T515 – La conclusion finale

  • La mise en cause et la condamnation d’un individu comme auteur d’infraction constituent des actes suffisamment graves pour que des dispositifs formels ne dictent pas la décision du juge.
  • Actuellement, nous regrettons l’orientation que semble prendre le système probatoire en procédure pénale et le rôle que tient l’expert dans cette procédure. Il paraît donc essentiel d’objectiver la preuve pénale et, pour ce faire, de former les experts et les juges afin d’obtenir une meilleure collaboration.
  • En outre, les juristes doivent garder à l’esprit qu’une preuve – quelle qu’elle soit – est une aide ou un indice, mais ne permet en aucun cas d’assurer aux autorités policières, au ministère public ou au juge que les événements se sont effectivement déroulés comme elle le démontre ou que le prévenu est l’auteur de l’infraction. Elle ne dispense pas et ne dispensera jamais les autorités pénales à recourir à des investigations poussées pour confirmer ou infirmer sa démonstration matérielle, scientifique ou technique.
  • Les potentiels et les risques que nous avons relevés pour chaque science ou technique traitée ne sont que des éléments pour permettre aux juristes de mieux cerner les problématiques liées à l’appréciation des preuves techniques. Les considérations qui précèdent ne sont en revanche pas des règles d’interprétation à suivre aveuglément.
  • Ainsi, il n’existe aucun moyen infaillible pour parvenir à la vérité, ni de règles générales et abstraites pour juger de la valeur probatoire d’un indice scientifique ou technique. Chaque preuve doit être administrée, jugée et analysée dans le cas concret de l’affaire en cause.
  • Le seul maître mot qui doit dicter l’appréciation des preuves est qu’il ne faut pas tomber dans le piège du recours systématique aux preuves scientifiques ou techniques, ou de croire qu’elles peuvent être considérées comme la reine des preuves. Même si leur objectivité est avérée, des failles, des risques ou des erreurs d’interprétation ne sont pas exclus, amoindrissant leur valeur et leur authenticité.
  • Nous conclurons donc sur ces quelques mots: « Un indice matériel ne peut pas se tromper, il ne peut se dénier lui-même, […]. Seule l’erreur humaine dans sa recherche, son exploitation et son interprétation peut diminuer sa valeur. »[1]. Médiate ou immédiate, objective ou subjective, matérielle ou indirecte, une preuve demande toujours une interprétation pour être administrée. Par conséquent, sa valeur probatoire doit toujours être appréciée

 

[1] Paul Leland Kirk dans Galluser, p. 35.

T513 – C. L’amélioration de la communication entre les autorités pénales et les experts

  • Au cours du procès pénal, l’expert se définit comme la personne qui fournit les éléments pertinents au juge pour comprendre et apprécier des éléments théoriques spécifiques.
  • La formation des juristes dans le domaine des nouvelles technologies et la formation des experts dans le domaine juridique de l’expertise judicaire doit permettre une meilleure communication entre ces deux acteurs essentiels à la procédure pénale.
  • Ainsi, grâce à leur formation respective, le juge doit pouvoir avoir les bases suffisantes pour critiquer un rapport d’expertise, pouvoir s’y référer à sa juste valeur et également pouvoir déterminer la crédibilité ou la fiabilité d’un élément probatoire technique ou scientifique.
  • En outre, l’expert comprenant mieux son rôle et pouvant compter sur un minimum de connaissances acquises par les juristes, il peut expliquer de manière appropriée la démonstration apportée par l’indice issue des nouvelles technologies.
  • Ajoutons que des rencontres et/ou séminaires conjoints – technico-juridiques – devraient également permettre de favoriser les échanges d’informations et la communication entre les autorités pénales et les experts.

T512 – B. La formation des experts au monde judiciaire et au vocabulaire des juristes

  • Les notions scientifiques et techniques étant abstraites pour un juriste, voire incompréhensibles, il faut se demander si les experts n’ont pas une part de responsabilité dans le manque d’appréciation d’un élément probatoire scientifique ou technique.
  • Comme les juristes, les médecins, les chimistes, les physiciens ou encore les informaticiens ont tous ce que nous nommons communément une déformation professionnelle. Lorsqu’ils formulent un élément, un fait ou une explication en rapport avec leur domaine d’activités, ils ont tendance à employer les termes spécifiques à leur domaine et à aller droit au but sans explication. Dès lors, pour le simple quidam, il est difficile de comprendre et de critiquer les dires exposés.
  • Une formation juridique sur ce qu’est une expertise judiciaire et ce qu’elle implique doit permettre aux experts de comprendre la place qui est la leur durant un procès pénal. Ainsi, il est essentiel que les experts aient connaissance de leurs droits et devoirs lorsqu’ils viennent en aide à la justice, et qu’ils les comprennent.
  • En outre, une formation juridique adéquate des experts doit leur permettre de mieux cibler les éléments nécessaires à l’appréciation des preuves et de les exposer aisément. Ajoutons encore que pour parfaire la formation des experts, il est envisageable de leur donner des cours durant lesquels ils apprennent à formuler clairement, précisément et avec un vocabulaire simple leur résultat d’expertise.

T512 – A. La formation des juristes

  • A la lumière des constats effectués, la formation des juristes dans le domaine des nouvelles technologies et de l’appréciation de la preuve est insuffisante. En effet, les juristes ne bénéficient pas de connaissances adéquates pour déterminer la valeur scientifique d’une preuve et pour l’interpréter à la lumière du cas d’espèce.
  • Il ne s’agit pas ici de demander aux autorités pénales et aux juristes de devenir des experts en matière de nouvelles technologies, mais uniquement de leur inculquer quelques bases essentielles. Il faut notamment leur expliciter les problématiques et risques pouvant exister lors du prélèvement, du relever, de l’analyse, du traitement etc. de la preuve, leur fournir les éléments utiles pour apprécier un rapport d’expertise avec un œil critique et le comprendre, leur donner les outils nécessaires pour comprendre les faits établis par les éléments probatoires scientifiques ou techniques, expliciter comment des recoupements peuvent se faire entre divers indices technologiques, etc.; en d’autres termes, leur offrir la possibilité de comprendre les sciences, les techniques et les risques liés à leur usage quant à leur valeur probatoire.
  • A noter que cette formation peut tout autant se dérouler durant les études de droit ou être une formation continue des juristes.

T512 – III. Les propositions

  • Dans le dessein d’améliorer l’administration de la justice et de ne pas reconnaître un rôle de décideur à l’expert, la décision juridique sur l’admission et sur l’appréciation d’une preuve scientifique ou technique doit impliquer une réflexion conjointe des acteurs du procès pénal.
  • Pour remplir cet objectif, il est essentiel d’améliorer la collaboration et les échanges entre les autorités pénales et les experts et, pour ce faire, une formation adéquate de ces acteurs est nécessaire.

T511 – II. Le manque d’interprétation renforçant le rôle de l’expert

  • Actuellement, nous pouvons conclure que l’appréciation des preuves issues des nouvelles technologies ne repose que sur la confiance accordée aux rapports d’expertise.
  • Les magistrats savent que des questions sur la crédibilité des preuves scientifiques ou techniques se posent. Ils sont également conscients qu’un examen critique selon le cas d’espèce doit être réalisé. Néanmoins, par manque de connaissance et de dialogue avec l’expert, ils ne sont pas disposés à apprécier librement les preuves apportées et sont obligés de se référer à l’avis des experts.
  • Alors que l’expert ne devrait être désigné que pour assister le tribunal en lui fournissant des avis éclairés, il nous semble correct d’affirmer qu’il a en partie la décision juridique entre ses mains. En effet, en affirmant ou infirmant la valeur d’une démonstration scientifique ou technique, l’expert a la possibilité de faire pencher le juge en faveur ou en défaveur de l’accusation.
  • Ce constat est renforcé par le manque cruel de questions posées à l’expert par le juge au cours des procès pénaux. En outre, lorsque des débats ont lieu ou que quelques questions sont posées, les experts peinent à exprimer clairement et simplement des considérants scientifiques et techniques. Ils oublient bien souvent que le juge n’est pas un spécialiste du domaine.
  • Par conséquent, à l’heure actuelle, la collaboration entre les autorités pénales et les experts n’est ni suffisante, ni adéquate.

T510 – C. Le manque de connaissances scientifiques ou techniques des magistrats

  • Le manque de connaissances des magistrats dans les domaines scientifiques ou techniques est inhérent au principe de l’expertise, extensivement de la confiance portée aux dires de l’expert.
  • En vertu de l’art. 182 CPP: « Le ministère public et les tribunaux ont recours à un ou plusieurs experts lorsqu’ils ne disposent pas des connaissances et des capacités nécessaires pour constater ou juger un état de fait.« . A défaut de pouvoir analyser la preuve scientifique ou technique administrée au procès, le juge recourt aux experts. Extensivement, nous discernons difficilement comment le juge peut se positionner de manière certaine ou critiquer le rapport d’expertise.
  • Le juge ne pouvant s’écarter que pour de justes motifs des rapports d’expertises, l’absence de compétences en matière scientifique et technique le pousse à croire en l’expert et en ses capacités à juger la force probante d’un indice.

T509 – B. Les bases de la confiance

  • Plusieurs raisons expliquent la confiance portée aux experts lorsqu’une preuve scientifique ou technique est administrée.

1. L’impartialité et l’indépendance des experts

  • Un expert n’est pas nommé au hasard et sans cadre juridique. Contrairement aux témoins, aux personnes appelées à donner des renseignements ou au prévenu, les experts judiciaires n’ont aucun parti pris et sont indépendants tant des parties que du juge.
  • En outre, leur professionnalisme fonde également la confiance. En effet, ils suivent – en règle générale – des protocoles qui assurent aux juges que l’expertise a été réalisée dans les règles de l’art.

2. L’accréditation des laboratoires et l’expérience des experts

  • Dans certains domaines, notamment pour les analyses génétiques, la Confédération et les cantons ont utilisé la possibilité offerte par le Code de procédure pénale en accréditant des laboratoires au sein desquels des experts officiels peuvent être nommés (art. 183 al. 2 CPP).
  • L’accréditation officielle des laboratoires de médecine légale garantit un certain niveau de qualité des laboratoires et de formation des experts.
  • En outre, nous l’avons énoncé, l’expérience des experts joue un rôle fondamental dans l’esprit du magistrat. En effet, la crédibilité d’une expertise dépend étroitement des connaissances de son rédacteur. Ainsi, la formation continue des experts et leurs années de pratique permettent d’acquérir des connaissances supplémentaires renforçant leur crédibilité.

3. La reconnaissance technique et scientifique

  • L’art. 139 al. 1 CPP spécifie que: « les autorités pénales mettent en œuvre tous les moyens de preuves licites qui, selon l’état des connaissances scientifiques et l’expérience, sont propres à établir la vérité. ». La lettre de la loi est claire, une nouvelle technologie n’est une preuve viable que si elle est scientifiquement ou techniquement probante.
  • Ainsi, la confiance des juristes pour les preuves issues des nouvelles technologies est en premier lieu basée sur la reconnaissance scientifique ou technique de leur qualité identificatoire ou d’élucidation des faits.

T503 – I A. La confiance des juristes portée aux experts

A. Le principe de confiance

  • Tout au long de notre travail, nous avons pu constater que les sciences et les techniques demandent des connaissances spécifiques dans le domaine considéré.
  • Que ce soit au stade de l’instruction ou de la juridiction de jugement, les magistrats se trouvent dans l’obligation de recourir aux expertises. Par ailleurs, la police technique ou scientifique est fréquemment sollicitée lors des enquêtes policières. Il en résulte que le nombre de missions d’expertises judiciaires est en constante augmentation et que l’expert devient un acteur fondamental et récurrent du procès pénal.
  • Nous l’avons également déjà exprimé, les juristes ont une grande confiance dans les experts – indépendants et impartiaux – et dans la valeur des expertises.
  • Cette confiance apparaît dans le travail du magistrat qui ne pose guère de questions aux spécialistes, ne s’attarde que sur les résultats ou conclusions de l’expertise et ne débat pas de la force probante des sciences ou techniques.

T503 – Chapitre 1: Sommes-nous face à une nouvelle conception du système probatoire?

  • L’utilisation délinquante des technologies et la nécessité de concourir à la bonne administration de la justice en assurant la punissabilité des auteurs d’infraction ont obligé la police, le ministère public et les tribunaux à agir. En se servant des avantages des sciences et des techniques, ils se sont procurés des nouveaux moyens d’investigation.
  • En outre, il n’est plus utile de démontrer que, grâce aux nouvelles technologies, les autorités pénales bénéficient de moyens probatoires importants qui sont largement appréciés au vu de leur prétendue objectivité, les juristes omettant bien souvant que ces preuves matérielles nécessitent d’être interprétées, voire analysées et traitées par des experts.
  • Ce constat, démontré tout au long de notre travail, nous amène à nous demander si les preuves issues des nouvelles technologies ne constituent dorénavant pas une matérialisation de la réalité qui équivaudrait à l’aveu ou au jugement de Dieu ayant cours respectivement dans le système procédural inquisitoire et le système procédural accusatoire.
  • Après avoir établi que la valeur probante des preuves scientifiques ou techniques n’est pas toujours analysée in concreto (I.), nous verrons la problématique de la stratégie du doute utilisée par la défense dans le procès pénal (II.), et l’impact que ces divers éléments ont sur l’intime conviction du juge et sa liberté d’appréciation des preuves (III.).

I. L’importance des preuves scientifiques ou techniques

  • Depuis l’introduction, en 1829, du système de la preuve morale effaçant les abus de la preuve légale, il semble que ce régime soit indiscuté et indiscutable[1]. Néanmoins, l’introduction des preuves scientifiques et techniques nous laisse entrevoir un léger retour vers la preuve légale[2].

A. La reconnaissance des nouvelles technologies comme preuve de la vérité

  • Nous vivons actuellement dans un monde que nous pourrions caractériser de technologique. Autant les instruments informatiques, que les sciences forensiques ou les techniques matérielles fascinent l’opinion publique par leur objectivité et leur possibilité d’établir les faits ou d’identifier les auteurs. L’avis et la reconnaissance du quidam pour la crédibilité des nouvelles technologies n’a pas manqué d’intéresser la justice.
  • En procédure pénale, grâce à leur nature physique, à la matérialisation qu’elles apportent et au degré de précision ressortant des indices scientifiques ou techniques, les nouvelles technologies ont une place privilégiée. Elles sont considérées comme des moyens de preuves plus fiables et certains que toutes autres formes d’indices ou d’éléments probatoires. Certains auteurs de doctrine décrivent même les moyens de preuves scientifiques ou techniques comme une arme absolue dont le juge use et abuse pour faire triompher la vérité.
  • En outre, la communauté mondiale et certains juristes n’hésitent pas à soutenir que les indices scientifiques ou techniques sont la clé pour l’issue de tout procès pénal[3].

B. L’administration des nouvelles technologies et l’appréciation de la preuve

  • Avec certitude, nous pouvons affirmer que l’aveu n’est plus la reine des preuves. Mais qu’en est-il des preuves matérielles et objectives issues des nouvelles technologies?
  • Le système des preuves morales qui a cours actuellement dans notre système procédural impose de ne pas quantifier la valeur probante par avance.
  • Néanmoins, l’idéologie et la croyance qu’une preuve scientifique ou technique démontre la réalité de manière quasiment infaillible poussent régulièrement le juge ou les parties à administrer ces preuves sans débattre de leur valeur.
  • Hiérarchiquement, nous ne pouvons pas constater de reconnaissance probatoire plus ou moins importante en fonction des divers moyens de preuves technologiques. En revanche, les juristes – en reconnaissant un peu rapidement que ces éléments probatoires sont purement objectifs – ont tendance à les privilégier aux preuves indirectes[4]. En effet, ils estiment que ces moyens de preuves ont l’avantage de ne pas pouvoir mentir contrairement aux témoins, aux personnes appelées à donner des renseignements ou au prévenu.
  • L’objectivité de la preuve technologique, la matérialisation de la démonstration probatoire et le manque de connaissances des juristes pour apprécier l’élément probatoire poussent régulièrement le juge à s’en remettre à la valeur abstraite scientifique ou technique sans apprécier la preuve dans son contexte juridique.
  • Ce premier constat nous permet déjà de démontrer que l’élément principal de la preuve morale, à savoir la libre appréciation des preuves par le juge, n’a plus réellement cours lors de l’administration d’une preuve issue des nouvelles technologies.

II. La stratégie du doute ou la décrédibilisation des preuves scientifiques ou techniques

  • Si le juge n’a pas les connaissances scientifiques ou techniques suffisantes pour apprécier adéquatement la valeur probante des nouvelles technologies, il n’est pas non plus en mesure de déterminer avec précision les conséquences de certains risques sur la fiabilité et la crédibilité de ces mêmes éléments de preuve.
  • La défense ne manque pas de s’appuyer sur le manque de connaissances des juges concernant les nouvelles technologies pour défendre son client et éviter qu’une preuve technologique soit jugée irréfutable.
  • Afin de neutraliser les hypothèses issues des nouvelles technologies, les avocats se sont intéressés aux sciences et aux techniques. Plus particulièrement, ils ont recherché les failles et les risques permettant de décrédibiliser les preuves scientifiques et techniques.
  • Une preuve n’a de réelle force probante que si elle est authentique, véridique ou s’il est possible de déterminer les conséquences sur la démonstration probatoire qu’un risque ou qu’une imprécision peut avoir.
  • Ainsi, face à une preuve matérielle, comme celle issue des nouvelles technologies, la défense tente de démontrer systématiquement que rien ne peut prouver qu’aucune modification, manipulation ou contamination n’a eu lieu.
  • En mettant en cause la validité des preuves scientifiques ou techniques, les avocats de la défense emploient la stratégie du doute. S’il est rare de pouvoir démontrer qu’une atteinte à l’authenticité de la preuve ou à son objectivité existe réellement, il est relativement aisé de former un doute dans l’esprit du juge quant à la fiabilité de la preuve.
  • Corrélativement à la difficulté de comprendre et d’apprécier une preuve par manque de connaissances scientifiques ou techniques, le juge qui se trouve face à une décrédibilisation de la preuve par la défense peine à pouvoir juger du réel impact de la faille ou du risque présenté. Il se voit alors obligé d’écarter la preuve scientifique ou technique apportée ou, à tout du moins, de limiter considérablement sa force probante.
  • Ce deuxième constat renforce notre première conclusion, à savoir qu’à défaut de libre appréciation de la preuve par le juge, le système de preuve morale a évolué.

III. L’impact des preuves issues des nouvelles technologies et de la stratégie du doute sur la décision du juge

  • L’administration des preuves semble dorénavant orientée vers un régime de semi-preuve légale où le juge n’est plus à même de s’en remettre à son impression personnelle, soit à son intime conviction. Consciemment ou inconsciemment, à défaut d’avoir l’aptitude et les capacités scientifiques ou techniques pour comprendre toutes les subtilités des preuves issues des nouvelles technologies, le juge se réfère bien souvent à l’avis de l’expert, à la fiabilité théorique du mode probatoire et à la reconnaissance scientifique des sciences ou techniques administrées.
  • De surcroît, le manque de connaissances des magistrats dans le domaine des technologies implique également l’incapacité de ceux-ci à pouvoir déterminer si les dires de la défense adoptant la stratégie du doute sont crédibles, et quelles en seraient les conséquences pour la valeur probante.
  • Bien entendu, pour l’aider dans sa tâche, le juge peut toujours recourir à un expert afin de lui expliquer les arguments de la défense ou de l’accusation, de lui fournir un avis spécialisé sur une preuve scientifique ou technique ou de l’informer sur les conséquences qu’un risque déterminé peut avoir sur le résultat scientifique ou technique.
  • Cependant, cette situation ne résout pas la problématique des difficultés du magistrat à apprécier la valeur probante. En effet, en recourant à un expert pour l’aider à interpréter la valeur des nouvelles technologies, le juge entre dans un cercle vicieux où le recours à un expert est un passage obligé impliquant que la décision sur la valeur probante ne lui appartient pas à défaut de connaissances suffisantes.
  • Par conséquent, en l’absence d’évaluation concrète et d’appréciation libre des preuves administrées, nous pouvons admettre que la valeur probante des indices scientifiques et techniques est fixée par la reconnaissance théorique dans le domaine considéré. A défaut de quantification au cas par cas de la valeur probante d’un élément probatoire, l’un des principes essentiels du système des preuves morales n’est plus respecté.
  • Cependant, il ne s’agit pour autant pas d’un retour de la preuve légale. En effet, la valeur probatoire n’est pas fixée dans une loi, mais ressort des considérants techniques ou scientifiques. C’est pourquoi, à notre avis, la preuve scientifique peut, à l’heure actuelle, être considérée comme une semi-preuve légale, soit à mi-chemin entre une preuve morale et une preuve légale.
  • Afin d’éviter la surévaluation des preuves issues des nouvelles technologies ou leur décrédibilisation – parfois – injustifiée, le juge doit pouvoir appréhender la valeur criminalistique des indices scientifiques et techniques. Pour éviter la perte du pouvoir décisionnel du juge et de sa libre appréciation des preuves – nous le verrons plus précisément dans le second chapitre –, il est indispensable de former les magistrats sur les sciences et les techniques exploitées en procédure pénale.
[1] Supra Partie I, Chapitre 1, II, A, 3, b, n° 63 ss.

[2] Supra Partie I, Chapitre 1, II, A, 2, b, n° 49 ss.

[3] Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, b, iv, n° 708-709; Supra Partie II, Chapitre 2, II, C, 1, a, i, n° 942 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, I, A, 4, a, i, n° 1254 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 4, a, n° 1587 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, II, E, 1, a, n° 1784 ss.

[4] Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, b, iv, n° 709-710; Supra Partie II, Chapitre 2, II, C, 1, a, i, n° 944 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, I, A, 4, a, i, n° 1257 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 4, a, n° 1596 ss; Supra Partie II, Chapitre 3, II, E, 1, a, n° 1793 ss.