T019 – 2. L’acide désoxyribonucléique

a. La découverte de la molécule d’acide désoxyribonucléique
  • Le XIXe siècle est marqué par les premières recherches concernant la molécule d’acide désoxyribonucléique abrégée ADN.
  • Au milieu du XIXe siècle, en croisant diverses variétés de pois, Georg Johann Mendel établit l’existence d’une transmission des caractéristiques biologiques des « parents » vers leurs « enfants »[1]. L’histoire de l’ADN étant étroitement liée au développement de la génétique, les travaux de Georg Johann Mendel vont influencer les recherches du XXe siècle visant à définir le rôle de l’ADN.
  • Au début des années 30, des théoriciens s’intéressent à la base moléculaire responsable de la conservation et de la transmission des caractéristiques héréditaires. Quatorze ans plus tard, le médecin et enseignant-chercheur Oswald Theodore Avery, en collaboration avec Colin MacLeod et Maclyn McCarty, démontrent que la molécule d’acide désoxyribonucléique est porteuse des caractéristiques héréditaires des êtres vivants[2]. Le rôle de l’ADN est identifié comme étant un support informatif, mais sa structure moléculaire est encore inconnue.
  • Dans le laboratoire de Cavendish à Cambridge au milieu de l’année 1952, James Dewey Watson et Francis Crick analysent la structure hélicoïdale à triple hélice proposée un an plus tôt par Linus Pauling et constatent que le chimiste et physicien américain a commis une erreur en omettant les liaisons peptidiques. Le 25 avril 1953, ils proposent un modèle hélicoïdal à double hélice[3]. Cette découverte est récompensée par le prix Nobel de physiologie et de médecine.
  • Quelques années plus tard, Francis Crick émet l’hypothèse que les informations génétiques proviennent d’une séquence d’ADN codée et déchiffre le code génétique en 1966[4]. Aujourd’hui, le décryptage du génome humain est officiellement achevé, mais les recherches sur l’ADN se poursuivent pour qu’il dévoile tous ses secrets.

b. L’ADN comme moyen identificatoire
  • Jusqu’en 1984, un seul cas significatif d’exploitation du profil génétique comme preuve indiciale est à dénombrer. Il s’agit de l’analyse des cendres d’Anna Anderson qui déclarait en 1920 être la grande-duchesse Anastasia Romanov ce que les tests ADN ont permis de nier.
  • A partir de 1984, la découverte par le professeur Alec Jeffreys des minisatellites variables révolutionne le mode d’identification de l’individu. Aidé par l’invention de la technique PCR – Polymerase Chain Reaction[5] – de Kary Mullis, Alec Jeffreys crée deux ans plus tard le profil génétique à l’aide du protocole d’identification nommé « polymorphisme de longueur des fragments de restriction« [6].
  • Les analyses ADN deviennent alors un moyen d’investigation judiciaire permettant d’identifier formellement les criminels et s’intègrent dans la procédure pénale. La technique d’Alec Jeffreys est utilisée pour la première fois par un tribunal de Pennsylvanie en 1986[7]. Un an plus tard, Colin Pitchfork, un ouvrier boulanger anglais est confondu par une analyse ADN comme étant l’assassin de deux jeunes filles[8]. 1987 est également l’année de la première condamnation aux Etats-Unis d’un violeur, Tommy Lee Andrews, identifié par son profil génétique[9]. Au mois d’août 1988, la France procède à son premier test ADN dans une affaire de viol. Ce même mois, Zurich utilise dans son institut de médecine légale l’analyse ADN dans un premier temps lors des recherches en paternité, puis dans des cas de viols[10]. L’année suivante, Gary Dotson a été le premier suspect innocenté à l’aide du test ADN[11].
  • Après avoir plébiscité durant huit années l’exploitation du profil génétique comme moyen d’investigation judiciaire, un doute sur la valeur probatoire de l’ADN a lieu en 1994. La défense d’O.J. Simpson combat vivement les résultats des tests effectués, la procédure désordonnée des experts ayant possiblement contaminé les échantillons. La justice acquitte O.J. Simpson.
  • Toutefois, le doute n’exclut pas l’utilisation de l’analyse génétique qui continue de se perfectionner. L’année de l’acquittement d’O.J. Simpson, l’histoire de la médecine légale connaît le premier cas d’utilisation d’un ADN non humain pour identifier un criminel[12]. En 1998, le docteur Richard Schmidt est déclaré coupable de tentative de meurtre suite à la démonstration qu’un lien existait entre la souche virale VIH qu’il a inoculé à sa compagne et l’ADN d’un de ses patients atteint du Sida[13]. L’ADN viral est utilisé pour la première fois comme pièce à conviction. En 2003, quinze ans après le meurtre de Lynette White, de nouveaux tests ADN s’appuyant sur la proximité de l’ADN familial ont permis de confondre le neveu de la victime, Jeffrey Gafoor[14]. Il s’agit de la première affaire connue d’identification d’un criminel à l’aide de la proximité de l’ADN familial. Aujourd’hui, l’analyse d’une faible quantité d’ADN – provenant d’une goutte de sang, d’un minuscule fragment d’épiderme, d’une pellicule, etc. – même dégradé peut suffir à identifier un individu, et l’ADN familial, viral ou animal peut permettre des corrélations entre un suspect et l’auteur de l’infraction.

 

c. Le fichier CODIS et quelques chiffres sur l’empreinte génétique comme moyen identificatoire
  • Corrélativement aux fichiers dactyloscopiques, avec l’accroissement du nombre d’analyses génétiques et la reconnaissance du potentiel de l’ADN dans la résolution d’affaires criminelles, la méthode de classification manuelle a montré rapidement ses limites.
  • Dès le début des années 1990, les autorités politiques et judiciaires suisses sont informées de la possibilité de coupler les profils d’ADN à l’aide d’une base de données, mais confrontées au scandale des fiches visant la gestion des données personnelles, le projet est abandonné[15].
  • Face à l’absence d’un système fédéral, le 19 février 1997[16], le Conseil d’Etat genevois autorise le Parquet à constituer une base de données informatisée. Genève devient le premier canton à se munir d’un fichier ADN limité aux traces recueillies sur son territoire et destiné aux profils génétiques des personnes soupçonnées de crime ou de délit, principalement à caractère sexuel[17].
  • Sur le plan fédéral, une ordonnance est adoptée le 31 mai 2000[18] permettant l’emploi temporaire d’une base de données fédérale. En juillet 2000, la banque de données sur les profils d’ADN, appelée CODIS – Combined DNA Index System – est mise en œuvre pour une période d’essai limitée au 31 décembre 2004. Le 1er janvier 2005, la loi sur les profils d’ADN et l’ordonnance[19] s’y référant entrent en vigueur permettant l’exploitation définitive de CODIS.
  • Ces dernières années, les systèmes informatisés de stockage et de croisement d’empreintes génétiques se sont révélés des outils précieux. Dans CODIS, le nombre de profils a été multiplié par nonante-et-un entre l’année 2000 et l’année 2014 passant de 1’854 à 169’317 profils. Les profils relatifs aux traces retrouvées sur les lieux d’un crime ont considérablement augmenté, étant en 2014 à 56’687. En une année – de 2010 à 2011 –, environ 10’000 nouveaux profils ont été intégrés à la base de données CODIS. Durant ce même laps de temps, 6’322 concordances ont pu être établies entre des traces et des personnes – jouant un rôle, notamment, dans les cas: d’un vol sur cent, d’une séquestration sur cent, d’une lésion corporelle sur quatre-vingts, d’un brigandage sur vingt et surtout dans un cinquième des infractions contre la vie –, et 1’631 concordances entre des traces[20].
  • Les chiffres illustrent l’utilisation toujours plus fréquente de la génétique comme méthode d’investigations criminelles, extensivement comme moyen de preuve. La contribution des empreintes génétiques est aujourd’hui un aspect essentiel de la procédure pénale afin d’identifier les auteurs d’infractions.

 

 

[1] Marty, Monin, p. 2; Mendel Johann, Versuche über Pflanzen-Hybriden, in erhandlungen des naturforschenden Vereines in Brünn vol. IV (1865) p. 3-47; Rohmer, Thèse, p. 5.

[2] Avery, MacLeod, McCarty, p. 137-158; Marty, Monin, p. 64-73; Rohmer, Thèse, p. 5.

[3] Crick, Watson, p. 737-738; Marty, Monin, p. 109-112; Rohmer, Thèse, p. 5; Ruckstuhl, Dittmann, Arnold, p. 543.

[4] Watson James, The double helix: a personal account of the discovery of the structure, Londres 1968.

[5] Infra Partie II, Chapitre 2, II, A, 4, b, n° 832-833.

[6] Huyghe, ADN, p. 56; Moustier, p. 166; Rohmer, Banques de données ADN, p. 199; Rohmer, Thèse, p. 61-66.

[7] Affaire Pestinikas c. Etat de Pennsylvanie, arrêt de décembre 1986, 617 A. 2d 1339-1344.

[8] Huyghe, ADN, p. 3 et 56-58; Informations disponibles sur le site internet de l'Institut de médecine légale du Royaume-Uni: http://www.forensic.gov.uk [consulté le 23.04.2009] .

[9] Hibbert, p. 767; Huyghe, ADN, p. 60.

[10] Rohmer, Thèse, p. 62; Informations disponibles sur le site internet de l'Institut de médecine légale de l'Université de Zurich: http://www.irm.uzh.ch [consulté le 08.05.2016].

[11] Doldson Gary, The Rape that wasn't – the nation's first DNA exonération, in Northwstern Law – Center on wrongful convictions, disponible sur: http://www.law.northwestern.edu [consulté le 08.05.2016]; Huyghe, ADN, p. 60.

[12] Affaire Beamish c. R, arrêt du 22 juin 1999, AD-0693.

[13] Affaire Richard J. Schmidt c. Etat de Louisiane, arrêt du 29 juillet 1997, K97-249.

[14] Affaire Jeffrey Charles Gafoor c. Régina, arrêt du 4 juillet 2003, non publié; Convicted after 15 years: the prostitute's killer who watched three men go to jail for his crime, in The Independent du 5 juillet 2003.

[15] CEP, 1989, p. 775 ss; Girod, Margot, Ribaux, Walsh, p. 132.

[16] Arrêté du Conseil d’Etat genevois du 19 février 1997 concernant la création par le Ministère public du canton de Genève d’un fichier informatisé des personnes suspectées de crimes ou délits (principalement à caractère sexuel) et ayant fait l’objet d’analyses portant sur le profil génétique.

[17] Rechsteiner Urs, Rion René, Entreposage des preuves à caractère génétique, Genève 2003.

[18] Ordonnance fédérale du 31 mai 2000 sur le système d’information fondé sur les profils d’ADN (Ordonnance ADN), RO 2000 1715.

[19] Loi fédérale du 20 juin 2003 sur l'utilisation de profils d'ADN dans les procédures pénales et sur l'identification de personnes inconnues ou disparues (Loi sur les profils d'ADN), RS 363; Ordonnance fédérale du 3 décembre 2004 sur l'utilisation de profils d'ADN dans les procédures pénales et sur l'identification de personnes inconnues ou disparues (Ordonnance sur les profils d'ADN), RS 363.1.

[20] Chiffres disponibles sur le site internet du DFJP: http://www.ejpd.admin.ch [consulté le 08.05.2016].

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