T358 – 4. La discussion sur la preuve obtenue par vidéosurveillance

  • Comme pour toutes les preuves, la technicité et les possibilités de visualiser et/ou de traiter les bandes-vidéo enregistrées ne fournissent pas l’absolue vérité. Il faut, par conséquent, peser le pour et le contre en analysant les forces et les faiblesses de la vidéosurveillance en tant qu’elle fournit des données utilisables comme preuve pénale.
a. Le potentiel de la vidéosurveillance
i. La nature de la preuve obtenue par vidéosurveillance ou technique audio-visuelle
  • La vidéosurveillance transporte virtuellement le juge et l’autorité policière sur les lieux de commission d’une infraction. Par conséquent, elle se révèle être un moyen approprié de reconstitution et d’étude d’événements qui permet dans certaines circonstances de confirmer adéquatement les soupçons de l’autorité policière et/ou judiciaire.
  • L’exploitation de la vidéosurveillance devant les tribunaux pénaux est assimilable à la présentation matérielle des faits. Contrairement aux témoignages reflétant les souvenirs et l’interprétation du témoin[1], les images capturées par des caméras et fixées sur un support sont dénuées de subjectivité. C’est pourquoi un crédit important est accordé à ce moyen de preuve jugé comme étant représentatif de la réalité.
  • Nous pourrions considérer que le tri des informations et leur interprétation nuisent à l’objectivité des images visualisées. Il faut néanmoins tempérer cette inquiétude et différencier les images qui sont objectives et la démonstration issue de cette preuve entachée de subjectivité.
  • Concernant le tri des informations, la totalité des données ne sont pas visionnées au tribunal. Seules les séquences jugées utiles pour établir les faits et/ou pour identifier l’accusé sont présentées à la Cour. Comme tout choix, même si celui-ci est cadré par la règle de la nécessité, il n’en demeure pas moins qu’une part de subjectivité existe. Pour contrer les inquiétudes quant au séquençage des enregistrements, la conservation de la totalité des images permet au juge, en cas de besoin, de visionner plus d’éléments et de se faire une idée réelle des événements.
  • Quant à l’interprétation réalisée suite au visionnage des images par la Cour, l’accusation ou la défense, elle implique immanquablement un élément de subjectivité. Néanmoins, cette subjectivité intervient en aval de la capture et de l’enregistrement des images. Elle n’influence donc pas la qualité objective de la vidéosurveillance en tant que technique probatoire. En revanche, la preuve administrée est une preuve scientifique qui, comme toute preuve, doit être libre et permettre au juge d’obtenir ou non l’intime conviction. Par conséquent, la subjectivité n’est pas liée au dispositif technique ou aux données enregistrées, mais bien à son intégration par les juristes lorsqu’il s’agit de déterminer l’établissement des faits à l’aide des images visionnées.
  • Par conséquent, les images capturées et traitées restent – normalement[2] – une représentation fidèle de la réalité et donc fournissent un moyen de preuve avec une force de conviction importante.

ii. La vidéosurveillance comme un moyen de preuve à charge ou à décharge
  • Nous l’avons vu[3], la vidéosurveillance est utile tant pour identifier les auteurs d’infraction que pour établir les circonstances de commission d’un crime ou d’un délit. De manière similaire aux autres preuves analysées, la vidéosurveillance est une preuve à charge et à décharge[4]. Nous ne développons dans la présente partie que ce qui relève spécifiquement de la vidéosurveillance.
  • Au-delà d’innocenter un prévenu ou une tierce personne parce qu’il ne se trouvait pas sur les images filmées, qu’il ne s’agissait en réalité pas de lui ou d’elle ou que les images démontrent un déroulement différent des faits, la vidéosurveillance permet de démontrer qu’un témoin n’a en réalité rien vu parce qu’il faisait dos à la scène. Ainsi, ce dispositif technique permet de mettre en doute la valeur de certaines autres preuves ou mettre l’accent sur les faiblesses des témoignages et, en finalité, de placer le juge décideur dans un rôle similaire à celui du témoin. En effet, grâce aux images, il peut voir, comme le verrait un témoin, les circonstances et le déroulement des actes à juger.
  • En outre, grâce au techniques audiovisuelles, les magistrats ont la possibilité d’avoir une vue directe sur les interrogatoires ou les auditions des témoins et du ou des suspects. Ainsi, ils peuvent apprécier directement le degré de spontanéité des déclarations, l’état d’esprit de la personne interrogée et son attitude générale. Il n’est alors plus question de s’appuyer sur le procès-verbal ou sur des déclarations tierces, ce qui renforce considérablement la position du juge face aux preuves administrées.
  • Parallèlement au renforcement de la position de l’autorité pénale en ce qui concerne l’établissement des faits, la défense n’a plus les mêmes facilités – par exemple – pour réfuter les faits ou arguer l’utilisation de la contrainte, de la violence, etc. pouvant mettre à mal un interrogatoire et entacher les aveux d’un suspect[5]. D’un autre point de vue, des images peu claires, imprécises ou au contraire démontrant clairement que l’accusé n’est pas le responsable de la commission d’un crime ou d’un délit rendent les déclarations de l’accusation fragiles et non tangibles.
  • Malgré sa supposée force de démonstration, afin d’éviter que le fardeau de la preuve ne soit renversé et que l’individu concerné doive alors prouver la fausseté ou l’inexactitude des images, il est impératif que la vidéosurveillance ou les techniques audiovisuelles ne soient pas considérées comme une solution irréprochable, concrète et réelle sans pouvoir être entachées de faussetés, d’incohérences ou d’inexactitudes. Ainsi, les autorités pénales ne peuvent pas s’appuyer sur cette unique preuve sans plus d’investigation.
  • En conséquence, avec une bonne organisation, des systèmes adéquats et une procédure de mise en œuvre et d’exploitation respectée, les systèmes audiovisuels et de vidéosurveillance fournissent un moyen probatoire avec une force de conviction pouvant être reconnue par certaines personnes comme comparable à l’aveu dans le système inquisitoire. Cependant, malgré le regard direct que la justice peut porter au déroulement des faits de l’affaire à juger, ce mode probatoire n’est pas absolu et ne peut pas constituer l’unique preuve[6].
iii. Les procédés techniques limitant la portée et la capture réalisées par les caméras
  • Du point de vue de la protection des données, il n’y a aucune objection à l’utilisation de la vidéosurveillance pour diminuer le sentiment d’insécurité ou obtenir un moyen probatoire tant qu’aucune atteinte inadmissible aux droits et libertés liées au traitement des données n’existe. Cependant, il est indispensable que les données récoltées soit propres et nécessaires à atteindre le but visé par la mise en place du système de surveillance caméra sans quoi le principe de proportionnalité ne peut pas être reconnu.
  • Avec le zoom qui accentue le champ de vision des caméras et la haute résolution, des craintes d’être filmé sans le savoir et de porter atteinte aux droits fondamentaux d’un grand nombre d’individus sans que cela ne soit justifié sont nées.
  • Les critères que nous allons développer n’influencent pas en soi la valeur probatoire de la vidéosurveillance. Néanmoins, une preuve violant les droits fondamentaux ou la loi de manière inadmissible n’est pas exploitable. Un système technique trop envahissant, réduisant les libertés à leur strict minimum, sans intérêt public ou sans pesée des intérêts va à l’encontre de la confiance que tout citoyen a envers la justice, s’il est utilisé comme preuve.
  • Grâce aux nouvelles technologies, de nombreux procédés existent pour éviter les atteintes trop importantes aux libertés personnelles. Ainsi, le détecteur de mouvement, le floutage des images et la réduction du champ de vision des caméras permet aux autorités de réaliser leurs tâches – dissuader ou réprimer les auteurs d’infraction – sans que des tiers innocents n’ayant causé un acte délictuel soient filmés fréquemment dans divers lieux et à divers moments, notamment sur la voie publique.
  1. a) La détection de mouvements
  • La détection des mouvements offre la possibilité de détecter les comportements anormaux.
  • Grâce à des algorithmes de comportements « acceptables » ou « normaux », il est possible de repérer ceux jugés « déviants »[7].
  • Cette technologie seule est utile pour aider à la détection des infractions.
  • Couplée avec un système de floutage, il est possible de diminuer considérablement la gravité de l’atteinte aux libertés personnelles et à la sphère privée[8].
  1. b) La vidéosurveillance intelligente
  • La vidéosurveillance intelligente permet de brouiller les personnes et les objets mobiles afin d’assurer l’anonymat, étant précisé que l’opération de brouillage est réversible[9].
  • Ainsi, il est possible de surveiller des lieux publics ou accessibles au public sans porter atteinte à la sphère privée puisque les données cryptées ne permettent pas d’identifier la ou les personnes filmées.
  • Lorsqu’un comportement jugé suspect est détecté, l’autorité compétente visionne l’enregistrement et, s’il apparaît qu’une infraction a été commise, les images sont décryptées. Ainsi, cette technologie évite que tout un chacun soit filmé de manière à être immédiatement identifié ou identifiable.
  • Relevons encore que le floutage des images peut également être partiel ce qui permet de garder l’anonymat sur d’éventuels co-enregistrés qui ne seraient pas mis en cause dans la commission de l’acte délictuel.
  • Nonobstant la qualité de cryptage et la diminution des atteintes aux droits fondamentaux, la vidéosurveillance intelligente ne garantit pas que les données ne soient pas utilisées abusivement. C’est pourquoi la solution la plus adéquate est de limiter le décryptage et l’accès aux données décryptées à un cercle restreint de personnes, voire d’utiliser une double clé de cryptage ou de créer un journal des accès[10].
  1. c) La réduction du champ de vision
  • La réduction du champ de vision des caméras a la propriété d’éviter que des lieux privés ou relevant du domaine secret soient filmés.
  • Prenons l’exemple d’une caméra de surveillance positionnée à but dissuasif sur un immeuble. Le champ de vision englobe la vue dans son ensemble et la fenêtre d’un appartement se trouvant sur la façade dudit immeuble. Deux solutions existent pour éviter que les images capturées relèvent du domaine secret ou privé (art. 179quater CP): réduire le champ de vision par des systèmes de blocage ou compléter le système de vidéosurveillance avec un logiciel de floutage.
  • Grâce aux procédés techniques de limitation du champ de vision ou de la visualisation des images, il est possible de délimiter convenablement les zones filmées. Ainsi, il devient plus aisé de veiller à ce que l’atteinte aux libertés ne soit pas disproportionnée tout en permettant une surveillance adéquate[11].
  1. d) La destruction automatique des informations captées et enregistrées
  • La destruction automatisée des images joue également un rôle dans le cadre du respect et de la garantie de la protection des droits fondamentaux[12].
  • Toutes les images ne peuvent pas être conservées, stockées et traitées après un certain délai. Sous le couvert du respect de la proportionnalité, les informations qui ne sont pas utiles comme moyen de preuve doivent être effacées rapidement.
b. Les problématiques liées à la preuve issue de la vidéosurveillance
i. La qualité des images et leur modélisation bidimensionnelle
  1. a) La manipulation des images
  • La manipulation des images et du son nuit à l’objectivité de la vidéosurveillance.
  • Actuellement, il existe un certain nombre de logiciels permettant de retravailler les images impliquant un risque quant à la garantie de l’authenticité des faits capturés et des personnes filmées, principalement quand la vidéosurveillance a été exécutée par un particulier[13].
  • Le risque de manipulations rend parfois la preuve par la vidéosurveillance fragile. C’est pourquoi des investigations doivent être réalisées pour s’assurer de la véracité et de l’inexistence de manipulations visuelles sur les enregistrements fournis comme moyen de preuve.
  • En outre, il est essentiel qu’une personne qualifiée certifie que le système de surveillance caméra n’a pas subi de défaillance technique, que les images sont authentiques ou, si elles sont retravaillées, l’implication que cela peut avoir sur la validité de la preuve. Malgré cette protection, le juge ne peut jamais être totalement certain de l’authenticité des images, ce d’autant que, bien souvent, les données manipulées sont difficilement décelables car elles gardent des apparences d’exactitude.
  1. b) Le traitement des images
  • La démocratisation des techniques s’est accompagnée de l’accès des particuliers à la vidéosurveillance et aux caméras en tout genre. Selon le type de caméras employées – spécifiquement faites pour la surveillance, caméras numériques, de téléphones portables –, la qualité de l’image varie.
  • Les données enregistrées, principalement par les particuliers, de mauvaise qualité doivent subir divers traitements – défloutage, super-résolution – pour livrer tout leur potentiel et écarter les images non nécessaires à l’enquête et à la procédure pénale. Ainsi, les images dites amateurs ou dont la qualité visuelle est moindre n’ont forcément pas la même force probatoire qu’une image nette, réalisée dans des conditions de luminosité adéquates et avec une caméra de haute technologie.
  • Par ailleurs, il n’est pas exclu que, pour des raisons techniques, l’image floue, imprécise ou extrêmement pixélisée soit inutilisable, même après traitement. En effet, les meilleurs systèmes de traitement d’images ne peuvent pas recréer des pixels manquants ou rendre absolument nette une image floue[14]. Parfois, le traitement est également impossible rendant la vidéosurveillance inutile, par exemple, parce que des branches ou feuilles d’arbre obstruent le champ de vision, que la pluie tombe sur l’objectif brouillant l’image, etc.[15]
  • Martin Gill et Angela Springs ont relevé dans leur étude que les images filmées de nuit d’environ 50% des caméras analysées étaient inutilisables ou quasiment par manque de luminosité ou, au contraire, par éblouissement d’une lumière sise trop prêt de l’objectif[16]. Les données capturées doivent alors obligatoirement être traitées pour être exploitables comme preuve, perdant ainsi leur authenticité et ne reflétant possiblement plus la réalité.
  • Les progrès technologique ne font pas de miracle: ce qui n’existe pas ne peut pas être reconstitué, tout du moins sans que cela touche à l’authenticité et à la véracité des données.
  1. c) La visualisation en deux dimensions d’une réalité en trois dimensions
  2. La problématique de la vision en deux dimensions
  • La perception visuelle issue de la vidéosurveillance est également un point à ne pas négliger. Il est impératif de garder à l’esprit que les images capturées visant à identifier les auteurs et le déroulement des infractions sont une vision bidimensionnelle de faits réels tridimensionnels.
  • Corrélativement à la problématique énoncée pour les empreintes digitales[17], la modélisation en 2D d’un événement en 3D ou d’un visage en 3D implique une perte d’informations plus ou moins importante.
  • Prenons l’exemple d’une image fixe, l’objectif visionne le dos d’une personne (A) grâce à un effet d’angle, nous constatons qu’il tend le bras vraisemblablement en direction d’un tiers (B) avec ce qui peut ressembler à une barrette de haschich. Quelques secondes après, A met quelque chose dans sa poche et s’en va. Il est alors arrêté, la fouille permet de trouver sur lui environ 300 CHF. Il est mis en détention pour trafic de stupéfiant, les images visionnées sont apportées comme preuve. En s’appuyant sur les images et le passé de A déjà condamné pour trafic de stupéfiant, le juge décide de le condamner. En réalité, A et B était distants de quelques 5 mètres et ne se sont jamais rencontrés. Néanmoins, l’effet d’optique et de perspective occasionnés par le passage du 3D en 2D montrent que A et B sont physiquement entrés en contact.
  • Cet exemple démontre que la réalité n’est pas toujours clairement retranscrite par les images de la vidéosurveillance. C’est pourquoi le juge doit analyser correctement ce qu’il visualise, demander un avis à un expert qui pourra l’aider dans la perception de la scène et ne pas apporter trop de crédit à des images ne révélant pas l’exacte vérité.
  1. La modélisation tridimensionnelle
  • L’évolution technologique peut contrer la problématique de la représentation bidimensionnelle d’un événement tridimensionnel, notamment avec la modélisation 3D qui implique l’existence de plusieurs caméras et d’un logiciel ou encore le simple usage de diverses caméras implémentées individuellement recréant fictivement une vision tridimensionnelle[18].
  • Grâce à ces deux mesures, il est possible de modéliser le déroulement d’une scène ou le visage d’un suspect en 3D pour permettre l’identification forensique et formaliser toutes les images[19]. Couplé avec un logiciel permettant d’extraire des informations spatiales et géométriques du sujet ou de la scène représentée, la modélisation en 3D semble offrir une perception exacte des faits. Ensuite, il s’agit de confronter les images à un état de fait concret pour s’assurer de ce qu’elles démontrent sans omettre le degré d’incertitude dû au traitement tridimensionnel.
  • Malgré le degré important d’objectivité liée à l’utilisation de la vidéosurveillance comme moyen probatoire, il n’en reste pas moins que la qualité des images et le passage bidimensionnel d’un événement tridimensionnel impliquent des pertes d’informations qui peuvent transformer considérablement la réalité du déroulement de l’acte délictuel ou occasionner un faux-positif dans l’identification d’un suspect.
  • Il faut donc nuancer l’objectivité de la vidéosurveillance: elle ne représente pas la réalité en tant que telle. Elle n’est qu’une retranscription de la réalité. Conséquemment, des incertitudes subsistent quant à la perfection de la retranscription.
ii. Les pertes d’informations liée à une surveillance incomplète ou aux données retirées
  • Rodolphe Archipald Reiss a écrit « […] l’appareil photographique est l’enregistreur qui voit tout et qui enregistre tout […] »[20], nul doute que cette remarque aurait aussi valu pour la caméra et l’enregistreur s’ils avaient existé en 1903. Néanmoins, cet enthousiasme pour les images capturées est erroné.
  1. a) La problématique des angles morts
  • Le champ de vision d’une caméra n’est pas infini. Il n’est dès lors pas exclu qu’un événement débute en un lieu non surveillé ou tout du moins hors champ visuel de la caméra et se déroule ensuite face à la vidéosurveillance. La prise en compte des angles morts des caméras est nécessaire et obligatoire dans le cadre d’une interprétation correcte et complète de la preuve par la vidéosurveillance.
  • Imaginons l’état de fait suivant: un individu A frappe B en dehors des caméras, commettant une lésion corporelle. Pour éviter un second coup, B frappe A qui subit à son tour une atteinte à l’intégrité corporelle. Ce dernier ayant reculé de quelques pas, ils se trouvent alors tous les deux dans le champ de vision d’une caméra. Le lendemain, A porte plainte contre B, les images de vidéosurveillance sont visionnées. B clame alors la légitime défense, mais le premier coup n’est pas visible sur les enregistrements.
  • En niant la problématique des angles morts, la légitime défense ne sera vraisemblablement pas reconnue, alors qu’en prenant en compte cette faille, l’investigation policière sera étendue à ce qui s’est passé avant. Ainsi, les chances que le motif justificatif puisse trouver à s’appliquer augmente considérablement changeant ainsi l’issue du procès.
  • Un mauvais ajustement de la caméra peut également empêcher de constater l’infraction, les circonstances pouvant aider à l’enquête sur un suspect ou encore d’identifier un individu[21].
  • Il existe donc des failles qui ne doivent pas être négligées lors de l’analyse, du traitement et de l’interprétation réalisée grâce aux données capturées par les caméras.
  1. b) L’étendue du champ de vision dépendamment de l’utilisation d’une caméra fixe ou mobile
  • Un deuxième problème relatif au champ de vision vient du système technique de vidéosurveillance ou, plus exactement, du choix opéré entre l’installation d’une caméra fixe ou d’une caméra mobile.
  • Alors que la caméra fixe a l’avantage de couvrir un champ de vision plus étendu et d’avoir une meilleur qualité d’image, elle ne permet ni de zoomer ni de suivre un suspect qui se déplace. Inversement, la caméra mobile offre ces possibilités.
  • Cependant, un désavantage conséquent existe avec la rotation programmée des caméras mobiles[22]. En effet, il n’est pas exclu qu’un événement ne soit filmé qu’en partie parce que la caméra bouge et qu’en changeant d’angle, le déroulement des faits de l’acte délictuel ne soit pas capturé et/ou enregistré dans son ensemble.
  • L’arrêt brusque de la capture par une caméra mobile ou au contraire la prise en cours d’événements délictueux fournit une preuve incomplète, soit imparfaite ce qui diminue considérablement sa valeur pour rechercher la vérité matérielle.
  1. c) Les erreurs d’interprétation des images
  • Les erreurs d’interprétation peuvent être liées à la saturation du système automatisé ou à l’étape d’analyse des images visionnées dépendante de la subjectivité.
  • Dans le premier des cas, le système automatisé étant saturé, plus aucune donnée ne peut être conservée. Un certain nombre d’images sont alors manquantes ou ont disparu. Ainsi, les captures ne reflètent pas la réalité ou plus exactement se limitent à une réalité partielle.
  • Les systèmes de vidéosurveillance ne sont en outre pas à l’abri d’une panne technique de longue ou courte durée, voire de très courte durée presque invisible, qui occasionne l’arrêt de la caméra ou de la transmission réseau. Une panne de plusieurs minutes pose naturellement moins de problème puisqu’elle peut être immédiatement détectée et prise en considération dans l’analyse de la vidéo. Au contraire, une panne de quelques secondes peut passer inaperçue.
  • Durant le laps de temps où le système ou une partie du système est en panne, les images ne sont plus capturées, enregistrées ou transmises. Néanmoins, le déroulement des faits se poursuit dans la réalité. Il se peut que certains faits soient par ailleurs essentiels à la procédure. C’est pourquoi il est nécessaire de vérifier qu’aucune image n’est manquante – par exemple qu’il n’existe pas de saut d’images d’une seconde ou plus – afin de pouvoir déterminer la qualité de la preuve. Dans l’hypothèse où le magistrat constate la discontinuité des enregistrements, il est indispensable d’en déterminer l’impact pour s’assurer de la valeur probante des données issues de la vidéosurveillance.
  • Outre les problèmes techniques, l’analyse des images issues de la vidéosurveillance sans enregistrement implique la visualisation en temps réel. Il est illusoire de penser qu’il existe un écran par caméra ou encore que les opérateurs puissent surveiller plus d’un écran à la fois de manière correcte. Par conséquent, la plupart des délits échappent tout ou en partie à la vigilance des opérateurs qui, par la suite, ne peuvent pas apporter leur témoignage ou apportent un témoignage ne reflétant pas toute la réalité. Ainsi, seuls les systèmes de vidéosurveillance intégrant la technologie de détection automatique des comportements anormaux peuvent parer à la difficulté de visionnage des opérateurs. Cependant, ceci tend à sous-entendre qu’il est possible de modéliser complètement les comportements relevant d’infractions – identification des comportements suspects et pertinence de suivre le suspect sans pour autant se fonder uniquement sur des stéréotypes ou des préjugés – pour que la détection soit efficace[23], ce qui, au vu de la nature et de la diversité des infractions, semble difficilement réalisable.
  • Quant à l’analyse par les criminologues, les experts ou le juge du fond des images enregistrées par un système de vidéosurveillance, elle doit intégrer la totalité des failles présentées ci-dessus. Elle est au surplus relativement subjective. Même si les images présentées montrent des faits réels, nous avons vu qu’il ne s’agissait pas d’une reproduction fidèle de la réalité, que des éléments peuvent être manquants ou refléter une réalité autre. S’ajoute à cela qu’en visualisant les images, le criminologue, l’expert ou le juge intègre ce qu’il a vu dans sa représentation des faits ce qui laisse immanquablement une place à la subjectivité qui peut être erronée.
  • Concernant les techniques audiovisuelles, les risques liés aux failles techniques sont moindres. Les pannes sont généralement détectées immédiatement et l’interrogatoire ou l’audition peut alors être stoppée. Le seul risque réel reste l’interprétation réalisée suite au visionnage de l’enregistrement.
  • Par conséquent, qu’importe le système de vidéosurveillance ou audiovisuel, pour garantir un jugement correct, il faut prendre en considération les risques liés à la technicité de la méthode et à l’aspect subjectif de l’interprétation sans quoi une fausse valeur probatoire pourrait être reconnue aux données issues de la vidéosurveillance.
iii. Une valeur ajoutée, mais non pas un moyen d’investigation unique
  • De façon générale, la vidéosurveillance ne contribue pas notablement à la diminution de la criminalité et ne fournit pas un sentiment de sécurité parfait[24]. Pour ce dernier point, il est en effet inimaginable qu’une personne dans la rue puisse se sentir réellement en sécurité grâce à une caméra sachant pertinemment que l’autorité d’intervention est distante du lieu où elle se trouve, sans oublier qu’il n’est pas exclu que des enregistrements vidéo soient réalisés sans surveillance humaine.
  • En outre, comme nous l’avons énoncé ci-dessus[25], les images capturées ne correspondent pas forcément à l’entièreté des faits ou ne sont pas analysées correctement, voire elles ne sont pas suffisamment précises ou de bonne qualité pour fournir des éléments pertinents ou de haut intérêt à l’enquête et à la justice.
  • Pour ces raisons, les systèmes de vidéosurveillance et audiovisuels ne doivent, en aucun cas, se substituer aux autres tâches de police, ni constituer l’unique moyen probatoire à charge ou à décharge administré dans la procédure.
  • La vidéosurveillance doit se concevoir globalement comme un moyen d’aider la police et la justice[26].
  • Par exemple, elle doit servir à enclencher un processus d’alerte afin qu’une équipe d’intervention se déplace sur les lieux où une caméra a filmé un acte délictuel. Dans ce contexte, les systèmes de surveillance sont des outils d’appui censés favoriser la mobilité des agents d’intervention et permettre aux forces policières d’assurer une présence préventive sur un lieu déterminé.
  • Ainsi, les arrestations – sans lesquelles il n’y aurait pas de jugement et donc pas d’administration de la preuve – peuvent être en nette augmentation si la vidéosurveillance est employée à bon escient.
  • Quant à la vidéosurveillance invasive, elle ne peut clairement pas être le seul moyen d’enquête lorsqu’un soupçon existe, ce d’autant plus qu’une unique preuve exploitable et administrée au procès ne peut pas être suffisante pour créer le faisceau de preuves essentiel à la recherche de la vérité matérielle.
  • La vidéosurveillance ne peut remplacer ni un policier, ni une enquête et ne suffit pas par elle-même à prouver le déroulement d’un fait ou à identifier l’auteur d’une infraction, sachant que des soucis techniques peuvent exister, que les images sont parfois peu précises, trop éloignées ou pixélisées, et que les caméras ne filment pas l’entièreté ni du domaine privé ni du domaine public.
  • Le juge doit pouvoir justifier sa décision à l’aide de preuves fiables démontrant la véracité des circonstances de commission de l’acte délictuel. S’appuyer uniquement sur la vidéosurveillance revient à nier la faiblesse technique des systèmes de surveillance, la qualité des images et la reproduction en deux dimensions d’un fait tridimensionnel.
  • Par conséquent, la vidéosurveillance dissuasive n’a de sens que si elle est encadrée d’une politique sécuritaire et de moyens humains. Quant à la vidéosurveillance répressive, elle n’a qu’une force probatoire relative. Elle doit donc s’ajouter à d’autres preuves pour créer un faisceau probatoire et permettre la correcte recherche de la vérité.
c. Quelques pistes de réflexion
i. Quelques moyens de précautions à mettre en œuvre
  • En tant que technique d’investigation portant atteinte au droit constitutionnel, l’utilisation de la vidéosurveillance par les autorités doit respecter les conditions de restriction des droits fondamentaux pour être exploitable en tant que preuve pénale. La condition de la proportionnalité de la mesure est la plus délicate à respecter et celle qui risque le plus facilement de ne pas être remplie.
  1. a) Les méthodes techniques
  • Afin de limiter les atteintes aux libertés personnelles ou tout du moins que celles-ci ne soient pas disproportionnées, certaines précautions d’ordre technique ou organisationnel peuvent être prises.
  • Nous l’avons développé précédemment[27], la mise en œuvre de certaines mesures techniques ou informatiques permet de limiter la gravité de l’atteinte causée aux libertés personnelles:
  • le détecteur de mouvement, si tant est que les comportements dits anormaux soient clairement et précisément modélisés, offre l’opportunité de ne filmer que les individus dont le comportement peut faire l’objet d’une poursuite pénale;
  • le floutage induit un résultat équivalent puisqu’aucune personne ou objet n’est identifié ou identifiable sans décryptage de l’image qui doit intervenir dans des conditions strictes, notamment suite à un dépôt de plainte ou à la constatation de la commission d’un acte délictuel;
  • la réduction du champ de vision tend à limiter l’étendue de la zone filmée, notamment en évitant la capture d’images ressortant du domaine privé ou secret, et ainsi à réduire le nombre d’informations personnelles recueillies.
  • Toutes ces mesures limitent donc la capture des images amoindrissant la gravité de l’atteinte à la vie privée et à l’autodétermination informationnelle. Ainsi, il est plus aisé de reconnaître la proportionnalité de la mesure de surveillance visuelle.
  1. b) Les conditions de mise en œuvre ou organisationnelles
  • Un certain nombre de conditions de mise en œuvre de la vidéosurveillance ou d’organisation permettent également une vidéosurveillance proportionnée en encadrant l’enregistrement et le traitement des données capturées:
  • la fixation d’un délai maximum de conservation, voire la destruction automatique des images capturées s’il s’avère qu’elles ne sont pas liées à un acte délictuel ou à un dépôt de plainte, répond au principe de proportionnalité;

–     lorsque la durée de conservation est relativement longue, une réglementation limitant l’usage abusif des images et le restreignant au but visé permet d’admettre la restriction aux droits fondamentaux[28];

  • la prise de mesures visant à éviter le visionnage par tout un chacun pour des raisons dépassant la finalité de la vidéosurveillance;
  • la limitation du droit d’accès aux données stockées;
  • la possession de la clé de décryptage par un nombre restreint de personnes soumises au respect de conditions strictes pour décrypter les informations;
  • la nécessité d’une double clé pour autoriser le décryptage;
  • la communication restreinte à un certain cercle de personnes;
  • la sécurisation du lieu de conservation et l’utilisation des seules images strictement nécessaires, etc.
  • Toutes ces limitations ainsi que l’instauration d’une procédure d’autorisation ou de mesures de contrôle permettent de restreindre au maximum l’atteinte causée aux libertés personnelles et donc de concevoir comme proportionnée la vidéosurveillance.
  • La mise en pratique de ces précautions offre l’opportunité d’éviter que les droits fondamentaux soient restreints de manière injustifiée, extensivement assure que la preuve puisse être administrée au procès et exploitée selon la force qui lui sera reconnue.
ii. L’adoption ou la modification des bases légales en matière de vidéosurveillance dissuasive exercée par les autorités ou les particuliers et de la surveillance répressive opérée par les personnes privées
  • La mise en œuvre et la réglementation des précautions que nous avons listées non-exhaustivement risquent de créer des législations fédérales ou cantonales éparses. C’est pourquoi la proposition d’une législation uniforme comprenant au minimum les principes de base pour la délimitation et l’organisation découlant de la vidéosurveillance paraîtrait cohérente.
  • Dans le cadre de la vidéosurveillance opérée par les particuliers ou les autorités fédérales, il semble nécessaire – tout du moins – que la LPD instaure une ou plusieurs dispositions qui traitent explicitement et spécifiquement de la vidéosurveillance, corrélativement à l’art. 42 LIPAD/GE. Cette réglementation permettrait de clarifier la situation et d’éviter notamment, pour les particuliers, d’abuser de la vidéosurveillance principalement sur domaine privé.
  • Concernant la vidéosurveillance dissuasive exercée par les autorités cantonales, les cantons sont seuls compétents pour légiférer sur le sujet, ce qui implique une grande diversité de normes. Alors que certains cantons doivent adopter une norme pour fonder la vidéosurveillance, d’autres ont déjà légiféré, de manière plus ou moins complète.
  • Afin que les citoyens suisses et étrangers puissent se déplacer en divers lieux en ayant connaissance au minimum des principes généraux régissant la vidéosurveillance et le traitement subséquent des images, nous pensons que l’entrée en vigueur d’un concordat intercantonal sur la vidéosurveillance dissuasive serait une plus-value pour la sauvegarde des libertés personnelles et la garantie de la protection de la personnalité. Ainsi, grâce à un régime juridique égal dans tous les cantons, les citoyens pourraient appréhender correctement les droits et obligations imposés aux collectivités publiques.
  • De notre avis, la vidéosurveillance dissuasive et/ou répressive doit donc faire l’objet d’une réforme afin de clarifier la situation juridique. Des bases légales précises et/ou harmonisées assureraient la sécurité juridique et garantiraient une protection adéquate des individus dans le cadre de la vidéosurveillance.
[1] Supra Partie I, Chapitre 3, IV, A, 2, n° 332 ss.

[2] Infra Partie II, Chapitre 3, I, B, 4, a, ii, n° 1592 ss; Infra Partie II, Chapitre 3, I, B, 4, b, i, n° 1616 ss.

[3] Supra Partie II, Chapitre 2, I, B, 3, b, n° 1580 ss.

[4] Cornu, p. 255. Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, a, iii, n° 650 ss; Supra Partie II, Chapitre 2, II, C, 1, a, i, n° 946; Supra Partie II, Chapitre 3, I, A, 4, a, ii, n° 1259 ss.

[5] McDonald, p. 78-79.

[6] Infra Partie II, Chapitre 3, I, B, 4, b, n° 1618, 1628, 1632 et 1638.

[7] Laporte, p. 30.

[8] ATF 138 II 346, 366-372 = JdT 2013 I 71, 91-94.

[9] Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 1, c, n° 1443 et 1446.

[10] PFPDT, Rapport 2007/2008, p. 28; PFPDT, Rapport 2008/2009, p. 22.

[11] Ruegg, Flückiger, November, Klauser, p. 85.

[12] TF 1C_363/2014 du 13 novembre 2014, c. 2 = SJ 2015 I 128, 129-130; ATF 133 I 77, 83-88 = JdT 2008 I 418, 424-429; ATF 136 I 87, 116-117 = JdT 2010 I 367, 393-394.

[13] Fichet-Boyle, p. 214; Legler, p. 202.

[14] Bauer, Freynet, p. 48.

[15] Association Souriez-vous êtes filmé, p. 9.

[16] Gills, Spriggs, p. 78.

[17] Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, b, v, n° 720.

[18] A ce sujet, voir: Lanzi, Correvon, Sapin, de Priester, p. 233-238.

[19] Curchod, p. 44; Milliet, p. 45.

[20] Reiss Rodolphe Archibald, La photographie judiciaire, Paris 1903, p. 35.

[21] Laporte, p. 30.

[22] Association souriez-vous êtes filmé, p. 9.

[23] Laporte, p. 30; Lavenue, Villalba, p. 19.

[24] Cusson, RICPTS, p. 136-137; Laporte, p. 40.

[25] Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 4, b, ii, n° 1634 ss.

[26] Bauer, Freynet, p. 76-78.

[27] Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 4, a, iii, n° 1599.

[28] DFJP, Rapport vidéosurveillance, p. 27.

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