T202 – a. Les droits fondamentaux

  • Sous l’angle international et constitutionnel, le processus d’identification est encadré par le respect des droits fondamentaux.
i. L’atteinte à l’intégrité corporelle et à la liberté personnelle causée par le prélèvement
  • La comparaison des profils d’ADN nécessite l’établissement d’au moins deux profils. L’un provient de l’analyse de la trace matérielle retrouvée. L’autre est issu du prélèvement du matériel génétique d’un individu déterminé. Dans ce second cas, le matériel génétique provient soit d’un frottis de la muqueuse jugale, soit d’une prise de sang.
  • Le prélèvement du matériel génétique de type corporel doit être effectué dans le respect de la liberté personnelle (art. 8 CEDH, art. 17 § 1 Pacte II et art. 10 al. 2 Cst). A cet égard, il est nécessaire d’examiner dans quelle mesure la sauvegarde de la sécurité publique peut justifier une intrusion au respect de l’intégrité corporelle.
  • Conformément à la jurisprudence de la Cour suprême, le frottis de la muqueuse jugale ne provoquant pas de blessure sur la peau et la prise de sang n’entraînant pas de complication, ces deux méthodes provoquent une atteinte légère à la liberté personnelle[1].
  • En cas d’assentiment de l’ayant droit, l’atteinte étant atypique, cela ne pose guère de problème. Dans l’hypothèse inverse, la protection de la liberté personnelle doit être garantie (art. 36 Cst)[2].
  • Notons au surplus que la prise de sang a été pendant longtemps privilégiée. Cependant, cette méthode créant une atteinte à l’intégrité corporelle plus importante que le frottis, elle a perdu de son prestige. Par conséquent, la tension existant entre le besoin de sécurité publique et l’atteinte à la liberté personnelle implique que – dans le respect de la proportionnalité au sens large – le prélèvement avec ponction veineuse ou piqure au doigt est subsidiaire au frottis de la muqueuse jugale[3].

ii. L’atteinte à la liberté personnelle, particulièrement à l’autodétermination informationnelle, causée par l’établissement du profil d’ADN et de son intégration dans CODIS
  • Autre est la problématique liée à l’établissement d’un profil d’ADN, plus précisément à la comparaison des profils d’ADN[4].
  • Alors même que la partie d’ADN analysée n’est pas codée, que seul le sexe peut être déterminé par le profil génétique, que l’établissement et le traitement dans le système CODIS est effectué de manière anonymisée, l’établissement d’un profil d’ADN et son traitement par les autorités nationales touchent à la sphère intime des individus engendrant une problématique liée à l’autodétermination[5].
  • Le Tribunal fédéral[6] et la Cour européenne des droits de l’homme[7] ont rappelé à plusieurs reprises l’importance du respect de la sphère de protection du droit à l’autodétermination informationnelle (art. 8 § 1 CEDH, art. 17 § 1 Pacte II et art. 13 al. 2 Cst). Le profil génétique étant une succession de lettres permettant d’identifier avec une quasi-certitude la personne concernée, il est une donnée personnelle. Une atteinte à la liberté personnelle par le traitement du profil génétique et sa conservation existe. Conformément à la jurisprudence de la Cour suprême[8], cette atteinte doit être qualifiée de légère à partir du moment où l’analyse est effectuée sur une séquence non-codante, que les profils traités automatiquement sont anonymisés et que les profils sont conservés pour une durée limitée.
iii. L’admissibilité de la restriction aux droits fondamentaux touchés par le prélèvement et l’analyse ADN
  • La protection de la liberté personnelle et le respect de la sphère intime n’étant pas complètement supprimés, ni entièrement vidés de leur contenu lors d’un prélèvement corporel, d’un traitement des données et de leur conservation, l’atteinte à l’art. 10 al. 2 Cst et/ou à l’art. 13 al. 2 Cst est juridiquement acceptable. Cette affirmation doit cependant être nuancée par le respect de l’art. 36 Cst.
  • Lorsqu’un droit fondamental est mis en péril, la restriction est soumise à trois conditions: l’atteinte doit reposer sur une base légale suffisante, être commandée par un intérêt public prépondérant et obéir au principe de proportionnalité.
  • Dans le domaine de la procédure pénale, les art. 255 ss CPP reprennent les principes édictés dans la loi sur les profils d’ADN. Cette dernière ayant été adoptée afin de fournir une base légale suffisante et uniforme relativement au traitement et à l’établissement de profils génétiques[9], il ne fait aucun doute que les articles du CPP satisfont la condition de base légale, ce d’autant que l’ordonnance sur les profils d’ADN complète la réglementation quant au prélèvement, à la conservation et au traitement des données identificatrices.
  • La légitimité de l’action étatique correspond à l’intérêt public à la sécurité de la collectivité et à la bonne administration de la justice.
  • Sur le terrain de la pesée des intérêts, l’intérêt public énoncé est confronté à la protection de la liberté personnelle (art. 10 al. 2 CP) et de la sphère intime (art. 13 al. 2 CP). Les prélèvements, l’établissement d’un profil d’ADN et l’enregistrement dans une base de données est un moyen adéquat pour confondre rapidement et avec fiabilité les auteurs d’une trace ou les récidivistes, voire de permettre des identifications internationales.
  • L’atteinte causée par les prélèvements à l’intégrité corporelle et à l’autodétermination informationnelle n’est que passagère. Pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un échantillonnage effectué dans le cadre d’une enquête de grande envergure[10], l’accomplissement de la condition de nécessité ne pose donc aucune difficulté. De surcroît, s’il ne s’agit pas d’un moyen superflu pour la découverte de la vérité, l’atteinte légère et passagère aux droits fondamentaux pour préserver la sécurité publique paraît admissible.
  • Dans le strict respect du principe de proportionnalité, le prélèvement effectué sur une personne soupçonnée ou le traitement automatisé de ses données peut ne pas être dans un rapport raisonnable avec le but visé. C’est pourquoi le profilage ADN et sa comparaison dans le dessein identificatoire n’est envisageable qu’en cas de motifs avérés laissant penser que l’individu est l’auteur de l’infraction[11].
  • En conséquence, les atteintes aux droits et libertés fondamentaux de la personnalité respectent vraisemblablement les conditions de restriction de l’art. 36 Cst.
[1] ATF 98 Ia 409, 412; ATF 112 Ia 248, 249 = JdT 1988 I 41, 42-43; ATF 124 I 80, 82 = JdT 2000 IV 24, 26; ATF 128 II 259, 269 = JdT 2003 I 411, 420 = SJ 2002 I 531, 532; ATF 134 III 241, 247 = JdT 2009 I 411, 416; ATF 136 I 87, 101 = JdT 2010 I 367.

[2] Infra Partie II, Chapitre 2, II, B, 1, a, iii, n° 854 ss.

[3] Message, ADN, p. 37; Message, CPP, p. 1196.

[4] A ce sujet, voir: Infra Partie II, Chapitre 2, II, C, 2, c, n° 1055 ss.

[5] Altendorfer, p. 156-157; Ancel, p. 185; BSK-StPO-Fricker, Maeder, art. 255 ss N 9; Burr, p. 101; Moustiers, p. 173; Müller, Schefer, p. 164; Rohmer, Thèse, p. 65.

[6] ATF 120 Ia 147, 149 = JdT 1996 IV 61, 61; ATF 124 I 80, 81-82 = JdT 2000 IV 24, 25-26; ATF 128 II 259, 269 = JdT 2003 I 411, 420 = SJ 2002 I 531, 531-532; ATF 136 I 87, 101 = JdT 2010 I 367; ATF 138 I 331, 336-337; ATF 140 IV 57, 60.

[7] CourEDH, Affaire Amann c. Suisse, arrêt du 16 février 2000, 27798/95, § 65; CourEDH, Affaire Khelili c. Suisse, arrêt du 18 octobre 2011, 16188/07, § 55-56; CourEDH, Affaire Nikolova et Vandova c. Bulgarie, arrêt du 17 décembre 2013, 20688/04, § 105; CourEDH, Affaire Blaj c. Suède, arrêt du 8 avril 2014, 36259/04, § 125.

[8] ATF 128 II 259, 269-270 = JdT 2003 I 411, 420-421 = SJ 2002 I 531, 532.

[9] Message, ADN, p. 20.

[10] Rohmer, Banque de données ADN, p. 207; Rohmer, RPS, p. 101. Infra Partie II, Chapitre 2, II, B, 1, b, n° 870.

[11] Message, ADN, p. 35.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *