T111 – 3. La récusation et la révocation

a. Le principe
  • L’administration de la justice n’est crédible et n’a d’autorité que si les personnes impliquées dans la procédure recherchent la vérité matérielle. Pour cette raison, l’expert doit être loyal dans la recherche de la preuve et son administration, être objectif, être rigoureux dans ses démarches, soit être impartial[1].
  • L’implication de tout sentiment personnel mettant en doute l’objectivité doit être d’emblée exclue. En cas de suspicion quant à la subjectivité du spécialiste, des vérifications doivent être entreprises pouvant aboutir à l’écartement de l’expert par l’application des règles de la récusation visant à garantir la confiance en la justice (art. 6 § 1 CEDH, art. 14 Pacte II et art. 30 al. 1 Cst confirmés par les art. 183 al. 3 CPP cum 56 ss CPP).
  • Les motifs de récusation sont de deux ordres: particuliers (art. 56 let. b à e CPP) ou généraux (art. 56 let. a et f CPP) englobant les causes de récusation dites absolues ou relatives[2].

  • Les causes absolues impliquent que l’expert est eo ipso dans l’incapacité de remplir sa charge, notamment parce qu’il existe un lien de parenté avec le magistrat de fond ou l’une des parties, voire que l’expert lui-même est impliqué matériellement ou officiellement dans l’affaire.
  • Les causes relatives ne font l’objet d’une demande de récusation déliant l’expert que si l’autorité publique compétente reconnaît l’application d’un des motifs prévus à l’art. 56 CPP.
  • Relevons encore que les motifs généraux – énoncés sous « autres motifs » (art. 56 let. f CPP) – font référence aux causes pouvant embarrasser un expert[3]. Notamment, lorsque l’expert est adhérent d’une doctrine déterminée, mais contestable, et s’est prononcé en public sur cette opinion, lorsqu’il exerce une fonction au sein de l’autorité pénale, lorsqu’il a été saisi par le passé[4] – par exemple, si il a été le médecin traitant d’une des parties – ou si son rapport a conduit à l’ouverture d’une instruction[5]; lorsqu’il a déjà participé à l’administration des preuves à la cause en tant que partie ou qu’expert privé[6]; lorsqu’il entretient un contact étroit avec un expert préalablement récusé[7] ou toute personne étant personnellement impliquée, le choix du magistrat ne peut pas se porter sur ce spécialiste (art. 56 CPP). A contrario, l’expert qui doit se prononcer sur l’avis d’un collègue travaillant dans le même institut[8], qui a été entendu comme témoin ou qui intervient une deuxième fois en première instance[9], voire est appelé également en deuxième instance[10] n’est pas récusable pour ces motifs. Quant aux fonctionnaires de police, ils peuvent être désignés comme experts à la seule condition de ne pas avoir d’implication personnelle dans l’affaire répressive[11].
  • En conséquence, le motif de récusation importe peu qu’il soit absolu ou relatif, particulier ou général, personnel, affectif ou professionnel, la récusation n’est admissible que si un motif valable – démontrant le parti pris ou l’incapacité du spécialiste – existe, sans quoi la justice serait sérieusement entravée et la société dans son ensemble manquerait de confiance[12]. Si un tel motif existe, l’expert doit l’annoncer en temps utile à la direction de la procédure (art. 57 CPP) pour éviter les conséquences d’annulation et de répétition de l’expertise (art. 60 CPP). Dans l’hypothèse où le spécialiste ne se récuse pas, alors qu’il y a motif, une partie au procès peut en faire la demande sans délai après avoir pris connaissance du motif de récusation (art. 58 CPP) – soit le plus rapidement possible et non pas après avoir pris acte du résultat défavorable de l’expertise ce qui serait contraire à la bonne foi – à la direction de la procédure[13].
  • Une fois saisie d’une annonce ou d’une demande de récusation, la direction de la procédure rend une décision. Dans les cas définis à l’art. 56 let. b à e CPP, la vérification est en principe évidente et ne nécessite pas de formalités supplémentaires (art. 59 al. 1 a contrario CPP), la simple déclaration du motif suffit à destituer l’expert. Au contraire, une décision formelle motivée par écrit (art. 59 al. 1 let. a à d CPP) est nécessaire lorsque le motif de récusation s’appuie sur l’art. 56 let. a ou f CPP. L’autorité admet la récusation en se basant sur l’avis ou sur la requête sans nécessairement entreprendre des mesures probatoires supplémentaires si les motifs sont suffisants et, si tel n’est pas le cas, elle cherche à déterminer si le motif allégué est justifié ou non in casu. En outre, en cas d’opposition de l’expert à sa récusation, une décision formelle doit toujours être prise[14] dans le dessein d’assurer le droit à la motivation des décisions.
  • En sus de la récusation, la mission de l’expert peut s’interrompre suite à la révocation du mandat par la direction de la procédure. Cette possibilité octroyée aux autorités pénales doit servir l’intérêt de la cause à juger, notamment lorsque des doutes grandissant quant à un motif de récusation absolu intervient, lorsque la mission se précise et va au-delà des connaissances professionnelles du spécialiste[15] ou lorsqu’il y a négligence de la part de l’expert (art. 191 CPP).
b. Les conséquences de la récusation et de la révocation
  • Le mandat accréditant la tâche de l’expert désigné n’a pas un caractère définitif et irrévocable. En cas d’acceptation de la récusation ou de révocation, soit l’expert n’entre pas en fonction soit il est destitué et doit cesser sa mission immédiatement. Dans cette seconde circonstance, hormis si la récusation intervient pour négligence (art. 191 let. b CPP) – non-respect des délais ou des obligations –, l’expert reçoit une indemnité pour le dédommager du travail déjà fourni (art. 190 CPP)[16].
  • L’expertise qui a déjà débuté n’est pas nulle de plein droit. Le rapport écrit est en principe écarté du dossier[17], mais le nouvel expert peut continuer l’expertise en se basant sur les travaux du spécialiste récusé. Cependant, la partie qui demande la récusation peut conclure à l’annulation des actes de procédure déjà réalisés nécessitant la répétition de l’expertise (art. 60 al. 1 CPP), exception faite des mesures probatoires non-renouvelables qui peuvent être prises en considération (art. 60 al. 2 CPP). Un délai de seulement cinq jours suivant la connaissance du motif de récusation est prévu pour demander la répétition des actes (art. 60 al. 1 CPP). Andreas Donatsch et Claudine Cavegn estiment cette mesure d’annulation insatisfaisante[18]. Nous sommes du même avis. L’obligation qui est faite à la partie désirant se prévaloir d’un motif d’annulation et de répétition dans un délai de cinq jours nuit à la bonne administration de la justice et à la confiance des parties envers l’expert. Il ne faut pas perdre de vue que ce dernier est désigné exclusivement par la direction de la procédure et que les parties doivent pouvoir s’y fier. Il est donc essentiel qu’elles puissent demander l’annulation et la répétition des actes en cas de besoin. A notre sens, il est recommandé au plaideur de déposer sa demande de récusation dans les cinq jours accompagnée d’une demande d’annulation en cas de besoin. Lors d’un prononcé d’une révocation pour motif impérieux, la crédibilité de l’expertise incomplète étant largement amoindrie, il serait préférable d’aller plus loin en prévoyant la répétition de l’expertise d’office.
  • Au surplus, qu’il s’agisse d’une récusation ou révocation au sens des art. 56 ss, 183 al. 3, 184 al. 5 ou 191 let. b CPP, la conséquence est identique puisqu’elle engendre la nomination d’un nouvel expert.
[1] ATF 120 V 357, 367; BSK-StPO-Heer, art. 183 N 19 ss; Bühler, p. 567; CPP-Commentario-Galliani, Marcellini, art. 185 N 1; Donatsch, Jusletter, n° 8 et 20; Donatsch, Cavegn, SJZ 2007, p. 410; Gillardin, Jadoul, p. 124; Kaufmann, p. 161-163; Moreillon, Parein-Reymond, art. 183 N 13; Pieth, p. 184; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 386; Riklin, Strafprozessordnung, art. 183 N 1; Schmid, Handbuch, p. 386-387. Supra Partie II, Chapitre 1, I, C, 2, n° 467-470.

[2] Message, CPP, p. 1126.

[3] Kaufmann, p. 161; Schmid, Praxiskommentar, art. 56 N 14.

[4] ATF 94 I 417, 425 = JdT 1970 I 383; ATF 124 I 170, 175.

[5] ATF 120 V 357, 365; CourEDH, Affaire Bönisch c. Autriche, arrêt du 06 mai 1985, 8658/79, § 32; CourEDH, Affaire Stoimenov c. L'ex-République yougoslave de Macédoine, arrêt du 05 avril 2007, 17995/02, § 39-40.

[6] ATF 125 II 541, 544-545; Bühler, p. 569; Donatsch, Jusletter, n° 32

[7] ATF 97 I 320, 323-324; ATF 119 Ia 221, 226; ATF 120 Ia 184, 187 = JdT 1996 II 67, 70; Perrier Depeursinge, art. 183, p. 234.

[8] CourEDH, Affaire Brandstetter c. Autriche, arrêt du 28 août 1991, 11170/84, 12876/87 et 13468/87, § 44;  CourEDH, Affaire Mantovanelli c. France, arrêt du 18 mars 1997, 21497/93, § 33; CourEDH, Affaire Sara Lind Eggertsdottir c. Islande, arrêt du 05 juillet 2007, 31930/04, § 47-53.

[9] Donatsch, Jusletter, n° 26; Hauser, Schweri, Hartmann, p. 309.

[10] Donatsch, Jusletter, n° 24; Hauser, Schweri, Hartmann, p. 309; Schmid, Handbuch, p. 386-387.

[11] ATF 122 IV 235, 237-239 = JdT 1998 IV 119, 119-121; Polizeiliche Ermittlung-Armbruster, Vergeres, p. 283; Schmid, Handbuch, p. 388.

[12] Hauser, Schweri, Hartmann, p. 120; Polizeiliche Ermittlung-Voser, p. 82-83.

[13] ATF 119 Ia 221, 227-229 = JdT 1994 IV 190; ATF 128 V 82, 85-86; ATF 132 II 485, 496-497; ATF 134 I 20, 21-22; Hauser, Schweri, Hartmann, p. 119; Kaufmann, p. 163; Perrier Depeursinge, art. 58, p. 75.

[14] Polizeiliche Ermittlung-Voser, p. 85.

[15] BSK-StPO-Heer, art. 184 N 33; Schmid, Handbuch, p. 386.

[16] Message, CPP, 1193.

[17] CR-CPP-Verniory, art. 60 N 1; CR-CPP-Vuille, art. 183 N 31; StPO-Keller, art. 60 N 3.

[18] Donatsch, Cavegn, RPS 2008, p. 171; Donatsch, Cavegn, SJZ 2007, p. 410.

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