T188 – D. La synthèse des débats et conclusion

  • La conviction des juristes concernant la fiabilité et la valeur probatoire de la preuve dactyloscopique repose essentiellement sur des principes scientifiques qui requièrent des connaissances particulières. Alors que le juge est libre d’apprécier les preuves qui lui sont soumises, ses connaissances dans le domaine des empreintes papillaires ne lui permettent pas d’être seul décideur. Bien au contraire, aux dépends de certains principes procéduraux, telle que la libre appréciation des preuves, le juge s’en remet à la conclusion identificatoire de l’expert dactyloscope sans pouvoir ni comprendre le cheminement exacte du raisonnement, ni apprécier la valeur scientifique et juridique réelle de ce mode probatoire.
  • L’approche déterministe et l’absence d’un standard minimum renforcent la conviction du juge dans sa confiance en l’expert. Le résultat ne pouvant être que positif ou négatif, le magistrat décideur se trouve face à une preuve identificatoire d’évidence qu’il peine à discuter, puisqu’elle est univoque. Secondement, l’expérience du dactylotechnicien étant le noyau de l’analyse et de la comparaison dactyloscopique, il est naturel que le juge, se sachant inexpérimenté dans le domaine, ne discute ni l’avis de l’expert, ni les qualifications professionnelles du scientifique.
  • Nous reconnaissons que, d’un point de vue purement scientifique, l’absence d’un standard minimum renforce les possibilités identificatoires que nous offrent les dessins papillaires. En revanche, de la vision d’un juriste, ce manque de limites est déstabilisant.
  • La loi, qu’elle soit pénale, procédurale, civile, administrative, etc., cadre les comportements des personnes physiques, morales ou des autorités étatiques en déterminant clairement jusqu’où notre comportement est légal et à partir de quand il porte à conséquence, et ce en fixant des conditions. Les juristes apprécient l’objectivité imposée par les normes légales même si parfois ils doivent apprécier ou interpréter les circonstances de fait, car ces limites imposées rassurent et évitent l’insécurité juridique.
  • Actuellement, les magistrats ne sont pas formés en dactyloscopie. Ils ne sont donc pas à même de juger des risques et des avantages de ce moyen de preuve. En sus, lorsque l’autorité policière apporte la preuve identificatoire au procès, ils ne connaissent pas la valeur des minuties, leur fréquence et le nombre de points caractéristiques en commun. Ils n’ont aucun moyen de déterminer ou de prévoir sur quelles bases objectives se forment la valeur scientifique de la preuve. Il n’est donc pas exclu qu’une empreinte ayant six minuties particulières soient identifiées par deux experts, alors que deux autres l’auraient niée; il n’est pas non plus exclu qu’une empreinte indiciale soit identifiée lors d’un procès, mais qu’une empreinte reflétant les mêmes caractéristiques ne le soit pas lors d’une autre procédure. La mise en place d’un standard minimum n’éliminera pas les risques d’erreur, ni l’incompréhension possible du juge face à la conclusion identificatoire, mais permettra de les réduire. De plus, cette limite fixe un « garde-fou » indispensable lors de comparaison par des dactyloscopes inexpérimentés et s’insère dans une politique de qualité[1].
  • L’instauration de l’approche probabiliste semble également une nécessité pour apprécier à sa juste valeur la preuve dactyloscopique. Sans avis qualifié déterminant les facilités ou les difficultés rencontrées par le dactyloscope, voire les risques d’erreur possibles, aucun débat ne peut être engagé quant à la qualité et la fiabilité de la preuve, encore moins quant à sa valeur probante. L’objectivité de la preuve dactyloscopique implique le recours aux statistiques puisque l’empreinte indiciale a subi une perte d’informations et que l’identification dactyloscopique n’est autre que l’exclusion d’une certaine population. Ces deux arguments doivent être intégrés dans le processus de décision du tribunal[2]. Grâce à eux, ce moyen de preuve sera discuté, argumenté, apprécié et la valeur probatoire déterminée.
  • Pour parfaire l’appréciation de la preuve dactyloscopique, une formation adéquate des juristes tant sur la science dactyloscopique que sur les probabilités doit être proposée. L’évaluation du niveau d’individualité papillaire intègre la qualité et la quantité d’informations visibles sur l’empreinte indiciale. En outre, la perte d’informations liée au transfert entre la peau et la surface de dépôt, la technique de détection et l’expérience de l’expert jouent un rôle important dans le résultat identificatoire. La préférence pour l’une ou l’autre des méthodes de détection et de révélation de l’empreinte selon le type de surface peut influencer sur la clarté et la précision du dessin papillaire à analyser. En conséquence, le choix d’une technique de détection peu encline à fournir un bon résultat et/ou l’inexpérience du dactylotechnicien engendre une preuve dactyloscopique peu fiable et incertaine. C’est pourquoi, lors de l’appréciation de moyen identificatoire, le juge doit pouvoir discuter des risques d’erreur, des probabilités apportées au procès, des techniques scientifiques utilisées et se positionner sur la suffisance des capacités professionnelles de l’expert pour l’empreinte papillaire en question. Pour ce faire, la seule solution est d’initier les juristes à cette science et aux principes mathématiques ou techniques qui gravitent autour.
  • Actuellement, faute de pouvoir interpréter et en l’absence d’un standard minimum, la libre appréciation des preuves est partielle lors de l’exploitation d’une preuve dactyloscopique. La mise en œuvre de nos trois préconisations doit permettre de fournir une indication réelle sur la valeur probatoire de la preuve dactyloscopique, sans qu’il soit nécessaire de s’en remettre uniquement à la conclusion d’un expert. Ainsi, la décision finale appartiendra – comme le réclame la théorie – à la seule conviction de la Cour.
[1] Champod, Reconnaissance, p. 3.

[2] Champod, Reconnaissance, p. 265.