T174 – 2. Une nouvelle perspective: la nature probabiliste de l’identification

a. La démonstration relative de la réalité par l’approche déterministe
  • La critique portée à la nature déterministe, nous mène à considérer la nature probabiliste du processus d’identification papillaire.
  • Les résultats issus de l’analyse identificatoire se réalisant en aval de la commission de l’infraction et ne permettant pas d’observer directement les circonstances de l’acte délictuel, l’empreinte papillaire déposée n’est pas la fidèle représentante de la réalité et des faits.
  • Premièrement, les dessins papillaires déposés ne sont pas l’exacte image de l’empreinte du doigt.
  • Deuxièmement, la présence d’une empreinte ne signifie pas que l’individu auteur du dépôt est l’auteur de l’infraction, ce qui crée des imprécisions/incertitudes dans le résultat identificatoire en science forensique[1].
  • Bénéficiant d’un poids important en procédure pénale, il est essentiel que les conclusions dactyloscopiques reflètent l’état naturel des événements et de l’établissement des faits pour être les plus représentatives possible de la réalité. Cette démarche implique qu’un résultat faisant suite à une analyse d’une empreinte papillaire ne peut pas être apporté comme une identification formelle, mais une présomption.
  • Le processus d’identification n’est pas dichotomique, il s’agit plutôt de continuum de probabilités prenant en considération la perte d’informations liée au transfert.

b. La théorie de la nature probabiliste
  • La conceptualisation par les probabilités répond aux exigences de logique et de transparence permettant aux magistrats de mieux cerner les risques et faillibilités de la preuve dactyloscopique sans rejeter sa valeur scientifique et ce qu’elle démontre. L’appréciation probatoire est ainsi plus précise, certaine et réfléchie[2]. Le juge du fond comprenant la preuve, il peut alors l’interpréter dans son ensemble.
  • L’identification ne se présente donc plus comme une preuve d’évidence, mais comme un processus qui estime la fréquence d’apparition de ce dessin papillaire si faiblement qu’il réduit la population à un unique individu[3].
  • En outre, les probabilités mettent en perspective la force et la faiblesse de l’identification en matérialisant la fréquence signalétique des classes de minuties. Actuellement, la fréquence d’apparition de certaines configurations de minuties est déterminée par l’expert au vu de son expérience, ce qui laisse encore une part de subjectivité. Cependant, depuis une dizaine d’années, le Professeur Champod réalise des études relatives à la recherche statistique dans ce domaine.
  • Pour déterminer la force probante et la fiabilité de l’identification, il propose un modèle de calcul mettant en relation la probabilité que les minuties de la surface analysée soit de ce type (centre, delta, arc, boucle, verticille, etc.), la probabilité des diverses orientations relatives à ces points caractéristiques, la probabilité que les minuties combinées prennent la longueur examinée et la probabilité que ces minuties prennent l’arrangement observé. Lorsque l’expert multiplie ces différentes probabilités, il obtient un résultat déterminant « la probabilité relative à la rareté d’une configuration de minuties dans la population« . Devant la Cour, cette probabilité permet au juge du fond d’apprécier plus objectivement la valeur probatoire – certes pas infaillible – mais réelle et objective.
  • Si, actuellement, les systèmes informatisés et l’approche déterministe[4] ont rendu obsolète la classification, une identification formelle pouvant être réalisée en quelques minutes, les discussions sur la nature probabiliste des résultats et les études du Professeur Champod risquent de renverser la tendance. Une réintégration du rôle de la classification n’est pas exclue. Grâce à elle, il serait possible d’obtenir automatiquement des données précises sur la fréquence des divers points caractéristiques, leur combinaison et ainsi fournir un résultat le plus correct possible, sans se fonder uniquement sur les données issues de l’expérience de l’expert[5].
c. L’avantage des probabilités
  • Dans le cadre juridique et probatoire, l’approche probabiliste contient de nombreux avantages. En prenant en considération la fréquence et/ou la particularité des divers types de minuties ou de leur configuration, elle contrecarre l’absence du standard numérique en Suisse.
  • Grâce à un standard prédéfini, l’expérience d’un expert ne serait alors plus déterminante et la conclusion identificatoire s’appuierait sur une plus grande objectivité tout en prenant en considération les incertitudes inévitables accompagnant l’hypothèse identificatoire. Couplé avec l’objectivation mathématique, l’expert rend une décision accompagnée d’un avis qualifié expliquant le résultat.
  • L’application de la nature probabiliste aurait pour conséquence que l’explication circonstancielle de la trace ne serait pas la seule débattue au procès. Le juge du fond appréhenderait plus aisément la force de l’identification pour l’intégrer et l’interpréter à sa juste valeur dans le faisceau de preuves nécessaire à la découverte de la vérité. A noter que pour atteindre ce haut degré de discussion/débat, il est indispensable de fournir des bases probabilistes aux juristes, sans quoi ils ne pourraient pas appréhender correctement les conclusions statistiques[6].
  • En définitive, la preuve dactyloscopique serait issue d’une analyse, d’une comparaison, d’une évaluation selon des hypothèses et d’une vérification. Nous réitérons ici notre volonté de traiter la preuve dactyloscopique similairement à ce qui prévaut pour les autres traces indiciales en recentrant l’appréciation sur la liberté de la Cour et non de l’expert. Ce dernier ne fournirait dès lors qu’un argument mathématique sur l’identification, une présomption, laissant de manière certaine la décision finale aux magistrats[7].
[1] Biedermann Alex, p. 101; Champod, Fingerprint, p. 7; Champod, Friction Ridge Skin, p. 115; Champod, Overview, p. 308.

[2] Becue, Champod, Egli, Margot, p. 12 et 16; Becue, Champod, Egli, Moret, p. 8-10; Campell, p. 727-731; Champod, Fingerprint, p. 7; Champod, Friction Ridge Skin, p. 115; Champod, Overview, p. 308; Champod, Vuille, p. 29; Le Douardin, p. 2; Margot, Champod, p. 237.

[3] Champod, Reconnaissance, p. 267.

[4] Supra Partie II, Chapitre 2, I, B, 2, a, n° 613 ss.

[5] Supra Partie II, Chapitre 2, I, C, 2, a, n° 724 ss.

[6] Sur les difficultés d'appréhender les résultats statistiques, voir: Infra Partie II, Chapitre 2, II, C, 1, b, iii, n° 1022.

[7] Becue, Champod, Egli, Margot, p. 12 et 16; Becue, Champod, Egli, Moret, p. 8-10; Champod, Fingerprint, p. 7; Champod, Reconnaissance, p. 267; Champod, Friction Ridge Skin, p. 115; Champod, Overview, p. 308; Margot, Champod, p. 238; National Research Council, p. 109.

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