T163 – b. Les problématiques liées à l’exploitation et à l’administration de la preuve dactyloscopique

i. L’absence de standard minimum
  • Alors même qu’une analyse dactyloscopique ne repose pas sur un minimum de similitudes, les dactylotechniciens suisses n’ont pas le droit de fournir un avis qualifié pour éviter tout risque de confusion ou d’incompréhension dans l’esprit du juge. Ces deux pratiques sont contradictoires.
  • En réfutant l’avis qualifié par manque d’univocité et en acceptant que l’expert ne prouve pas numériquement les concordances, la certitude est donnée par l’univocité, mais n’est pas démontrable mathématiquement ou objectivement.
  • Pour garantir un niveau de qualité, d’infaillibilité et d’objectivité supplémentaire de la preuve dactyloscopique, il nous semble – en accord avec le Professeur Champod[1] – obligatoire de fixer un nombre de similitudes à mettre en évidence ou tout du moins d’instaurer un intervalle et de permettre l’annonce du résultat en terme probatoire, ce qui permettrait d’assurer un minimum de certitude.
  • Certes, l’absence d’un standard numérique est en partie avantageuse augmentant les possibilités d’individualisation[2], mais ce manque de limite cause également des complications, voire des désagréments.
  • Depuis 2007, pour obtenir un résultat identificatoire indiscuté, l’expert doit être suffisamment expérimenté[3]. Consécutivement, la formation des experts doit être importante et suffisante. La surestimation de l’expérience de l’homme de l’art, voire une formation lacunaire ou critiquable, peuvent influencer les conclusions identificatoires et créer un risque quant à leur valeur, sans qu’il soit possible de contrebalancer ou confirmer à l’aide de la correspondance numérique le résultat.

  • L’expérience et les qualifications de l’expert sont donc essentielles pour déterminer la qualité des conclusions dactyloscopiques. L’établissement d’un standard numérique permettrait notamment aux dactyloscopes débutants d’effectuer avec sûreté une identification[4]. Une limite stricte ne paraît en revanche pas opportune. Un dactyloscope dont l’expérience est largement prouvée peut combler les lacunes du nombre supérieur de minuties exigé grâce à ses connaissances.
  • Il est rare qu’une demande soit effectuée par le magistrat pour connaître le degré de professionnalisme du dactyloscope auteur de l’analyse et encore moins pour savoir quelles capacités sont demandées pour l’examen d’une empreinte précise. Pour certifier la fiabilité et la certitude apportée par la preuve dactyloscopique, sans devoir enquêter sur les qualités du dactyloscope ou celles de l’empreinte papillaire, il nous paraît donc préférable d’établir un intervalle numérique.
  • La fixation d’un standard – qui ne saurait être trop restreint, l’exigence de six à douze minuties nous semble être un compromis idéal pour exploiter la fréquence de certains types de minuties sans baser la valeur probatoire uniquement sur l’expérience de l’expert[5] – assure la fiabilité et la certitude apportée par la preuve dactyloscopique, sans empêcher le recours au processus identificatoire qualitatif et quantitatif.
  • Certains dactyloscopes expriment de la réticence face à l’instauration d’un standard minimum en voyant dans un tel procédé l’empêchement d’analyser la qualité et la quantité des points caractéristiques et du dessin papillaire. Néanmoins, outre qu’elle n’entre pas dans la logique de l’argumentation liée à l’interdiction de l’avis qualifié, l’absence d’un standard numérique ne constitue pas le passage obligatoire pour analyser les empreintes en s’intéressant au caractère qualificatif et quantitatif.
  • L’application d’un intervalle permet de prendre en considération les particularités d’un type de minuties ou d’une direction des crêtes dermatoglyphes, et ceci en assurant une certaine fiabilité aux magistrats de fond qui peuvent s’assurer au surplus d’un nombre de minuties concordantes.
  • Ainsi, que la comparaison soit réalisée par un expert débutant ou non, le juge pourra d’une manière plus sûre se fier aux déclarations identificatoires.
  • De surcroît, l’approche holistique suisse n’est pas sans conséquence sur le plan international. Le manque d’uniformisation universelle entre cette pratique et celle empirique, ainsi que l’absence d’un standard numérique mondial est également source de difficultés.
  • Paradoxalement, alors que les scientifiques et les juristes reconnaissent que la force identificatoire provient de sa nature scientifique, sa démonstration varie d’un continent à l’autre, voire d’un pays à l’autre. Il est ainsi regrettable qu’une empreinte papillaire présentant six minuties peu fréquentes ait une valeur identificatrice formelle en Suisse, alors qu’en Grande-Bretagne, le processus d’identification se basant sur les seize minuties obligatoires, la preuve dactyloscopique ne sera pas exploitable.
  • Les différentes philosophies selon les pays nous amènent à nous poser la question suivante: si l’identification est certaine et fiable grâce à la science, pourquoi la preuve serait introduite en Suisse, mais niée d’office en Grande-Bretagne?
  • L’absence d’uniformisation mondiale nous permet d’affirmer que la part de subjectivité des dactyloscopes suisses n’est pas si faible qu’il n’y paraît[6]. C’est en effet par leur affirmation que la justice a reconnu qu’un standard minimum n’était pas nécessaire pour admettre une identification. Extensivement, ce sont les scientifiques eux-mêmes qui ont déclaré à la Cour à partir de quand une preuve est fiable scientifiquement, alors même que des dactyloscopes étrangers ne l’exploiteraient pas.
  • En définitive, la décision des juges suisses relative à l’identité de l’accusé est dictée presque essentiellement par les experts mettant à mal l’indépendance du magistrat. Alors qu’en théorie seul le juge est compétant pour décider sur le fond, et que l’homme de l’art ne doit jamais répondre à une question juridique même indirectement, la pratique démontre que tel n’est pas toujours le cas.
ii. L’expérience comme condition requise à l’évaluation des traces papillaires
  • Nous l’avons exposé brièvement[7], les qualifications professionnelles de l’expert dactyloscope permettent de tempérer le résultat identificatoire en l’absence de standard minimum.
  • Actuellement, il n’existe aucun programme informatique permettant de désigner quels types de minuties sont particuliers et lesquels sont fréquents. C’est pourquoi, avec l’approche holisitique, la formation des dactyloscopes s’est développée. L’étendue de l’expérience s’est imposée comme critère de fiabilité et des tests de qualité ou de vérification ont été mis en fonction.
  • La justesse d’une évaluation, notamment l’attribution d’une valeur correcte aux différents éléments de comparaison, et extensivement l’évaluation de la valeur probante scientifique, s’acquiert au fil des comparaisons avec la pratique et ne repose donc que sur la formation du dactyloscope[8].
  • L’appréciation de l’empreinte papillaire menant à l’identification soulève donc deux risques liés à la subjectivité de l’expert d’une part, et à son manque de formation d’autre part. La première problématique ayant déjà fait l’objet d’une exégèse[9], nous nous consacrons uniquement au problème relatif à la formation.
  • La Cour déclare la preuve dactyloscopique comme fiable car revêtant une valeur scientifique. Cette valeur étant liée aux connaissances de l’expert, si le dactylotechnicien est peu formé, les risques d’erreur identificatoire sont plus probables. Ce constat implique que les conclusions de l’expert débutant ont moins de valeur que celles de l’expert aguerri. Cependant, il serait utopique de ne recruter que des dactyloscopes expérimentés qui ne peuvent l’être qu’en acquérant des années de pratique. Les dactyloscopes débutants doivent pouvoir s’entraîner, apprendre et pratiquer.
  • Pour limiter les risques d’erreur, le service AFIS ADN certifie que les dactylotechniciens de niveau 1 – premier niveau de formation et d’expérience – n’examinent et ne se déterminent que sur des empreintes évidentes et simples, soit ayant au moins douze minuties visibles sans pour autant qu’il existe douze points caractéristiques concordants en fin d’analyse. La fiabilité des résultats dépendant de l’expérience, il n’est en revanche pas possible de conclure à la similarité de la valeur probatoire selon que l’identification à l’aide de dix minuties concordantes – par exemple – est effectuée par un expert de niveau 1 ou de niveau 3. Pourtant, aucun arrêt du Tribunal fédéral ni des tribunaux cantonaux ne référence une discussion sur la différenciation de la preuve dactyloscopique en fonction de l’expérience du dactylotechnicien. Généralement, le juge du fond se borne à affirmer que la preuve est fiable, parce qu’elle a une valeur scientifique sans prendre en compte le fait que le résultat est issu d’un processus humain.
  • Pour les juristes, l’expérience comme indicateur de valeur probante est une caractéristique abstraite. A lecture de la jurisprudence, ils n’appréhendent pas la nécessité d’examiner les connaissances et la pratique dactyloscopique de l’expert pour déterminer la force probante d’une identification papillaire.
  • Le caractère qualitatif devant être pris en considération lors de l’évaluation de la force probante, tant par l’expert que par le magistrat, le juge du fond ne doit pas simplement se borner à déclarer la preuve d’identité certaine, mais rechercher en quoi elle l’est. Quant à l’expert, son expérience influençant la valeur probatoire lorsqu’il n’existe que peu de points communs, il nous paraît essentiel qu’il motive sa décision en expliquant le poids de ses connaissances et la valeur identificatrice réelle liée à son expérience à l’aide d’un avis qualifié[10].
iii. Les risques d’erreur
  • Nous l’avons examiné[11], les tribunaux et les scientifiques sont d’avis que la dactyloscopie est un moyen probatoire fiable et que le risque d’erreur peut être nettement amoindri, jusqu’à devenir inexistant, par le fait que la trace papillaire soit analysé par deux experts expérimentés successif, que le nombre de point de concordance soit acquis, voire que les caractéristiques des minuties soient de haut niveau.
  • Or, l’affaire Mayfield démontre que, malgré ces précautions, ni les experts dactyloscopique, ni la justice n’est à l’abri d’une erreur ayant pour conséquence une « fausse identification »[12].
  • Le 11 mars 2004 vers 7h30, un attentat terroriste perpétré dans quatre trains à Madrid provoque des centaines de morts et des milliers de blessés. D’importantes investigations scientifiques sont menées par les services de police du monde entier. Le FBI collabore également à ces investigations, plus spécifiquement à l’analyse des traces digitales retrouvées.
  • Lors des investigations, la police espagnole localise un véhicule volé près de la station d’où sont partis trois des quatre trains qui ont explosés. Un système de vidéosurveillance a capturé les images de trois individus suspects qui manipulent un sac à dos avant d’entrer dans le hall de la gare. Les investigations menées sur le véhicule permettent de découvrir un sac plastique bleu rempli de détonateurs et de reliquats d’explosifs identiques à ceux utilisés pour commettre les attentats. Des traces papillaires sont retrouvées sur le sac plastique et sur la voiture.
  • Le 15 mars 2004, le FBI analyse notamment une trace digitale relevée sur ledit sac plastique. Ce service commence par comparés la trace aux millions d’empreintes présentes dans le fichier automatisé des empreintes digitales américain (AFIS).
  • Trois bases de données internes à AFIS sont consultées: celle des délinquants (empreintes enregistrées par les services de police), des civils (militaires ou employés du gouvernement) et celle des individus suspectés d’être des terroristes. Pour chaque base de données, le fichier propose vingt « candidats » dont une des dix empreintes de doigt correspond à la trace analysée.
  • Le 16 mars 2004, un premier expert commence par comparer la trace aux vingt premiers candidats proposés par AFIS. Dès la quatrième comparaison, le dactylotechnicien identifie un individu américain.
  • Un second expert confirme l’identification de l’individu.
  • Le nom du suspect est alors révélé, il s’agit de Brandon Mayfield. Il a été identifié grâce à sa fiche dactyloscopique de l’armée, ainsi qu’à celle établie en 1989 lorsqu’il était adolescent et avait commis un vol.
  • Le 13 avril 2004, la police scientifique espagnole interpelle le FBI dans un rapport circonstancié. Ils sont en désaccord avec le rapprochement effectué entre Brandon Mayfield et la trace papillaire. Le FBI ne prend pas acte des doutes de la police espagnole et confirme le résultat. Le service est affirmatif dès lors que des caractéristiques de niveau 3 ont été analysées et qu’il y a suffisamment de points de concordance.
  • Or, les experts espagnoles relève que sept minuties discordantes existent. Le Chef du FBI constate ce point, mais le justifie par une éventuelle superposition et par la différence de pression entre l’empreinte du suspect et la trace visualisée sur le sac plastique.
  • Le 6 mai 2004, Brandon Mayfield est arrêté et mis en détention dans un quartier de haute sécurité jusqu’au 20 mai 2004.
  • En parallèle, lors de leurs investigations, la police espagnole identifie un suspect Ouhnane Daoud. Ses empreintes se trouvent dans le fichier espagnol. La police scientifique compare donc les empreintes de Ouhnane Daoud aux traces retrouvées sur le sac plastique. Quatorze minuties concordent.
  • Le 19 mai 2004, le FBI est informé de cette identification. De nouvelles analyses sont effectuées et le 20 mai 2004, sous conditions strictes, Brandon Mayfield est libéré. Quatre jours plus tard, le FBI présente ses excuses à Brandon Mayfield et à sa famille.
  • Les causes de cette « fausse identification » sont nombreuses.
  • Le nombre inhabituel de similitudes: dix minuties identifiées comme des arrêts de ligne et des bifurcations ont été retrouvées sur l’empreinte de Brandon Mayfield. Ces similitudes sont fréquentes quant au type de minuties, mais, dans le cas particulier, elles se trouvaient au même endroit, dans le même sens et avec le même nombre de crêtes, ce qui est rare.
  • Le raisonnement des experts: le fait que dix minuties se trouvant au même endroit, dans le même sens et avec le même nombre de crêtes entre elles ont largement influencé l’avis des dactylotechniciens. Ces circonstances ont amené les experts à examiner et identifier des minuties qui étaient peu définies.
  • La prise en considération de caractéristiques de niveau 3: ces éléments sont détaillés. Cela étant, ce type de caractéristiques peut varier considérablement selon la pression effectuées ou encore le mode de révélation de la trace.
  • La mauvaise interprétation des experts pour les discordances observées: malgré que sept discordances étaient présentes, le FBI n’a pas écarté l’identification de Brandon Mayfield. Au lieu de conclure à l’exclusion du suspect, les experts américains ont déclaré que les dissimilitudes provenaient d’une superposition d’empreintes.
  • La mauvaise qualité de l’image: les dactylotechniciens du FBI n’ont jamais étudié la trace originelle. L’image reçue par les experts américains était de faible qualité.
  • Ainsi, malgré que les dactylotechniciens américains se basent sur une analyse qualitative et quantitative, ils n’existent pas de « standard minimum » du nombre de minuties concordantes obligatoires. Cela étant, même en prenant en considération un « standard minimum », les analyses effectuées par le FBI menait à une « fausse identification » au vu des erreurs grossières commises et du fait que quinze minuties concordantes avaient été trouvées.
  • L’affaire Brandon Mayfield démontre que la police scientifique n’est pas infaillible et que la culpabilité d’un suspect ne doit jamais reposer sur la seule identification dactyloscopiques.
  • Malgré que la police scientifique essaye de limiter les erreurs en mettant en place des protocoles stricts (nombre de minuties, analyse par deux experts, probabilité, etc.), les erreurs sont possibles, ce que n’envisagent pas toujours les magistrats.
  • Ainsi, force est de constater que les juristes ne devrait pas admettre la preuve identificatoire par les empreintes papillaires, mais uniquement la présomption quant à l’identité du suspect[13]. C’est pourquoi, les dactyloscopes préconise l’emploi de la méthode ACE-V – analyse, comparaison, évaluation (probabiliste) et vérification – afin d’assurer cette présomption identificatoire et de faire état du ratio d’erreur possible, ceci permettra au dactyloscope de ne pas conclure à une identification, mais à une statistique et/ou une probabilité, méthode préconisée dans le cadre des analyses ADN[14].
iv. Le manque de formation scientifique des juristes
  • Depuis l’arrêt Daubert, pour trancher l’admissibilité de la preuve dactyloscopique, les juges américains doivent examiner si la technique ou la théorie d’intérêt a été testée, son degré d’exposition auprès de la communauté scientifique, sa marge d’erreur connue ou potentielle et son acceptation générale[15]. En Suisse, il n’existe pas de réelle procédure d’admissibilité comme celle connue aux Etats-Unis.
  • La fiabilité scientifique est confondue avec l’appréciation de la preuve. Il est généralement admis que si la preuve scientifique est certaine, alors elle revêt automatiquement une force probante non négligeable. Néanmoins, le juge du fond helvétique doit motiver sa décision d’admission, malgré l’absence de procédure précise. De l’avis des juristes, cette obligation de motivation pose un rempart suffisant pour éviter de tenir une preuve non fiable ou non pertinente pour acceptable.
  • Bien souvent, l’admissibilité d’une preuve dactyloscopique se limite à la pertinence et à la nature scientifique du moyen probatoire. Plus rarement, voire de manière extrêmement ponctuelle, le juge apprécie librement les qualifications – souvent mal appréhendées – de l’expert. Ces deux constats impliquent que, bien souvent, une preuve scientifique traditionnelle est reconnue exploitable parce qu’elle l’a toujours été et qu’elle a donc suffisamment démontré sa fiabilité[16].
  • La conséquence de cette mauvaise procédure d’admissibilité est que les juges donnent souvent leur pleine confiance à l’expert mandaté, d’autant qu’il est supposé être neutre et impartial. Ils omettent régulièrement de discuter en profondeur de la valeur probatoire de la dactyloscopie.
  • L’admissibilité juridique devant toutefois être tranchée par le juge, nous attendons de la Cour qu’elle soit capable de comprendre le processus et les conclusions des analyses de l’expert afin d’évaluer et de se positionner sur l’identification. Il est donc essentiel que les juristes se familiarisent avec ce mode probatoire[17].
  • Actuellement, sur les questions d’ordre technique et sur la position de l’expert dans la procédure pénale, les juristes manquent cruellement de formation.
  • Il existe peu de jurisprudence sur l’appréciation de la valeur probante de la dactyloscopie. Néanmoins, un arrêt rendu par le Tribunal pénal fédéral[18] a particulièrement retenu notre attention. Les affirmations quant à la valeur probatoire des empreintes digitales ne sont pas étayées et les juges, probablement par manque de connaissances spécifiques concernant la dactyloscopie, ont entrepris des raccourcis erronés. Dans cette affaire, l’identité du coupable a été établie au moyen de ses empreintes digitales. Corrélativement à tout processus d’identification, les empreintes ont fait l’objet d’une recherche dans le fichier AFIS, puis d’une comparaison. Le recourant affirme que la valeur probante n’est pas suffisante. Pour réfuter cet argument, le Tribunal pénal fédéral déclare : « […], la valeur probante d’AFIS est très élevée et reconnue scientifiquement.« .
  • Nous sommes dans l’obligation de critiquer les dires du Tribunal. Le fichier AFIS n’est qu’une banque de données fournissant une liste d’individus correspondant à l’empreinte examinée sans fournir de résultat identificatoire. La preuve identificatrice ne dépend donc pas d’une base de données, mais de la qualité de l’empreinte détectée, de la quantité des points caractéristiques, du bon déroulement du processus de comparaison réalisé par l’expert et de la vérification effectuée par le second expert. En définitive, la preuve dactyloscopique est fiable ou ne l’est pas concrètement au vu du travail du dactyloscope et de ses qualifications.
  • Ce même arrêt révèle également que le Tribunal reconnaît la preuve dactyloscopique admissible et probante uniquement parce qu’elle a une valeur scientifique reconnue. A aucun moment la décision ne mentionne un débat sur la place identificatrice des empreintes digitales dans cette affaire, sur l’interprétation de cette preuve dans le cadre juridique et encore moins sur les qualifications de l’expert ou sur le risque d’erreur pouvant exister. Cette pratique va clairement à l’encontre de l’indépendance du juge, de la libre appréciation des preuves et de la théorie de la preuve morale demandant qu’aucune force persuasive ne soit prédéfinie[19]. Certes, le dactyloscope ne déclare pas que le suspect est coupable ou non, ceci reste une décision propre au juge. Cependant, ce dernier est lié par la portée, la fiabilité et le pouvoir identificatoire de la dactyloscopie reconnu par l’expert scientifique.
  • Pour limiter, voire éviter, la violation des principes de base relatifs à la preuve pénale, un standard fixant les principes d’interprétation scientifique, une compréhension de la terminologie dactyloscopique ainsi que la prise en considération des qualifications du dactyloscope doivent être instaurées.
  • Corrélativement à tout domaine préconisant des connaissances spécifiques, il est essentiel de former le mieux possible les juristes pour qu’ils puissent prendre connaissance correctement des conclusions, savoir ce qu’elles impliquent, entrevoir les diverses failles pouvant exister et ainsi pouvoir évaluer de façon critique le travail du dactylotechnicien. Ainsi, ils pourront poser les questions adéquates au dactyloscope, et s’intéresser de plus près à son expérience pour interpréter l’identification par les empreintes digitales dans la situation concrète sans influence, et en toute autonomie.
  • Aussi sûre qu’une science soit-elle, le travail d’analyse et de comparaison est effectué par un être humain, une erreur n’est donc pas inévitable, « errare humanum est« . Si cette marge de risque n’est pas prise en considération, il est impossible de fournir une valeur probatoire exacte à la preuve dactyloscopique[20].
v. Les limites de l’approche déterministe
  • L’empreinte digitale, palmaire ou plantaire étant individuelle et l’analyse des points caractéristiques permettant l’identification, a priori l’approche déterministe est suffisante et complète. Cependant, si nous creusons, nous constatons qu’une telle approche élude les problèmes liés aux traces papillaires fragmentaires, glissées, mal déposées ou à la révélation en deux dimensions.
  • L’empreinte indiciale est une empreinte de transfert, soit l’apposition d’une forme tridimensionnelle en bidimensionnelle, impliquant nécessairement une perte d’informations quantitatives et qualitatives. De telles traces sont donc généralement appréciées sous forme de probabilités. Par exemple, lorsqu’une molécule d’ADN est exhaustivement étudiée, un avis qualifié est rendu par l’expert génétique interprétant l’individualité de la trace. En ce sens, nous comprenons difficilement pourquoi une identification papillaire ne peut pas être accompagnée d’un avis qualifié.
  • L’argument en faveur de l’approche déterministe soulignant que la Cour ne s’appuierait pas sur une preuve non-univoque est fallacieux à la vue de la reconnaissance apportée à la preuve génétique fournit en termes probabilistes. Dès lors que des différences peuvent intervenir entre une empreinte inconnue et une empreinte connue – par exemple, un arrêt de ligne net analysé directement sur le doigt est flou sur un support –, il est difficile d’admettre que la preuve dactyloscopique est noire ou blanche avec une identification réalisée ou non. Le mode de conclusion identificatoire doit être, à notre avis, remis en question.
  • L’approche déterministe ne prend pas en considération la réalité des événements, puisqu’elle ne considère pas les différences et les changements opérés entre une trace de transfert et un dessin papillaire directement exploité sur le doigt d’un individu[21]. L’identification formelle n’est par conséquent pas réaliste.
  • Nous sommes d’avis que la preuve dactyloscopique se voulant un moyen probatoire objectif, elle ne peut s’entendre que statistiquement, c’est-à-dire en excluant une certaine partie de la population et en argumentant en fonction de la force signalétique des minuties analysées.
[1] Becue, Champod, Egli, Margot, p. 12 et 16; Becue, Champod, Egli, Moret, p. 18-10; Champod, Fingerprint, p. 7; Champod, Reconnaissance, p. 15; Champod, Friction Ridge Skin, p. 115; Champod, Overview, p. 308; National Research Council, p. 208 et 217 ss.

[2] Supra Partie II, Chapitre 2, I, B, 2, a, n° 618-622.

[3] Infra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, b, ii, n° 677 et 680-682.

[4] Champod, Reconnaissance, p. 16; Margot, Champod, p. 234.

[5] A ce sujet: Margot, Champod, p. 234.

[6] Benedict, p. 521; Champod, Reconnaissance, p. 15.

[7] Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, b, i, n° 663-664.

[8] Champod, Fingerprint, p. 7; Champod, Reconnaissance, p. 268; Champod, Friction Ridge Skin, p. 115; Champod, Overview, p. 308; Evett, p. 121; National Research Council, p. 208 et 217 ss.

[9] Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, b, i, n° 659 ss.

[10] Infra Partie II, Chapitre 2, I, C, 2, n° 724 ss.

[11] Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, a, n° 639 ss.

[12] Information disponible sur le site internet police scientifique: http://www.police-scientifique.com/brandon-mayfield [consulté le 08.05.2016]; Becue, Champod, Egli, Margot, p. 6; Champod, Friction Ridge Skin, p. 115; Expert working group, p. 21-38; National Research Council, p. 104-106.

[13] Champod, Fingerprint,, p. 7; Champod, Friction Ridge Skin, p. 115; Champod, Overview, p. 308; National Research Council, p. 109.

[14] Becue, Champod, Margot, p. 8; Becue, Champod, Egli, Margot, p. 18-21; Becue, Champod, Egli, Moret, p. 9-10; Campell, p. 633 et 640-641; Expert working group, p. 2-9 et 39-41; Holder, Robinson, Laub-Vanderkolk, Chapter 9-12 à 9-17; National Research Council, p. 12, 90-92 et 95-98.

[15] A ce sujet: Benedict, p. 522-523 et 526; Expert working group, p. 22; Hesler, p. 368; Holder, Robinson, Laub-Yamashita, French, Chapter 13-11 à 13-21; National Research Council, p. 12, 90-92 et 95-98.

[16] Champod, Vuille, p. 29; Le Douardin, p. 2.

[17] Champod, Taroni, RPS 1993, p. 224.

[18] RR.2007.173, c. 4.3.

[19] Champod, Reconnaissance, p. 268; Galluser, p. 46; Schmid, Handbuch, p. 82-83.

[20] Champod, Vuille, p. 37.

[21] Champod, Reconnaissance, p. 16-17; Margot, Champod, p. 236.

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