relative au traitement des données signalétiques biométriques (AFIS-O) prévoit une durée de conservation limitée.
  • L’AFIS-O n’exige l’effacement automatique des données personnelles qu’après une durée de trente ans (art. 17 al. 3 AFIS-O). En revanche, la conservation de moindre durée est soumise à demande de l’autorité policière. Le risque qu’aucune demande ne soit réalisée n’est pas inexistant. Un oubli ou une mauvaise gestion peut influer sur l’absence des demandes laissant planer l’emploi abusif de ces données (13 al. 2 Cst).
  • Avec l’évolution des bases de données et le nombre toujours croissant d’empreintes papillaires enregistrées et à défaut de demande par l’autorité compétente, la crainte de voir les données conservées durant trente années s’accroît. Pour une bonne application de l’art. 17 AFIS-O, il faudrait s’assurer d’une gestion convenable et surveillée des durées de conservations par les autorités policières cantonales.
  • En appliquant l’art. 369 CP, l’effacement des données signalétiques se fait d’office après écoulement du délai dépendant de la sanction décidée. Ainsi, le risque de la violation de la sphère privée (13 al. 1 Cst) et de l’emploi abusif des données (13 al. 2 Cst) est écarté, si tant est que le système soit correctement géré.
  • La proportionnalité semble donc respectée du point de vue de la destruction des données quelle que soit la disposition appliquée. Toutefois, ces deux dispositions ne sont pas similaires: l’une prévoit l’effacement sur demande, alors que l’autre instaure la destruction d’office après écoulement du délai. A nouveau, nous affirmons notre préférence pour l’application de l’art. 369 CP aux dépends de l’art. 17 AFIS-O, les risques de non-respect de la proportionnalité étant amoindris[28].
212[1] Buquet, p. 165; Egli, p. 55.

[2] A ce sujet: Egli, p. 56.

[3] CourEDH, Affaire S. et Marper c. Royaume-Uni, arrêt du 4 décembre 2008, 30562/04 et 30566/04, § 84.

[4] ATF 109 Ia 146, 157; SJ 1990 561, 563; ATF 113 Ia 257, 263; ATF 120 Ia 147, 149 = JdT 1996 IV 61, 61; ATF 122 I 360, 362 = JdT 1998 I 203, 204-205; ATF 128 II 259, 262 = JdT 2003 I 411; TF 1P.363/2006 du 12 septembre 2006, c. 2.2.

[5] A ce sujet: DSG-Belser, Noureddine, p. 421-422 et 426; Meier P., p. 197-198 et 201; PFPDT, Rapport 2004/2005, p. 64; Rosenthal, Jöhri, art. 3 N 8 ss.

[6] CourEDH, Affaire Leander c. Suède, arrêt du 26 mars 1987, 9248/81, § 54-55; CourEDH, Affaire Antunes Rocha c. Portugal, arrêt du 31 mai 2005, 64330/01, § 67; CourEDH, Affaire El Haki c. Belgique, arrêt du 25 septembre 2012, 649/08, § 104.

[7] CourEDH, Affaire S. et Marper c. Royaume-Uni, arrêt du 4 décembre 2008, 30562/04 et 30566/04, § 122.

[8] Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence, Etablissement des faits par le PFPDT : utilisation de profils d’ADN dans les procédures pénales et à des fins d’identification de personnes inconnues ou disparues, Berne 2005, disponible sur : http://www.edoeb.admin.ch [consulté le 08.05.2016].

[9] CourEDH, Affaire Rushiti c. Autriche, arrêt du 21 mars 2000, 28389/95, § 31; CourEDH, Affaire S. et Marper c. Royaume-Uni, arrêt du 4 décembre 2008, 30562/04 et 30566/04, § 122.

[10] ATF 103 Ia 206, 211-212 = JdT 1979 IV 16; ATF 121 II 241, 242-243; ATF 122 II 367, 371 = JdT 1998 IV 127; ATF 125 II 65, 73-74; ATF 134 II 318, 327; ATF 136 IV 82, 85; Moor, Flückiger, Martenet, p. 989; Schmid, Strafprozessrecht, p. 265; StPO-Keller, art. 241 N 5.

[11] Le Temps, "Avec l'échange automatique, nous allons avoir quelques années difficiles devant nous", article du 9 avril 2015; L'Hebdo, Les enjeux du deal avec les Etats-Unis, article du 11 juin 2009.

[12] Amado, Molo, p. 545; Behnisch, p. 753-755; Le Temps, 4450 noms, sans amende, article du 20 août 2009; Oberson, p. 142.

[13] Le Monde, Les limites des fichiers génétiques de la police, article du 22 décembre 2003.

[14] Infra Partie II, Chapitre 3, III, B, 2, f, n° 2225.

[15] CourEDH, Affaire Leander c. Suède, arrêt du 26 mars 1987, 9248/81, § 54-55; CourEDH, Affaire Antunes Rocha c. Portugal, arrêt du 31 mai 2005, 64330/01, § 67; CourEDH, Affaire El Haki c. Belgique, arrêt du 25 septembre 2012, 649/08, § 104.

[16] ATF 122 I 360, 362 = JdT 1998 I 203, 204-205.

[17] Message, CPP, p. 1226.

[18] Schmid, Praxiskommentar, art. 261 N 11.

[19] CR-CPP-Rohmer, art. 261 N 20-23; StPO-Hansjakob, art. 261 N 8.

[20] ATF 122 I 360, 364 = JdT 1998 I 203, 206-207; ATF 136 I 87, 91 = JdT 2010 I 367, 370; CourEDH, Affaire Malone c. Royaume-Uni, arrêt du 2 août 1984, 8691/79, § 66; CourEDH, Affaire Leander c. Suède, arrêt du 26 mars 1987, 9248/81, § 54-55; CourEDH, Affaire Antunes Rocha c. Portugal, arrêt du 31 mai 2005, 64330/01, § 67; CourEDH, Affaire El Haki c. Belgique, arrêt du 25 septembre 2012, 649/08, § 104.

[21] Schmid, Praxiskommentar, art. 261 N 11.

[22] CourEDH, Affaire Rushiti c. Autriche, arrêt du 21 mars 2000, 28389/95, § 31.

[23] ATF 120 Ia 147, 155 = JdT 1996 IV 61, 61-62; CourEDH, Affaire S. et Marper c. Royaume-Uni, arrêt du 4 décembre 2008, 30562/04 et 30566/04, § 103.

[24] CourEDH, Affaire S. et Marper c. Royaume-Uni, arrêt du 4 décembre 2008, 30562/04 et 30566/04, § 122.

[25] CourEDH, Affaire S. et Marper c. Royaume-Uni, arrêt du 4 décembre 2008, 30562/04 et 30566/04, § 123.

[26] CourEDH, Affaire S. et Marper c. Royaume-Uni, arrêt du 4 décembre 2008, 30562/04 et 30566/04, § 119.

[27] ATF 120 Ia 147, 152 = JdT 1996 IV 61, 61.

[28] Supra Partie II, Chapitre 2, I, B, 1, b, iii, n° 592 ss.

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