T352 – d) La vidéosurveillance invasive des espaces publics

  • La vidéosurveillance invasive des espaces publiques se distingue de la vidéosurveillance préventive par le fait qu’elle est secrète et intervient après la commission d’une infraction[1] excluant l’applicabilité de la législation sur la police. Elle se distingue également des autres mesures techniques de surveillance par le fait qu’elle n’observe pas des actions dans des lieux privés ou non librement accessibles au public.
  • La vidéosurveillance invasive des espaces publics au sens large s’effectue dans le dessein de poursuivre les auteurs d’une infraction. Elle est dirigée contre une ou des personnes spécifiques et se planifie sur une certaine durée[2]. Par conséquent, il s’agit d’une observation – qui se définit comme « [la] surveillance systématique d’événements et de personnes sur la voie publique pendant un certain temps dans le cadre de la poursuite pénale« [3] – au sens des art. 282 et 283[4].

  1. Les conditions d’application
  • L’art. 282 CPP prévoit que le ministère public et, pendant l’investigation policière, la police peuvent observer secrètement des événements ou des personnes sises dans un lieu librement accessible au public et effectuer des enregistrements.
  • La mise en œuvre de la vidéosurveillance invasive est admissible moyennant l’existence d’indices concrets laissant présumer que des crimes ou des délits ont été commis (art. 282 al. 1 let. a CPP) et que d’autres formes d’investigations n’auraient eu aucune chance ou seraient excessivement difficiles (art. 282 al. 1 let. b CPP). Les principes de la proportionnalité et de la subsidiarité sont donc expressément consacrés par la base légale.
  • Aux fins du respect du premier principe, la notion d’indices concrets doit s’interpréter à la lumière du cadre fixé pour l’admissibilité des mesures de contrainte (art. 197 al. 1 CPP). Contrairement aux mesures de surveillance et autres dispositifs techniques (art. 269 ss et 280 ss CPP) jugés plus graves au niveau des atteintes aux droits fondamentaux, l’observation n’est pas restreinte à un catalogue d’infractions et peut servir à observer l’auteur d’un délit de peu de gravité ou d’actes préparatoires[5]. L’intensité des soupçons étant directement liée à la gravité de l’atteinte causée, en cas d’observation, la force du soupçon peut être nettement plus faible que celle demandée pour la vidéosurveillance invasive sur domaine privé.
  • Le second principe offre un large pouvoir d’appréciation à la police qui est la mieux placée pour déterminer, dans chaque cas d’espèce, si oui ou non l’observation par vidéosurveillance est plus simple et plus rapide pour atteindre le but recherché.
  • Sous l’angle de la procédure pénale, il est important de relever que la loi requiert une autorisation (art. 272 al. 1 CPP cum 281 al. 4 CPP) si l’action se déroule dans un endroit qui n’est pas public ou pas librement accessible. En revanche, même si l’action est de nature privée, si elle est observée dans un lieu ouvert au public alors l’autorisation du tribunal des mesures de contrainte n’est pas requise. Cette différence entre les divers moyens de surveillance s’explique par le fait que l’observation ne constitue pas une atteinte importante aux droits fondamentaux dès lors que les actions observées et enregistrées se déroulent sur domaine public[6].
  • Cependant, afin d’éviter les abus et pour protéger au mieux les droits de la personnalité des individus concernés, l’observation réalisée par la police avant l’ouverture d’une procédure par le ministère public doit être autorisée par celui-ci lorsqu’elle dépasse un mois dès le début effectif de la surveillance (art. 282 al. 2 CPP)[7].
  1. La communication à la personne observée
  • Dans le respect des droits de la défense – droit de recourir en vertu des art. 393-397 CPP – et sauf exception – non-usage ou intérêt prépondérant –, l’individu filmé est informé de l’existence, du motif et de la durée de la vidéosurveillance effectuée à son encontre au plus tard lors de la clôture de la procédure préliminaire (art. 283 CPP).
  • Les proches du prévenu dont l’observation a induit l’élucidation des faits doivent également être informés de la surveillance. La notion de proche s’entend au sens large et inclut par conséquent les relations amicales[8].
  • En cas de recours, le prévenu et son représentant ne sont pas disposés à obtenir le dossier complet d’observation comprenant les retranscriptions écrites de tous les événements relevés. Seuls les actes d’ordre de mission, les ordonnances et les rapports contenant des informations déterminantes à l’enquête et/ou probantes leur sont fournis.
  1. L’exploitation des informations obtenues, des découvertes fortuites et des preuves obtenues illégalement
  • Les art. 282 et 283 CPP sont muets sur la documentation à verser au dossier, l’exploitabilité des découvertes fortuites ou encore l’inexploitabilité de certaines informations.
  • La police a un devoir général de documentation. Vraisemblablement, en cas de vidéosurveillance sur domaine public, elle doit constituer un journal d’observation incluant la retranscription des événements et les enregistrements visuels. Les éléments utiles à la procédure doivent en outre être intégrés dans un rapport officiel pour être accessibles aux parties.
  • En cas de découvertes fortuites, le silence de la loi mène à penser que la découverte de la commission d’un crime ou d’un délit peut être dénoncée et que les preuves obtenues sont exploitables. La doctrine précise qu’hormis la restriction du crime ou du délit, les autres conditions de l’art. 282 al. 1 CPP n’ont pas besoin d’être considérées[9]. En outre, la manière de procéder en cas de découvertes fortuites relève de l’art. 243 CPP impliquant la mise en sûreté des informations et la transmission immédiate à la direction de la procédure d’un rapport[10]. Elles sont alors exploitables après détermination de la direction de la procédure et si les conditions légales posées à leur obtention sont réalisées[11].
  • Concernant les preuves obtenues illégalement, par exemple en cas d’observation dans un lieu non-accessible au public ou d’observation de plus d’un mois par la police sans autorisation du ministère public, elles ne sont pas admissibles au procès faute de respecter la règle de validité sur l’exploitation des preuves (art. 141 al. 1 CPP).
  1. La fin de l’observation
  • Lorsque l’ordre d’observation provient du ministère public, même si elle a débuté durant la phase d’investigation policière, il est le seul compétent pour y mettre fin.
  • Dans les cas où le délai d’un mois n’est pas échu et que l’observation a été ordonnée par la police, c’est cet organe étatique qui peut déclarer la fin de la mesure.
  • Qu’il s’agisse d’une décision du ministère public ou de la police, l’ordre de mettre fin à l’observation est soumis à la forme écrite sans qu’aucune motivation ne soit obligatoirement énoncée[12].
[1] Message, CPP, p. 1235.

[2] BSK-StPO-Katzenstein, Eugster, art. 282 N 1-9; CR-CPP-Guéniat, Hainard, art. 282 N 3; Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Bättig, p. 272; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 472-473; Riklin, Strafprozessordnung, art. 282 N 4; Schmid, Praxiskommentar, art. 282 N 4.

[3] Message, CPP, p. 1235.

[4] Donatsch, Schwarzenegger, Wohlers, p. 238; Dubuis, p. 211; Piquerez, Macaluso, p. 520-521; Riedo, Fiolka, Niggli, p. 333-334; Ruckstuhl, Dittmann, Arnold, p. 271.

[5] CR-CPP-Guéniat, Hainard, art. 282 N 6; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 474-475; Riedo, Fiolka, Niggli, p. 335; Schmid, Praxiskommentar, art. 282 N 10.

[6] BSK-StPO-Katzenstein, Eugster, art. 282 N 9 ss; CR-CPP-Guéniat, Hainard, art. 282 N 11; Goldschmid, Maurer, Sollberger, Textausgabe-Bättig, p. 272;  Schmid, Praxiskommentar, art. 280 N 2-3.

[7] Message, CPP, p. 1236; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 483; Schmid, Praxiskommentar, art. 282 N 16.

[8] Message, CPP, p. 1236.

[9] Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 481-482; Schmid, Praxiskommentar, art. 282 N 11 et 19; StPO-Hansjakob, art. 282 N 34.

[10] Schmid, Praxiskommentar, art. 282 N 11.

[11] Hauser, Schweri, Hartmann, p. 352; Schmid, RPS, p. 305.

[12] CR-CPP-Guéniat, Hainard, art. 283 N 12.

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