T311 – ii. La surveillance préventive

  1. a) La réglementation prévue par le CPP
  • En vertu des art. 269 ss CPP, la surveillance pénale de la correspondance a pour but de rechercher l’auteur d’une infraction ou de prouver l’existence d’une infraction préalablement commise. Ces dispositions n’ont pas pour but de servir à créer un soupçon excluant la possibilité d’effectuer une surveillance préventive[1].
  1. b) La réglementation prévue dans la LMSI
  • La loi instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI) est la norme principale réglant la surveillance préventive civile. Cette norme fédérale prévoit uniquement la surveillance aux fins de détecter un danger ou une menace pour la sécurité du pays.
  • Les informations recherchées doivent permettre de prévenir et de lutter contre les dangers liés au terrorisme, au service de renseignements prohibé, à l’extrémisme violent ou à la violence lors de manifestations sportives (art. 2 al. 1 LMSI). En outre, ce type de surveillance ne peut être mis en œuvre sans des soupçons de commission d’une future infraction[2].
  • En revanche, la LMSI ne permet pas d’autoriser une surveillance aussi intrusive que celle connue dans le cadre de la procédure pénale[3]. Cette limitation s’explique par le fait que, faute de commission d’une infraction, l’atteinte à la vie privée serait disproportionnée, et que la personne surveillée ne bénéficie pas des moyens de la procédure pénale pour remettre en cause la décision de surveillance.
  • Par conséquent, en dehors du cadre de l’art. 2 LMSI, cette loi n’autorise pas la surveillance préventive dite de police.

  1. c) Les réglementations cantonales sur la police
  • La LMSI et le CPP ne prévoyant par la surveillance préventive, les observations policières pratiquées à titre préventif, telles que la prise de photos lors d’une manifestation, sont régies par les normes sur la police[4].
  • Depuis l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale fédérale, la Confédération estime que les cantons qui réglementaient la surveillance préventive dans leur Code de procédure pénale doivent modifier leur législation sur la police[5].
  • Dans ce domaine de surveillance, le canton de Schwytz a fait office de modèle pour l’ensemble des cantons suisses dépourvus de législation, dès lors que le législateur schwytzois a déjà légiféré en la matière.
  • A l’art. 9a al. 2 Polizeiverordnung[6], la police peut recueillir des informations par le moyen des télécommunications lorsqu’il y a des raisons de penser qu’un acte criminel est commis ou pourrait être commis ou qu’un danger imminent pour la sécurité publique existe. En d’autres termes, la surveillance préventive des télécommunications n’est pas interdite de plein droit.
  • Le canton de Zurich a également édicté des dispositions permettant les investigations secrètes préventives, notamment la surveillance des forums de discussion. Le Tribunal fédéral a confirmé la conformité avec les droits fondamentaux de l’art. 32e LPol/ZH dès lors que la compétence pour règlementer l’activité préventive de la police était du ressort des cantons et que l’art. 32e LPol/ZH conditionnait une telle surveillance à des délits graves renvoyant aux normes de procédures fédérales pour le surplus (art. 287-298 CPP)[7]. En revanche, s’agissant de la surveillance sur Internet (art. 32f LPol/ZH), notre Haute Cour a retenu que la proportionnalité n’était pas respectée, puisque la surveillance des forums de discussion atteignait à la sphère privée d’un nombre important de personnes et donc d’individus qui ne sont pas soupçonnés et ne pourront l’être, ce d’autant que l’atteinte est estimée comme grave vu le nombre de données accessibles, qu’aucun régime d’autorisation n’était prévu et que les personnes touchées ne bénéficiaient d’aucune protection juridique postérieure[8]. Cette disposition a donc été annulée. Au sujet de l’information en accord avec Thomas Hansjakob, il faut relever que l’arrêt du Tribunal fédéral est critiquable, puisque l’information de toutes les personnes surveillées nécessiterait de connaître l’identitée de celles-ci[9]. Aussi, il serait préférable que l’information soit limitée aux personnes qui ont pu être identifiées et dont des charges sont retenues contre elles, sans quoi aucune enquête préventive ne serait autorisée et l’identification violerait à son tour les droits de la personnalité[10].
  • Jusqu’au 21 février 2013, Genève ne disposait pas de base légale dans la LPol pour ordonner, autoriser et justifier l’atteinte aux droits fondamentaux par la surveillance préventive. Depuis lors, avec entrée en vigueur le 20 avril 2013, la police genevoise peut effectuer des observations préventives (art. 21A LPol/GE).
  • Il sied de relever que la loi genevoise prévoyait également une recherche préventive secrète (art. 21B aLPol/GE)[11] et l’enquête sous couverture (art. 22 aLPol/GE)[12]. Ces dispositions ont été invalidées par le Tribunal fédéral peu de temps après leur entrée en vigueur. Cela vaut de même pour l’alinéa 2 de l’art. 21A aLPol prévoyant la possibilité d’enregistrer les observations.
  • En effet, dans un arrêt récent[13], la Haute Cour a relevé que le CPP réglementait ces problématiques lorsque des soupçons laissaient présumer qu’une infraction avait été commise. Le Tribunal fédéral a également précisé qu’il n’existait aucune disposition pour surveiller une personne lorsqu’il n’existait pas encore de soupçons[14].
  • Cela étant, le Tribunal fédéral a estimé que la loi sur la police genevoise violait, en partie, les droits fondamentaux. En effet, les art. 21A al. 2, 21B et 22 aLPol/GE constituaient des atteintes à la sphère privée, soit notamment aux relations sociales et à la communication avec autrui ainsi qu’à l’autodétermination, si bien que ces dispositions devaient respecter l’art. 36 Cst.
  • Or, le Tribunal fédéral a constaté que l’atteinte à la sphère privée prévu par les dispositions précitées ne respectait pas le principe de la proportionnalité. En effet, l’art. 21A al. 2 aLPol/GE prévoyait la possibilité d’enregistrer les observations sans qu’une communication a posteriori soit obligatoire. L’art. 21B LPol/GE a été considéré comme violant la proportionnalité dès lors qu’aucune autorisation préalable d’une autorité n’était requise pour effectuer des recherches préventives secrètes et la communication a posteriori n’était pas non plus prévue par la disposition légale[15]. Ce constat vaut de même pour l’art. 22 aLPol/GE prévoyant l’enquête sous couverture.
  • La Haute Cour a néanmoins admis que moyennant le respect des conditions de l’art. 36 Cst les bases légales genevoises concernant la surveillance préventive était adéquate, voire même utile[16]. La nouvelle loi sur la Police (nLPol/GE) prévoyait également des dispositions analogues aux articles 21A, 21B et 22 LPol/GE qui ne respectaient pas la volonté du Tribunal fédéral[17]. C’est pourquoi, un projet de modification de la LPol/GE a été présenté au Conseil d’Etat en date du 7 mai 2015 afin d’introduire des articles conforment aux conditions jurisprudentielles permettant l’observation préventive, les recherches secrètes préventives et/ou les investigations secrètes préventives (art. 56 al. 1, 57 al. 1 et 58 al. 1 P-LPol/GE)[18].
  • En revanche, aucune disposition n’a été édictée à Genève en ce qui concerne la surveillance préventive des télécommunications. Ainsi, pour les cantons dépourvus de législation ayant trait à la prévention des risques par la surveillance des télécommunications qui souhaite légiférer, il est à notre avis indispensable, conformément aux jugements du Tribunal fédéral[19], que la norme cantonale instaure un régime d’autorisation pour protéger au mieux la vie privée des individus ainsi qu’une communication a posteriori. D’ailleurs, la législation schwytzoise renvoie à la LSCPT qui elle-même renvoie aux art. 274-279 CPP pour ce qui est de la procédure de mise sous surveillance[20]. La surveillance préventive à Schwytz est donc soumise à autorisation. Conséquemment, sans autorisation, les données issues d’une telle surveillance sont inexploitables (art. 277 CPP cum 141 al. 1 CPP).
  • A défaut de bases similaires à celles schwytzoises et/ou, dans un avenir proche, genevoises[21], la police cantonale ne peut pas procéder à ce type de surveillance, conséquemment ne peut pas exploiter une information qu’elle aurait obtenue illicitement par ce mode d’investigation. Bon nombre de cantons sont aujourd’hui dans cette situation de flou juridique en ce qui concerne la surveillance préventive.
  • Ainsi, alors même que des présomptions existent, les autorités policières de certains cantons n’ont aucun moyen de surveiller à titre préventif et d’avoir des soupçons pouvant enclencher la procédure pénale. Il est donc à prévoir qu’un certain nombre de commissions d’actes délictuels ne pourront être empêchés et que certaines infractions resteront impunies, hormis si des preuves sont relevées et exploitables subséquemment, jusqu’à l’édiction d’une norme cantonale suffisante.
  1. d) La loi sur le renseignement (LRens), non-entrée en vigueur
  • Le Service de renseignement civil de la Confédération (SRC) procède à la recherche d’informations, les analyse, les évalue et les transmets aux décideurs à tous les échelons afin de leur fournir les informations dont ils ont besoin pour pouvoir accomplir leurs tâches de conduite en temps utile et en fonction de la situation[22]. Ce service fait partie intégrante de la politique sécuritaire de la Suisse.
  • Actuellement, la loi fédérale du 21 mars 1997 instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI) ainsi que la loi fédérale du 3 octobre 2008 sur le renseignement civil (LFRC)[23], qui est le pendant de la LMSI en ce qui concerne les préventions des menaces extérieures contre la sûreté en Suisse, réglementent les tâches du SRC.
  • Depuis octobre 2010, des travaux ont été entrepris pour élaborer une nouvelle loi sur le renseignement qui n’entrera pas en vigueur avant l’année 2017, étant précisé que le projet a et le message du Conseil fédéral ont été approuvé le 19 février 2014. Cette loi doit remplacer la LMSI et la LFRC en créant une base légale formelle uniforme qui ne différencie plus les menaces émanant de l’intérieur et de l’étranger.
  • Le texte de la loi sur le renseignement a été publié dans la Feuille fédérale le 6 octobre 2015 fixant un délai référendaire au 14 janvier 2016. Le référendum ayant abouti, le peuple devra voter sur l’entrée en vigueur de cette loi, au plus tôt le 5 juin 2016[24].
  • La loi sur le renseignement vise également à offrir un cadre légal suffisant aux activités spéciales de renseignement, telles que la surveillance des télécommunications, l’observation des personnes dans des lieux privés et l’accès à des systèmes et/ou des réseaux informatiques (art. 23 ss LRens). En effet, dans le domaine du terrorisme, de l’espionnage ou pour tout intérêt essentiel de la Suisse, ni la LMSI ni la LFRC ne permet au SRC d’assurer ses tâches de prévention face aux protagonistes qui menacent la sûreté intérieure et extérieure de la Suisse. Par exemple, actuellement, la LMSI n’autorise pas, à titre préventif, le SRC à surveiller la correspondance par poste et télécommunication, d’observer des lieux qui ne sont pas librement accessibles au public, notamment au moyen d’appareils techniques de surveillance ou de s’introduire dans des systèmes informatiques. Cette impossibilité crée d’importante lacune dans le dispositif de prévention, extensivement de sécurité de la Suisse.
  • La LRens doit permettre de combler ces lacunes en créant une base légale au sens formelle suffisante pour restreindre les droits fondamentaux pouvant être touchés par certaines mesures de surveillance préventives.
  • Ainsi, la loi sur le renseignement doit permettre au SRC d’agir préventivement et de rechercher toutes les informations utiles (art. 1 al. 1 et 2 LRens), afin de prévenir les menaces et les dangers, tout en respectant les libertés constitutionnelles ou, tout du moins, leurs conditions de restriction[25].
  • Relevons toutefois que dans le projet d’origine LMSI II, le Parlement avait refusé d’introduire les dispositions sur la surveillance préventive du trafic par poste et télécommunication, l’engagement d’appareil de surveillance dans la sphère privée, etc[26]. Ces dispositions ont été remaniées et complétées dans la LRens, ce dont le législateur a approuvé afin de permettre l’introduction des mesures de surveillances soumises à autorisation au sens des art. 23 et ss LRens.
  • Relevons encore que les opposants, notamment « L’alliance contre l’Etat fouineur« , ont récolté environ 60’000 paraphes. Cette engoument s’explique probablement suite à l’affaire de la NSA et aux révélations d’Edward Snowden et la volonté de la population de sauvegarder au maximum sont droit à la sphère privée[27].
[1] Eicker, Huber, p. 180; Hansjakob, BÜPF/VÜPF, art. 1 N 4; Schmid, Praxiskommentar, art. 269 N 7.

[2] Rapport explicatif LMSI II, p. 6.

[3] Message, LMSI II, p. 4784.

[4] Jositsch, Mulle, p. 497; Rémy, p. 113; Polizeiliche Ermittlung-Rhyner, Stüssi, p. 436-438; Schubarth, Jusletter, n° 11.

[5] Schubarth, Jusletter, n° 11.

[6] Verordnung über die Kantonspolizei (Polizeiverordnung) vom 22. März 2000, RS/SZ 520.110.

[7] ATF 140 I 353, 366.

[8] ATF 140 I 353, 374-378.

[9] Hansjakob, forumpoenale 2015, p. 36.

[10] Hansjakob, forumpoenale 2015, p. 36.

[11] «Afin de détecter la préparation de crimes ou de délits ou d’en empêcher la commission, la police peut engager un de ses membres, dont l’identité et la fonction ne sont pas décelables, au cours d’interventions brèves et sans utilisation d’une identité d’emprunt, aux conditions suivantes :a) il existe des indices sérieux qu’une infraction pourrait être commise;b) d’autres mesures de recherche d’information n’ont pas abouti, n’auraient aucune chance d’aboutir ou seraient excessivement difficiles[12] «1 Avant l’ouverture d’une procédure pénale et afin de détecter la préparation de crimes ou de délits ou d’en empêcher la commission, la police peut mener des enquêtes sous couverture aux conditions suivantes :a) il existe des indices sérieux qu’une infraction pourrait être commise; b) la gravité de l’infraction considérée le justifie; c) d’autres mesures de recherche d’information n’ont pas abouti, n’auraient aucune chance d’aboutir ou seraient excessivement difficiles. 2 Seul un membre de la police peut procéder à des actes d’enquête sous couverture.3 Le commandant peut doter l’agent infiltré d’une identité d’emprunt.4 La mise en œuvre d’actes d’enquête sous couverture est soumise à l’autorisation du Tribunal administratif de première instance. 5 L’article 151 du code de procédure pénale s’applique par analogie.»

[13] ATF 140 I 381.

[14] ATF 140 I 381, 389 et 392.

[15] ATF 140 I 381, 394.

[16] ATF 140 I 381, 384-385.

[17] Projet de loi modifiant la loi sur la police (LPol) - PL 11664, p. 3.

[18] Projet de loi modifiant la loi sur la police (LPol) - PL 11664, p. 1 et 2.

[19] ATF 140 I 353, ATF 140 I 381.

[20] Verordnung über die Kantonspolizei (Polizeiverordnung) vom 22. März 2000, RS/SZ 520.110.

[21] Verordnung über die Kantonspolizei (Polizeiverordnung) vom 22. März 2000, RS/SZ 520.110; Projet de loi modifiant la loi sur la police (LPol) - PL 11664.

[22] Service de renseignement de la Confédération SRC, Brochure – le Service de renseignement de la Confédération SRC, Berne 2013, p. 5.

[23] Loi fédérale du 3 octobre 2008 sur le renseignement civil (LFRC), RS 121.

[24] Informations disponibles sur le site du DDPS : http://www.vbs.admin.ch/ [consulté le 08.05.2016].

[25] Rapport sur l'avant-projet LRens, p. 7

[26] Rapport sur l’avant-projet LRens, p. 2

[27] L'Hebdo, Le peuple décidera de l'avenir de la loi sur le renseignement, article du 31 décembre 2015.

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