T224 – 1. L’évaluation de la preuve génétique dans l’ordre juridique suisse

a. Le potentiel de la preuve génétique
i. Les qualités scientifiques de la preuve par l’ADN
  • A l’image de la preuve dactyloscopique[1], la preuve génétique repose sur une science reconnue par le monde scientifique, sur le postulat que le profil génétique est individuel et se caractérise par sa nature hybride ainsi que par le potentiel probatoire à charge ou à décharge. La triple caractéristique de l’ADN – unicité, pérennité et inaltérabilité –, la reconnaissance scientifique de la génétique et les qualités liées à la nature scientifique de la preuve dactyloscopique – applicable en grande partie par analogie à la preuve génétique – ayant fait l’objet d’exégèses étendues[2], nous ne reviendrons que brièvement sur ces points favorables.
  • Les avancées de la recherche en matière de génétique humaine avec pour point d’orgue la découverte de l’individualité de l’empreinte génétique ont eu pour conséquence l’intégration de cette science et de ces possibilités identificatoires lors du procès pénal[3]. Il est indéniable que les possibilités d’identifier une personne isolée grâce à son patrimoine génétique est une des grandes forces de certitude de la preuve ADN; ce d’autant que les années de pratique scientifique ne sont pas illustrées par des erreurs ou contradictions, contrairement aux années de pratiques judiciaires de ce moyen probatoire comme nous le verrons ci-après[4]. La preuve génétique en tant que preuve découlant d’une science a le mérite d’exister par elle-même et ne nécessite pas de concrétisation.
  • L’ADN est individuel parce que sa constitution influencée par l’hérédité est telle qu’il est impossible d’obtenir deux empreintes identiques, c’est une certitude qui découle de la nature même du monde sans influence d’acteurs humains. La seule faiblesse de cette preuve scientifique revient donc seulement à la phase de comparaison qui relève d’une interprétation, non pas de la science, mais des résultats obtenus[5]. Néanmoins, en tant que preuve hybride, la phase plus subjective de comparaison de l’identification ADN est contrebalancée par l’objectivité de la science et le respect des règles de l’art par l’expert.
  • Ainsi, sa mixité subjective et objective permet à la preuve génétique de s’intégrer au procès pénal en faisant parler des indices qui, sans expertise, resteraient muets alors même qu’ils apportent une pierre précieuse à l’édifice de la décision juridique et fournissent une information avec une valeur nettement supérieure à celle d’un témoignage[6].
  • Au surplus, la preuve ADN étant une preuve identificatoire, selon le résultat obtenu, elle appuie soit la thèse de la défense concernant l’innocence de l’accusé, soit les allégations de l’accusation quant à la culpabilité de ce dernier. Ainsi, le profil génétique a une double finalité, elle peut soutenir l’intime conviction du juge qui rend une décision de culpabilité, si d’autres indices convergent dans ce sens ou, en cas de doutes ou d’exclusion de l’implication de l’accusé dans la commission de l’acte délictuel, elle peut servir à maintenir l’innocence et à amener le juge à rendre une décision d’acquittement[7].

ii. Les atouts du matériel génétique analysable
  • L’utilisation des profils génétiques en procédure pénale comporte plusieurs atouts, notamment quant aux caractéristiques de l’échantillonnage. L’ADN étant similaire dans toutes nos cellules, du matériel génétique de nature différente même en infime quantité peut être comparé à des fins identificatoires. Ainsi, grâce à la variété des sources d’échantillonnage et à l’amplification PCR, les possibilités identificatoires par l’ADN sont extrêmement importantes influant sur le succès des analyses génétiques en criminalistique et dans le cadre juridique. En sus, la molécule d’ADN est stable et perdure dans le temps[8]. Ainsi, un prélèvement effectué sur une preuve datant d’une dizaine d’années ou un échantillon correctement conservé depuis une centaine d’années n’exclut pas l’établissement du profil génétique de l’individu, ni de la comparaison subséquente.
  • Pour le criminaliste, la durée de vie d’une trace ou d’un échantillon d’ADN n’est pas d’une grande importance, puisque soit elle existe soit elle n’existe pas, extensivement soit l’analyse est possible soit non. En revanche, à des fins probatoires, la longévité a plusieurs intérêts. Premièrement, elle permet d’élargir les possibilités d’analyses comparatives, notamment en rouvrant de manière systématique les affaires criminelles non élucidées ou en offrant la possibilité d’effectuer une contre-expertise[9]. Deuxièmement, l’état de la trace peut influer sur ce qu’elle démontre et sa force de conviction. Il faut cependant souligner que les techniques d’analyse ne permettent pas de dater dans le temps l’âge d’une cellule, la durée n’est donc pas probante pour « déterminer à quel moment, antérieur, concomitant ou postérieur [à l’acte délictuel] les traces ont été laissées« [10].
  • En outre, si les caractéristiques de l’échantillon d’ADN et sa longévité permettent une lutte efficace contre la criminalité, la partie codante peut fournir des informations sensibles sur les individus concernés qui ne sont pas utiles à cette lutte[11]. Pour parer à la mise en péril de la liberté personnelle et du droit à l’autodétermination informationnelle, l’échantillon utilisé pour établir le profil génétique doit se cibler sur la partie non-codante de l’ADN (art. 2 al. 1 Loi sur les profils d’ADN), partie ne contenant pas de données sensibles, avec pour exception l’analyse du sexe[12]. En effet, les types de maladies ou les caractéristiques héréditaires ou génétiques n’intéressent pas la justice qui cherche à identifier un potentiel coupable[13]. En se limitant à la partie de l’ADN ne comportant pas d’informations relatives à la psychologie ou à la physiologie de la personne, l’identification n’en est pas moins possible, ce qui renforce l’attrait de la justice pour cette preuve évitant ainsi les atteintes non-nécessaires et/ou non-proportionnées aux droits fondamentaux car sans utilité pour l’identification et/ou trop invasives.
iii. L’assurance de qualité de l’expertise
  • Le Département fédéral de justice et police a édicté une ordonnance sur les exigences requises pour les laboratoires forensiques d’analyse d’ADN[14] complétant l’art. 2 al. 2 Ordonnance sur les profils d’ADN.
  • Le respect des exigences légales devant être remplies par les laboratoires doit assurer la bonne exécution des analyses. Pour ce faire, un organe externe vérifie qu’une formation adéquate et continue est suivie par les experts en ADN, que les méthodes d’analyses utilisées sont validées et fiables, et que les tests de performance ont été passés avec succès. La certification des laboratoires a été instaurée dans le dessein de reconnaître et de garantir une certaine qualité aux analyses ADN effectuées, c’est-à-dire que la trace biologique soit correctement prélevée, que l’établissement du profil génétique soit réalisé dans les règles de l’art et que l’interprétation fournie par les experts soit juste et professionnelle.
  • Conséquemment, le modèle d’accréditation des laboratoires choisi par la Suisse conditionne une certaine force de conviction, le juge pouvant se reposer sur le professionnalisme des experts, leurs compétences et leur indépendance institutionnelle[15]. De plus, ce modèle a l’avantage de laisser une certaine marge de liberté aux magistrats lors du choix de l’expert, puisque ce n’est pas lui, personnellement, qui doit être autorisé, mais le laboratoire pour lequel il travaille.
iv. La nature probabiliste des résultats d’expertise
  • Dès lors que l’expert se base sur une partie de l’ADN et ses capacités discriminatoires pour fournir un résultat, l’individualité du matériel biologique découvert sur les lieux de l’infraction ou sur des objets y afférant ne peut se concevoir qu’en terme statistique[16]. En effet, les statistiques prennent en considération notamment le taux d’erreur et l’estimation de l’impact des événements incertains. Contrairement à la preuve dactyloscopique présentée univoquement, la preuve génétique s’exprime donc par une probabilité pouvant être accompagnée d’un avis qualifié de l’expert. Ce mode d’administration de la preuve scientifique a le grand avantage de prendre en considération la réalité de l’analyse comparative sans pallier l’insuffisance d’une preuve[17].
  • Les informations forensiques et leur interprétation impliquent des subtilités scientifiques difficiles à appréhender pour les juristes. Grâce à l’approche bayésienne comme méthode probabiliste, la preuve scientifique, in casu l’identification génétique par l’ADN, est abordée de manière adéquate et viable par l’évaluation d’une paire d’hypothèses. Cette approche correspond clairement au processus judiciaire où l’hypothèse de l’accusation et de la défense se confrontent. Ayant au départ chacune une certaine probabilité d’être vraies, l’examen probabiliste de l’analyse ADN modifie l’une ou l’autre des probabilités a priori – soit pour la conforter soit pour l’affaiblir – et ainsi fournit un rapport de vraisemblance qui vient éclairer le tribunal dans l’évaluation concrète et objective des faits. En d’autres termes, la théorie de Bayes souligne les questions auxquelles le scientifique doit répondre, notamment celle de savoir dans quelle mesure l’indice soutient la thèse de la défense ou de l’accusation, sans dire si oui ou non l’accusé est l’auteur de la trace biologique découverte[18]. Ainsi, l’expert et le juge se positionnent correctement dans le cadre de l’appréciation de la preuve. Le scientifique évalue le rapport de vraisemblance et le juge apprécie les chances a priori et a posteriori[19].
  • En conséquence, la théorie d’interprétation par le théorème de Bayes ne laisse pas l’exclusivité à un chiffre final donné par l’expert, mais positionne correctement l’indice dans sa démonstration permettant à la valeur probatoire de se dégager objectivement et d’être évaluée en lien avec une nouvelle information et dans le cas d’espèce à juger.
[1] Supra Partie II, Chapitre 2, I, A, 2, n° 530 ss; Supra Partie II, Chapitre 2, I, B, 2, b, n° 624 ss; Supra Partie II, Chapitre, 2, I, C, 1, a, ii, n° 644 ss.

[2] Supra Partie II, Chapitre 2, I, A, 1, n° 592; Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 1, a, i. à iii, n° 639-653; Supra Partie II, Chapitre 2, II, A, 3, n° 813 ss.

[3] Coquoz, p. 163; Huyghe, ADN, p. 8; Rohmer, Thèse, p. 63; Werrett, p. 21.

[4] Infra Partie II, Chapitre 2, II, C, 1, b, n° 974 ss et 996 ss.

[5] Coquoz, Comte, Hall, Hicks, Taroni, p. 236 ss; Matelly, p. 121 ss.

[6] Supra Partie II, Chapitre 1, I, B, 1, a, n° 393 ss; Supra Partie II, Chapitre 1, I, C, n° 420 ss.

[7] Ancel, p. 143; Burr, p. 176 et 178; Durupt, p. 76-77; Escondida, Timélos, p. 15-16; Francillon, p. 144; Jobard, Schulze-Icking, p. 44; Leman-Langlois, Brodeur, p. 74; Manaouil, Werbrouck, Traulle, Cordier, Gignon, Jarde, p. 20; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 500; Rohmer, Thèse, p. 125-126.

[8] Supra Partie II, Chapitre 2, II, A, 3, n° 813-817.

[9] Ancel, p. 144; OPECST, ADN, p. 57.

[10] Cour de cassation, 01-85.386, c. 5.

[11] Gehrig, LaHarpe, p. 1801-1807; Rohmer, Thèse, p. 99 et 352.

[12] Burr, p. 104; Coquoz, Comte, Hall, Hicks, Taroni p. 417-419.

[13] Ancel, p. 218; Busch, p. 637.

[14] Ordonnance du DFJP sur les exigences de prestations et de qualité requises pour les laboratoires forensiques d'analyse d'ADN du 8 octobre 2014 (Ordonnance du DFJP sur les laboratoires d'analyse d'ADN), RS 363.11.

[15] Coquoz, Comte, Hall, Hicks, Taroni, p. 443-444; National Research Council, p. 195; Schweizer M., p. 175; Vuille, Thèse, p. 151-152.

[16] Altendorfer, p. 48; Burr, p. 32-33; Rodriguez, p. 23; Taroni, preuve ADN, p. 279.

[17] Champod, Taroni, RPS 1994, p. 204; Rodriguez, p. 23; Taroni, Mangin, Bär, p. 442 et 444.

[18] Antognini, p. 13; Bär, p. 50-51; Champod, Taroni, RPS 1993, p. 235; Coquoz, Comte, Hall, Hicks, Taroni, p. 317-318; Huyghe, ADN, p. 50-51; Taroni, Aitken, p. 302-303.

[19] Donatsch, Jusletter, n° 10-15; OPECST, ADN, p. 56; Vuille, Taroni, forumpoenale, p. 367.

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