T228 – i. L’unicité relative du profil génétique

i. L’unicité relative du profil génétique
a) Le cas des vrais jumeaux
  • Le postulat que l’ADN est propre à chaque être humain doit être nuancé. Même s’il est presque unanimement reconnu que chaque individu a son propre ADN, l’ADN des jumeaux homozygotes fait exception[1]. Etant issus d’une fécondation d’un même ovule avec un spermatozoïde et la division en deux foetus ayant lieu après la répartition des génomes paternel et maternel pour former le génome de l’embryon, leur patrimoine génétique est rigoureusement identique, extensivement leur profil d’ADN ne peut qu’être semblable.
  • A l’exception des jumeaux homozygotes, nous pouvons vraisemblablement admettre qu’aucun être humain n’a le même ADN. Cependant, il n’est pas exclu que le profil d’ADN d’une personne soit similaire à celui d’un autre individu[2].

b) Le cas des coïncidences fortuites
  • Les experts n’excluent pas la possibilité d’obtenir ce qu’ils nomment des « coïncidences fortuites« [3], c’est-à-dire la concordance de deux profils alors même que l’individu identifié n’était pas présent sur les lieux, n’avait eu aucun contact avec la victime et n’avait jamais touché de près ou de loin un objet pouvant se rapporter à l’acte délictuel.
  • Même si l’examen d’ADN effectué indique une probabilité infime de trouver deux profils d’ADN identiques, il n’est pas impossible que tel soit le cas. En effet, l’analyse ADN s’effectue sur une fraction de la molécule. Si les différences entre le profil d’ADN de la trace et de l’individu faussement identifié se situent sur des zones non-choisies pour être des marqueurs, elles n’apparaissent pas sur le profil d’ADN et les deux profils peuvent alors être semblables.
  • Pour limiter au maximum les risques de coïncidence fortuite, le nombre de marqueurs analysés joue un rôle. Plus ce nombre est grand, plus les chances de discriminer des individus augmentent[4].
  • La problématique des analyses effectuées au sein d’une population relativement fermée marque l’importance du nombre de marqueurs à comparer[5], sans toutefois nécessiter une analyse intégrale de l’ADN qui serait irréaliste financièrement et sous l’angle de la rentabilité. Dans ce type de population de référence, la fréquence d’apparition d’un caractère identique chez deux individus augmente considérablement, ce qui engendre des risques plus élevés de coïncidences fortuites, ce d’autant si l’ADN mitochondrial – semblable à tout individu ayant la même mère – est seul analysé.
  • Dans une optique de rentabilité et d’utilité des profilages génétiques, il est donc important d’analyser un nombre suffisant de marqueurs. Ce nombre doit varier en fonction du mélange ou de la consanguinité de la population de référence.
  • Relevons encore que l’évolution des bases de données recensant les profils d’ADN accentue le risque d’obtenir deux profils similaires. Même si le fichage privilégie et ne concerne que les profils établis à l’aide d’ADN nucléaire[6], ce n’est toujours qu’un fragment de l’empreinte génétique qui est analysé, n’excluant pas les similitudes. Plus la base de données comporte de profils d’ADN, plus le risque de coïncidences fortuites est élevé. Les scientifiques ne nient d’ailleurs pas que si nous comparions deux à deux tous les individus de la planète, il est quasiment certain de trouver des paires d’individus possédant le même profil[7].
  • Ces constations ont pour effet d’affaiblir la valeur probatoire de la preuve par l’ADN et renforcent l’usage nécessaire des probabilités lors d’identification judiciaire. En effet, il ne faut pas confondre unicité et rareté. L’intégralité de l’ADN est unique, alors que la découverte de deux profils d’ADN similaires est rare.
  • Pour écarter tout doute raisonnable quant aux coïncidences possibles et à la qualité polymorphe de ceux-ci, soit pour individualiser un profil d’ADN, les experts forensiques et la justice doivent considérer la quantité des marqueurs analysés et leur pouvoir discriminatoire[8]. L’examen de ces deux points permet d’évaluer correctement la certitude ou les risques consécutifs à l’analyse génétique sans considérer l’identification comme absolue.
c) Le cas des proches parents
  • Les rapports d’expertise spécifient fréquemment que le résultat probabiliste est fourni en lien avec une population de référence non apparentée. Ainsi, la probabilité résultant de l’analyse des profils d’ADN ne prend pas en considération le fait que le résultat de coïncidence fortuite est plus élevé entre proches parents.
  • Dans les cas de population avec un fort taux de consanguinité, la prise en considération des personnes apparentées au suspect peut faire évoluer drastiquement le résultat probatoire. En ne prenant pas en compte une population de référence correcte, soit en ignorant les liens de parenté, une erreur se produit dans le résultat qui conduit à sous-évaluer la probabilité de coïncidences fortuites[9].
  • Plus il existe de proches parents du suspect dans la population de référence, plus il y a de chances que le suspect ne soit pas le seul à avoir un profil d’ADN qui correspond à la trace découverte.
  • Par conséquent, une erreur sur la population de référence fournit un pourcentage de concordance plus élevé que ce qu’il est en réalité. Ce constat marque l’importance de ne pas s’arrêter sur une probabilité de coïncidences fortuites et à développer la théorie bayésienne pour évaluer adéquatement la preuve apportée[10].
[1] Buquet, p. 177; Huyghe, ADN, p. 18; Killias, Haas, Taroni, Margot, p. 296; Malauzat, p. 73; Margot, Champod, p. 239; Rohmer, Thèse, p. 48; Roux, p. 180; Schmid, Handbuch, p. 470.

[2] Ancel, p. 155; Champod, Taroni, RPS 1993, p. 226; Coquoz, Comte, Hall, Hicks, Taroni, p. 109 et 303-304; Rohmer, Thèse, p. 126; Roux, p. 181; Schweizer M., p. 173-174.

[3] Coquoz, Comte, Hall, Hicks, Taroni, p. 429-430; Ruckstuhl, Dittmann, Arnold, p. 249.

[4] Coquoz, Comte, Hall, Hicks, Taroni, p. 313; Knoppers, Grimaud, Choquette, le Bris, p. 62.

[5] Ancel, p. 155-156; Coquoz, Taroni, p. 271; Hennau-Hublet, p. 39; Köller, Nissen, Riess, Sadorf, p. 25.

[6] Killias, Haas, Taroni, Margot, p. 297.

[7] Coquoz, Comte, Hall, Hicks, Taroni, p. 303.

[8] Ancel, p. 156; Huyghe, ADN, p. 19.

[9] Coquoz, Comte, Hall, Hicks, Taroni, p. 341-350; Lempert, p. 308-309; Vuille, Thèse, p. 201.

[10] Supra Partie II, Chapitre 2, II, B, 2, b, n° 911 ss.

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