T077 – C. La libre appréciation, l’intime conviction et le doute

  • L’exigence de l’établissement des faits découlant de la présomption d’innocence (10 al. 1 CPP) et de l’adage in dubio pro reo (10 al. 3 CPP) entrent en contact direct avec l’appréciation des preuves (art. 10 al. 2 CPP, corollaire de la liberté des preuves consacrée à l’art. 139 al. 1 CPP)[1].

 

1. La libre appréciation des preuves

  • Dans le système des preuves morales ou système de l’intime conviction, la liberté de la preuve impose aux législateurs de ne pas fixer par avance la valeur probatoire d’un moyen de preuve. Le juge est libre d’apprécier chacune des preuves, il le fait selon sa conscience et ses croyances, sans s’en remettre à ses sentiments personnels, et n’est lié ni par le genre ni par le nombre des preuves[2].

  • Ainsi, le juge peut exclure un moyen de preuve pertinent et légal s’il considère que la valeur probante n’est pas suffisante ou qu’il cause un préjudice disproportionné pour l’accusé[3]. De même, il peut se déclarer convaincu par un élément mineur, en défaveur de l’existence d’autres éléments contraires, notamment, il peut écarter l’aveu en faveur de simples déclarations[4]. Il n’est pas non plus lié par les conclusions de l’expert. Il peut également fonder sa décision sur des moyens de preuves nouveaux ou inhabituels qui ont une valeur en vertu de la science, de la technique ou de l’expérience[5].
  • Cependant, le pouvoir discrétionnaire du juge n’est pas sans limite, dès lors que le droit procédural[6] et les droits de la défense doivent être respectés. Le principe d’immédiateté des débats, le droit d’être informé de ses droits et des faits à charge ainsi que le droit d’être entendu doivent permettre à l’accusé de préparer sa défense et de participer à la phase contradictoire. Ainsi, le juge n’appuie sa décision que sur des preuves ayant été produites à l’occasion des débats ou disponibles dans le dossier de procédure.

 

2. L’intime conviction et le doute

  • Le Code de procédure pénale invite les tribunaux à prendre une décision motivée en vertu de leur intime conviction (art. 10 al. 2 CPP cum 80 al. 2, 84 al. 1 et 5 CPP). Le juge est ainsi obligé de préciser les éléments de fait sur lesquels il fonde sa décision et doit faire preuve de cohérence dans son argumentation.
  • Propre au respect de la présomption d’innocence et à l’adage in dubio pro reo, le système de l’intime conviction emporte deux conséquences[7]. Lorsque le juge acquiert la certitude – exclusion de doutes irréductibles[8] – du déroulement des faits et de la faute de l’accusé, il rend une décision de culpabilité. Au contraire, dans l’hypothèse où le juge ne peut pas déterminer son intime conviction parce que des doutes insurmontables subsistent, il prononce l’acquittement. Toutefois, « [u]ne simple et lointaine possibilité théorique que les faits réels puissent être différents ne suffit pas pour justifier un acquittement […].« [9]. La violation de la présomption d’innocence n’est par conséquent invocable que dans l’hypothèse où « après appréciation exempte d’arbitraire sur l’ensemble des preuves, le juge aurait dû éprouver des doutes sérieux et irréductibles sur la culpabilité de l’intéressé.« [10].
  • Ainsi, l’adage in dubio pro reo doit être considéré davantage comme une règle de décision prescrivant au juge l’attitude à adopter en cas de doute et non une pure règle d’appréciation[11]. En tout état de cause, le juge doit, à l’aide des preuves administrées, transformer les soupçons en certitude pour permettre l’application du droit pénal[12]. Il ne fait donc plus de doute que la preuve est une prérogative essentielle et centrale à la procédure pénale.

 

[1] CR-CPP-Bénédict, Treccani, art. 139 N 2; CR-CPP-Verniory, art. 10 N 1; Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 117; Eicker, Huber, p. 37; Perrier Depeursinge, art. 10, p. 28-29; Riedo, Fiolka, Niggli, p. 36-37; Ruckstuhl, Dittmann, Arnold, p. 66-68; Schmid, Praxiskommentar, art. 10 N 1; StPO-Wohlers, art. 10 N 1.

[2] ATF 84 IV 171, 175 = JdT 1958 IV 155; ATF 103 IV 299, 300-301 = JdT 1978 I 476, 476-477; ATF 133 I 33, 36; ATF 135 V 53, 62; ATF 137 IV 219, 226 = JdT 2012 IV 126, 132; Bachelet, p. 67; Cornu Gérard, Vocabulaire juridique, 8ème éd., Paris 2007, p. 209; Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 61 et 118; Perrier Depeursinge, art. 139, p. 190; Riedo, Fiolka, Niggli, p. 37; Schmid, Handbuch, p. 82.

[3] CR-CPP-Bénédict, Treccani, art. 139 N 10; Viau, Preuve pénale, p. 115.

[4] Bouloc, p. 124; CR-CPP-Verniory, art. 10 N 34.

[5] SJ 1987 119, 124; RJJ 2004 269, 276.

[6] Supra Partie I, Chapitre 3, III, B, n° 293 ss.

[7] CR-CPP-Verniory, art. 10 N 46; Jeanneret, Kühn, p. 73; Jositsch, Strafprozessrechts, p. 22; Moreillon, Parein-Reymond, art. 10 N 16-18; Schmid, Praxiskommentar, art. 10 N 2 ss; StPO-Wohlers, art. 10 N 11-14.

[8] Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 60 et 118; Polizeiliche Ermittlung-Voser, p. 31; Schmid, Handbuch, p. 82.

[9] ATF 137 IV 219, 226 = JdT 2012 IV 126, 132; RVJ 2000 288, 299-300.

[10] ATF 120 Ia 31, 38-39 = JdT 1996 IV 79 = SJ 1994 541; ATF 124 IV 86, 89-91= JdT 1999 IV 136, 139-141; ATF 127 I 38, 40-41 = JdT 2004 IV 65, 67-68; ATF 135 V 53, 62.

[11] Notamment: Mettler Christoph, "In dubio pro reo" – ein Grundsatz im Zweifel, in  PJA 1999, p. 1107-1111, 1110; Müller Jörg, Der Grundsatz der freien Beweiswürdigung im Strafprozess (nach den Strafprozessordnungen des Bundes und des Kantons Zürich), Thèse de doctorat, Zurich 1992, p. 100; Sträuli, La jurisprudence récente du Tribunal fédéral en matière de procédure pénale – Thèmes choisis, in RPS 114(1996), p. 60-75, 69.

[12] Jositsch, Strafprozessrechts, p. 2; Schmid, Handbuch, p. 3 et 56-57.

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