T347 – b) La vidéosurveillance dissuasive des espaces publics

  • La vidéosurveillance du domaine public comprend l’espace public – rues, places, parcs, etc. – et le patrimoine administratif – hôpitaux, bâtiments étatiques, parkings en mains publiques, etc.[1] Elle peut être exercée par une autorité cantonale ou fédérale.
  • Le cadre juridique dépend étroitement de la qualité de l’autorité qui exerce la vidéosurveillance. Alors que l’art. 28 CC n’est pas applicable puisqu’il s’agit d’une norme de droit privé[2] – qui règlemente donc les rapports entre particuliers –, la LPD n’encadre que l’activité des organes fédéraux (art. 2 al. 1 let. b LPD) et le droit cantonal s’applique à la surveillance dissuasive exercée par les autorités cantonales.

  1. L’exercice de la vidéosurveillance dissuasive par les organes fédéraux
  • Dans le cadre de la vidéosurveillance dissuasive exercée par les autorités fédérales et leurs organes, la LPD étant applicable, les principes généraux du droit de la protection des données (art. 4 ss LPD) doivent être respectés[3]. Ils sont complétés par les articles 16 à 25 LPD.
  • Afin d’éviter toutes redondances, nous nous bornerons à spécifier quelques points précis.
  • La vidéosurveillance dissuasive du domaine public par les organes fédéraux est interdite sans une base légale (art. 17 al. 1 LPD). La capture des images étant propres à informer l’autorité sur les opinions et/ou activités religieuses, sur la santé, la sphère intime, l’appartenance à une race, etc., les données ainsi recueillies constituent des données sensibles (art. 3 let. c LPD), voire peuvent former un profil de la personnalité en étant couplées avec d’autres informations (art. 3 let. d LPD). Il en résulte que les normes spécifiques doivent être de nature formelle (art. 17 al. 2 LPD).
  • Exceptionnellement, le traitement des profils de la personnalité ou des données sensibles est possible si l’accomplissement d’une tâche définie dans une loi au sens formel l’exige (art. 17 al. 2 let. a LPD), si le Conseil fédéral l’a autorisé (art. 17 al. 2 let. b LPD) ou si l’autorité obtient le consentement de la personne concernée, si elle a rendu les données accessibles ou tout du moins si elle ne s’est pas opposée formellement au traitement (art. 17 al. 2 let. c LPD).
  • Concernant les hypothèses de la let. c de l’art. 17 al. 2 LPD, la présence dans le champ de vision ne suffit pas[4]. A la différence de la vidéosurveillance effectuée par les particuliers, le consentement implicite n’est pas satisfaisant puisque nous ne pouvons pas exiger d’un individu de changer de rue ou de place pour ne pas être filmé. En effet, admettre le consentement implicite impliquerait de forcer le consentement et, au fur et à mesure de l’étendue de la vidéosurveillance, à restreindre la liberté de mouvement de manière inadmissible en empêchant la population de se déplacer. C’est pourquoi la doctrine demande que le consentement soit express, volontaire et éclairé[5].
  • Au surplus, les principes généraux de la protection des données devant être respectés[6], dans l’intérêt public à la prévention d’actes délictuels[7] et à l’identification de leurs auteurs[8], les organes fédéraux sont en droit d’installer des systèmes de caméra surveillance moyennant l’existence d’une base légale au sens formel et le respect du principe de proportionnalité analysable au cas par cas, notamment en ce qui concerne la durée de conservation qui est dépendante de la finalité de la mesure[9].
  • Relevons encore, sans entrer dans les détails, que des normes spécifiques[10] complètent la réglementation applicable à l’utilisation d’un système de vidéosurveillance. Toutes ces dispositions légales correspondent à des tâches particulières qui doivent être exercées par les organes fédéraux afin de les aider à accomplir leurs devoirs.
  1. L’exercice de la vidéosurveillance dissuasive par les autorités cantonales
  • Sortant du champ d’application de la LPD (art. 2 a contrario LPD), la vidéosurveillance dissuasive par les collectivités publiques ou les institutions publiques cantonales ressort du droit cantonal complété de manière supplétive par la LPD (art. 37 al. 1 LPD) et les principes généraux de la protection des données (art. 4 ss LPD par analogie).
  • A Genève, l’abrogation de la LITAO/GE s’est accompagnée de l’entrée en vigueur de la LIPAD/GE qui instaure une base légale et des conditions spécifiques pour l’installation des systèmes de vidéosurveillance (art. 42 LIPAD/GE)[11].
  • L’art. 42 LIPAD/GE se conçoit comme une norme générique qui renforce les dispositions spécifiques éparses[12] – par exemple, possibilité de filmer les participants à une manifestation (art. 22 aLPol/GE) – qui ne s’appliquent pas à tous les domaines de vidéosurveillance préventive. Ainsi, la LIPAD/GE fournit notamment une base légale suffisante pour toute vidéosurveillance dissuasive ou préventive entrant dans son champ d’application (art. 2 LIPAD/GE).
  • Dans les grandes lignes, en dehors des tâches de la collectivité publique ou de ses institutions ressortant d’une loi cantonale spéciale, l’art. 42 LIPAD/GE pose la condition de principe à la licéité de l’installation et d’exploitation d’un système de vidéosurveillance.
  • Ainsi, la création et l’exploitation d’un système de caméra de surveillance doit cumulativement respecter les exigences: d’adéquation, de finalité, d’intérêt public prépondérant, de proportionnalité, de transparence – installation des caméras à des endroits visibles –, d’information – signalisation du système de vidéosurveillance –, de communication des données, de leur destruction après un bref délai, en principe de sept jours, et pouvant se porter jusqu’à trois mois en cas d’atteinte avérée aux personnes ou aux biens – et de sécurité afin de protéger les données contre un traitement non-autorisé ou un accès abusif[13].
  • Il sied encore de relever qu’avec la modification de l’art. 56 al. 1 nLPol/GE, le législateur genevois a voulu autoriser la vidéosurveillance employée à titre préventif par l’autorité policière en respectant les critiques formulées par le Tribunal fédéral à l’encontre des anciennes dispositions de la LPol/GE[14].
[1] Flückiger, p. 207; Hottelier, SJ 2002, p. 123-126.

[2] ATF 101 II 177, 185-186 = JdT 1976 I 362, 370-371; ATF 136 III 410, 421.

[3] Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 2, c, i, c), n° 1508 ss.

[4] Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 2, c, i, c), n° 1509.

[5] Ballanegger, Mojer, art. 17 N 30-33; BSK-DSG-Jöhri, Studer, art. 17 N 49-53; Ruegg, Flückiger, November, Klauser, p. 59.

[6] Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 2, c, i, c), n° 1508 ss.

[7] ATF 109 Ia 138, 146-147; ATF 109 Ia 146, 155-156; ATF 120 Ia 147, 151 = JdT 1996 IV 61, 61; ATF 137 I 167, 187-188.

[8] ATF 109 Ia 138, 146-147; ATF 109 Ia 146, 155-156; ATF 137 I 167, 184-185.

[9] ATF 133 I 77, 83-88 = JdT 2007 I 591, 597-601; ATF 136 I 87, 116-117 = JdT 2010 I 367, 393-394.

[10] Ordonnance du 27 juin 2001 sur la sécurité relevant de la compétence fédérale (OSF), RS 120.72; Ordonnance du 4 avril 2007 régissant l’utilisation d’appareils de prises de vue, de relevé et d’autres appareils de surveillance par l’Administration fédérale des douanes, RS 631.053; Loi fédérale du 20 décembre 1957 sur les chemins de fer (LCdF), RS 742.101; Ordonnance du 4 novembre 2009 sur la vidéosurveillance dans les transports publics (OVid-TP), RS 742.147.2; Loi du 20 mars 2009 sur le transport de voyageurs (LTV), RS 745.1; Ordonnance du 24 septembre 2004 sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (Ordonnance sur les maisons de jeu, OLMJ), RS 935.521; Ordonnance du DFJP du 24 septembre 2004 sur les systèmes de surveillance et les jeux de hasard (Ordonnance sur les jeux de hasard, OJH), RS 935.521.21; etc.

[11] Projet de loi du Conseil d'Etat de Genève sur la protection des données personnelles (LPDP) – PL 9870, p. 34.

[12] Loi du 26 juin 2008 sur les manifestations sur le domaine public (LMDPu/GE), RS/GE F 3 10; Règlement du 31 août 1988 relatif à l’exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l’hébergement (RRDBH/GE), RS/GE I 2 21.01; etc.

[13] Projet de loi du Conseil d'Etat de Genève sur la protection des données personnelles (LPDP) – PL 9870, p. 62-63; Supra Partie II, Chapitre 3, I, B, 2, c, i, c), n° 1508 ss.

[14] ATF 140 I 381; Projet de loi modifiant la loi sur la police (LPol) - PL 11664.

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