T039 – I. Le droit international – DUDH

A. Les instruments universels de protection des droits de l’homme

1. La Déclaration universelle des droits de l’homme – DUDH

a. Sa place dans l’ordre juridique
  • Pour combattre les violations des règles élémentaires de la civilisation par les trois principales nations de l’Axe – l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et l’Empire du Japon –, les Alliés ont sollicité le rétablissement d’un ordre dans lequel les peuples et les individus vivront libres, en paix et jouiront des droits inhérents à leur qualité sans ingérence[1]. Pour ce faire, ils proposent une nouvelle organisation internationale – les Nations Unies – qui adopte en 1945 une Charte définissant les buts et principes de l’organisation et réaffirme la « foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine« [2].
  • Pour mettre en œuvre cette Charte, les organes des Nations Unies adoptent notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) qui est approuvée à l’unanimité le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies[3].
  • La DUDH est le premier instrument universel reconnaissant les droits de l’homme[4]. Bien que dépourvue de force contraignante pour les Etats, la DUDH n’en reste pas moins un outil précieux qui est à l’origine de divers accords internationaux – notamment de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du Pacte international sur les droits civils et politiques – et de diverses lois nationales consacrées à la protection des droits humains[5].

b. Les droits devant idéalement être garantis
i. La DUDH et le droit de la preuve
  • L’article 11 DUDH prévoit les principes minimaux à respecter lorsqu’une personne est accusée d’un acte pénalement répréhensible[6]. L’article 11 § 1 DUDH énonce deux garanties fondamentales de procédure: la présomption d’innocence (11 § 1 in limine DUDH) et les droits de la défense (11 § 1 in fine DUDH).
  • L’article 11 § 1 in limine DUDH mentionne que « [t]oute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie […] ». La notion d’une culpabilité « établie » fait référence à la vérité matérielle obtenue, notamment, grâce aux moyens de preuves. Ainsi, la présomption d’innocence implique deux règles, l’une sur l’administration des preuves, l’autre sur le fardeau de la preuve[7]. Par ailleurs, la présomption d’innocence s’accompagne du droit pour l’accusé de se taire ou de ne fournir que des preuves à décharge[8].
  • Les droits de la défense, cités à l’art. 11 § 1 in fine DUDH, renferment le droit offert à l’accusé d’être entendu et le droit d’accès au dossier[9]. Résultante du principe de contradiction des débats, ces deux droits impliquent le droit de produire des preuves et le droit de participer à l’administration des preuves essentielles ou du moins de pouvoir s’exprimer sur le sujet[10].

 

ii. Quelques garanties essentielles en procédure pénale
  • La DUDH édicte également certaines garanties générales relatives aux droits de l’homme comme la dignité humaine et le respect de la sphère privée.
  • La dignité humaine est un droit inné de tout être humain[11]. Il s’entend principalement négativement comme le droit de ne pas être offensé ou blessé dans sa qualité humaine[12]. Suite à l’adoption de la DUDH, une multitude de textes internationaux sont venus compléter les droits fondamentaux prévus dans cette Déclaration. Tous – sans exception – reposent sur le concept de la dignité humaine tel qu’il est proclamé dans le préambule de la DUDH ainsi qu’à son article premier.
  • Concernant le respect de la sphère privée, l’art. 12 DUDH consacre des obligations négatives pour les Etats[13]. Ainsi, ils ne doivent pas violer arbitrairement la vie privée des individus en protégeant la vie familiale, le domicile et la correspondance des citoyens. La DUDH n’ayant pas force juridique, la jurisprudence n’a pas développé la notion de « vie privée » au sens de cette Déclaration. Le Pacte II[14], la CEDH et lois fédérales reposant en partie sur la DUDH, les interprétations et définitions faites des termes « vie privée » sont applicables par analogie[15].

 

c. Son champ d’application
  • En proclamant la DUDH, l’Assemblée générale des Nations Unies tente d’imposer aux Etats et à leur population un idéal à atteindre convenant à tous: hommes, femmes, enfants et pouvoir étatique[16].
  • Le préambule de la DUDH prévoit un champ d’application personnel large en plaçant sur pied d’égalité – sans distinction quant à la race, au sexe, à la religion, etc. – tous les êtres humains demeurant dans les Etats parties. Ces Etats sont chargés de protéger et de garantir les droits proclamés à leur population, y compris aux habitants des territoires placés sous leur juridiction.
  • Concernant le champ d’application matériel relatif au droit de la preuve, l’art. 11 § 1 DUDH est une prérogative nécessaire au respect de la présomption d’innocence qui fonde éthiquement le droit actuel.

 

2. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques – Pacte II

a. Sa place dans l’ordre juridique
  • Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques – Pacte II – est conclu à New York le 16 décembre 1966[17]. Reconnaissant la dignité humaine et l’égalité des êtres humains comme fondement de la liberté, de la justice et de la paix et ayant une force contraignante pour les Etats parties, le Pacte II concrétise sur le plan international la Charte des Nations Unies et la DUDH.
  • En Suisse, le Pacte II est approuvé par l’Assemblée fédérale le 13 décembre 1991, ratifié par le Conseil fédéral le 18 juin 1992 et entré en vigueur le 18 septembre 1992.
  • En tant que traité multilatéral, le Pacte II est au sommet de la hiérarchie des normes. En vertu de l’art. 190 Cst[18]: « Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international« . Ainsi, selon la conception moniste de la Suisse[19], le droit international s’impose aux juges nationaux qui doivent rendre leur décision conformément aux principes universels.

 

b. Les droits garantis
i. Les similitudes entre le Pacte II et la DUDH
  • Les articles sur la dignité humaine (Préambule et art. 10 § 1 Pacte II), la présomption d’innocence (art. 14 § 2 Pacte II) et la protection de la sphère privée (art. 17 § 1 Pacte II) sont repris – quasiment mot pour mot – du préambule et des articles de la Déclaration. L’analyse de ces principes sous l’angle du Pacte II est par conséquent similaire à celle de la DUDH.
  • Toutefois, une précision doit être apportée quant à la notion de « sphère ou vie privée« . La doctrine définit la « vie privée » comme un choix, une fonction, un désir, un droit et/ou un besoin de l’individu d’avoir une sphère intime, voire secrète[20]. Elle s’assimile au droit de contrôler les informations que l’on désire dévoiler sur soi. Ainsi, la protection de l’art. 17 § 1 Pacte II protège les individus contre les intrusions injustifiées et abusives dans le domaine de l’autonomie individuelle[21].

 

ii. Le Pacte II et les garanties procédurales
  • Les garanties procédurales édictées à l’art. 14 Pacte II complètent et renforcent les concepts minimaux introduits par la DUDH.
  • L’art. 14 § 1 fait référence à l’équité des débats ainsi qu’à l’indépendance et à l’impartialité du tribunal décideur.
  • L’équité des débats est une notion qui doit se lire en relation avec les trois paragraphes de l’art. 14 Pacte II qui élaborent des garanties minimales non-exhaustives: indépendance et impartialité des tribunaux, présomption d’innocence, droit d’être entendu, droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à sa défense, etc.[22]. Ces garanties peuvent ne pas suffire, raison pour laquelle la Cour européenne délimite in concreto l’équité des débats[23].
  • L’indépendance assurant la liberté d’esprit des juges et l’impartialité découlant de la loyauté des débats sont des exigences nécessaires à un procès équitable[24]. Relevons que l’impartialité s’apprécie subjectivement – déterminant la conviction et le comportement personnel d’un juge, cette impartialité est présumée – et objectivement – exclusion de tout doute légitime sur l’avis préliminaire d’un juge[25].
  • L’art. 14 § 3 Pacte II énumère non-exhaustivement toute une série de droits de la défense. Les lettres b – disposer des facilités nécessaire à sa défense –, e – droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge ou à décharge – et g – droit au silence ou droit de ne pas s’auto-incriminer – se rapportent au droit de la preuve. Corollaire de l’égalité des armes et du principe de contradiction, selon le Comité des droits de l’homme, les « facilités nécessaires » de l’art. 14 § 3 let. b « doivent comprendre l’accès aux documents et autres éléments de preuve dont l’accusé a besoin pour préparer sa défense […] »[26].
  • Spécifions que le Pacte II est le seul texte à formuler explicitement le droit de ne pas s’exprimer au cours de son procès découlant de l’adage « nemo tenetur seipsum prodere vel accusare« . Savoir si le droit de se taire est assimilable au droit de ne pas s’incriminer soi-même est controversé en doctrine dont une partie considère que le droit de se taire va moins loin que le droit de s’abstenir de collaborer activement[27]. En droit suisse, cette controverse a peu d’importance dès lors que la charge de la preuve revient à l’accusation. L’accusé est donc en droit de n’apporter aucun élément probatoire.

 

c. Son champ d’application
  • L’article 2 § 1 Pacte II prévoit le principe d’égalité entre les hommes indifféremment de toutes distinctions. En procédure pénale, la dérogation à ce principe est formellement exclue (art. 14 § 1 Pacte II)[28]. Par ailleurs, le champ d’application personnel est restreint à l’art. 14 Pacte II puisque que les garanties qu’il institue ne servent qu’à protéger une personne accusée.
  • Quant au champ d’application matériel, le Pacte II prévoit une série de droits et de garanties inhérentes aux êtres humains. En revanche, aucune disposition n’est propre au droit de la preuve, mais l’art. 14 Pacte II reconnaît de manière implicite la nécessité d’administrer des preuves[29].

 

 

[1] Emmerson, Ashworth, Macdonald, p. 2; Robinson, p. xix.

[2] Préambule de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945, RS 0.120.

[3] United Nations Resolution 217 A (III) proclaiming a Universal Declaration of Human Rights, Paris 10 décembre 1948, A/RES/3/217 A, disponible sur: http://www.un.org [consulté le 08.05.2016].

[4] DSG-Epiney, Schleiss, p. 58; Kälin, Epiney, Caroni, Künzli, p. 277-278; Robinson, p. 33; Verniory, p. 20.

[5] Message, ONU, p. 676; Emmerson, Ashworth, Macdonald, p. 2.

[6] Robinson, p. 115; Verniory, p. 21.

[7] Auer, Malinverni, Hottelier, vol. II, p. 621; Joseph, Schultz, Castan, p. 426; Müller, Schefer, p. 981-984; Trechsel, Human Rights, p. 167. Infra Partie I, Chapitre 3, III, A, n° 285 ss.

[8] Infra Partie I, Chapitre 2, I, A, 2, b, ii, n° 188.

[9] Riedo, Fiolka, Niggli, p. 9; Robinson, p. 115; Verniory, p. 20.

[10] Robinson, p. 115; Verniory, p. 20.

[11] Morsink, p. 290; Müller, Schefer, p. 1.

[12] Belser, Waldmann, Molinari, p. 7; Häfelin, Haller, Keller, p. 111; Müller, Schefer, p. 1-2; Robinson, p. 103-104.

[13] Morsink, p. 134; Robinson, p. 117.

[14] Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte II), RS 0.103.2.

[15] Infra Partie I, Chapitre 2, I, A, 2, b, i, n° 183; Infra Partie I, Chapitre 2, I, B, 1, b, ii, n° 199; Infra Partie I, Chapitre 2, II, A, n° 217, 219-220.

[16] Morsink, p. 12; Robinson, p. 36.

[17] Resolutions adopted by the General Assembly 2200 (XXI): International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights, International Covenant on Civil and Political Rights and Optional Protocol to the International Covenant on Civil and Political Rights, New York 16 décembre 1966, A/RES/21/2200, disponible sur: http://www.un.org [consulté le 08.05.2016].

[18] Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst) du 18 avril 1999, RS 101.

[19] Auer, Hottelier, Malinverni, Vol. I, p. 455; DSG-Epiney, Schleiss, p. 53; Wiederkehr, Richli, p. 372.

[20] Joseph, Schultz, Castan, p. 476; Mahon, p. 124-125; Meyer-Ladewig, art. 8 N 78; Rhinow, Schefer, p. 260-261.

[21] Office of the high commissioner for Human rights, Observation générale no 16: Le droit au respect de la vie privée, de la famille, du domicile, et le droit d'être protégé contre les atteintes à l'honneur et à la réputation (art. 17), Genève 1988, disponible sur: http://www.unhchr.ch [consulté le 08.05.2016].

[22] Par analogie: CourEDH, Affaire Adolf c. Autriche, arrêt du 26 mars 1982, § 49; CourEDH Affaire Goddi c. Italie, arrêt du 9 avril 1984, 8966/80, § 28; CourEDH, Affaire Poitrimol c. France, arrêt du 23 novembre 1993, 14032/88, § 34; CourEDH, Affaire Allenet c. France, arrêt du 10 février 2005, 15175/89, § 35-36; CourEDH, Affaire Dikme c. Turquie, arrêt du 11 juillet 2000, 20869/92, § 108; CourEDH, Affaire Luca c. Italie, arrêt du 27 février 2001, 33354/96, § 21; CourEDH, Affaire Brennan c. Royaume-Uni, arrêt du 16 octobre 2001, 39846/98, § 45; CourEDH, Affaire Demebukov c. Bulgarie, arrêt du 28 février 2008, 68020/01, § 50; CourEDH, Affaire Salduz c. Turquie, arrêt du 27 novembre 2008, 36391/02, § 50-55; Office of the high commissioner for Human rights, Observation générale no 13 L'égalité devant les tribunaux et le droit d'être entendu équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et établi par la loi (art. 14), Genève 1984, disponible sur: http://www.unhchr.ch [consulté le 08.05.2016], § 5.

[23] CourEDH, Affaire Adolf c. Autriche, arrêt du 26 mars 1982, § 49; CourEDH Affaire Goddi c. Italie, arrêt du 9 avril 1984, 8966/80, § 36-41; CourEDH, Affaire Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, 9024/80, § 27; CourEDH, Affaire Feldbrugge c. Pays-Bas, arrêt du 29 mai 1986, 8562/79, § 44; CourEDH, Affaire Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, arrêt du 6 décembre 1988, 10590/83, § 83; CourEDH, Affaire Murray c. Royaume-Uni, arrêt du 8 février 1996, 18731/91, § 45; CourEDH, Affaire Werner c. Autriche, arrêt du 24 novembre 1997, 21835/93, § 45; CourEDH, Affaire Pisano c. Italie, arrêt du 27 juillet 2000, 36732/97, § 21; CourEDH, Affaire Salduz c. Turquie, arrêt du 27 novembre 2008, 36391/02, § 50-55.

[24] Häfelin, Haller, Keller, p. 266-267; Jeanneret, Kühn, p. 41; Meunier, p. 192; Müller, Schefer, p. 821, 948 et 955-956.

[25] Grabenwarter, Pabel, p. 407-413; Harris, O'Boyle, Warbrick, p. 284; Hottelier, Mock, Puéchavy, p. 147-148; Jeanneret, Kühn, p. 42-43; Meyer, art. 6 N 43; Meyer-Ladewig, art. 6 N 68-71 et 70-79. Infra Partie I, Chapitre 3, III, C, n° 313 ss.

[26] Office of the high commissioner for Human rights, Observation générale n° 13: L'égalité devant les tribunaux et le droit d'être entendu équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et établi par la loi (art. 14), Genève 1984, disponible sur: http://www.unhchr.ch [consulté le 08.05.2016], § 9.

[27] CourEDH, Affaire Saunders c. Royaume-Uni, arrêt du 17 décembre 1996, § 68-69; CourEDH, Affaire J.B. c. Suisse, arrêt du 3 mai 2001, 31827/96, §64; CourEDH, Affaire Jalloh c. Allemagne, arrêt du 11 juillet 2006, 54810/00, § 100; CourEDH, Affaire Kolu c. Turquie, arrêt du 2 août 2005, 35811/97, § 51; CourEDH, Affaire O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni, arrêt du 29 juin 2007, 15809/02 et 25624/02, § 53-63; CourEDH, Affaire Brusco c. France, arrêt du 14 octobre 2010, 1466/07, § 44; Eicker, Huber, p. 115; Häner, p. 23; Harris, O'Boyle, Warbrick, p. 259-260; Meyer-Ladewig, art. 16 N 131; Pettiti, p. 141; Trechsel, Human Rights, p. 166; Verniory, p. 406.

[28] Joseph, Schultz, Castan, p. 408-409; Müller, Schefer, p. 879; Verniory, p. 25.

[29] CourEDH, Affaire Daktaras c. Lituanie, arrêt du 10 octobre 2000, 42095/98, § 41; CourEDH, Affaire Huseyn et autre c. Azerbaijan, arrêt du 26 juillet 2011, 35485/05, 35680/05, 36085/05, 45553/05, § 225; CourEDH, Affaire Viravyan c. Arménie, arrêt du 2 octobre 2012, 40094/05, § 185.

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