T100 – B 2. Le statut juridique de l’expert

a. Les relations entre l’expert et les parties
  • L’expert judiciaire n’étant pas désigné par les parties, il n’existe pas de relation contractuelle entre eux. Par conséquent, aucune partie ne peut se prévaloir des articles 97 ss CO, notamment du droit de révoquer le contrat.
b. Les relations entre l’expert et la direction de la procédure
  • Les relations juridiques entre la direction de la procédure et l’expert sont plus complexes à définir.
  • Le Tribunal fédéral a examiné la qualification des relations juridiques entre l’expert et l’autorité publique[1]. En s’appuyant sur l’avis de plusieurs auteurs de doctrine[2], il a reconnu que l’expert était lié par un rapport de droits et d’obligations similaire au contrat de mandat (art. 394-418v CO)[3] ou au contrat d’entreprise (art. 368 CO) lorsque le résultat de l’expertise est susceptible d’être vérifié selon des critères objectifs[4]. Néanmoins, la Cour a tempéré ses propos en déclarant que les litiges entre l’autorité publique et l’expert n’étaient pas du ressort du droit privé, mais bien du droit public[5].
  • La position du Tribunal fédéral se base à juste titre sur la qualité du mandant. Dans le cadre de l’expertise judiciaire, le mandant est le juge ou toute autre autorité publique compétente qui agit en tant que détenteur de la puissance publique[6].

  • En procédure pénale, la direction de la procédure veille à la bonne administration de la justice et au respect des droits procéduraux. L’expert désigné est un auxiliaire qui veille à aider la direction de la procédure dans l’accomplissement d’une de ses tâches, soit l’établissement des faits.
  • En outre, le statut de l’expert se rapproche de celui du magistrat et de toute personne exerçant une fonction au sein de l’autorité pénale. Il est passible de récusation (art. 56 ss CPP), il peut être l’auteur ou la victime d’un acte de corruption (art. 322ter-322sexties CP), et, étant assimilable à la notion de fonctionnaire (art. 110 al. 3 CP)[7], il est tenu au secret de fonction (art. 320 CP). Ces éléments confirment que l’expert doit être considéré comme un agent public ayant une relation de droit public avec la direction de la procédure.
  • Il reste encore à déterminer de quel type d’acte il s’agit. D’après Pierre Moor et Etienne Poltier[8] ainsi que Thierry Tanquerel[9], l’Etat peut créer un lien juridique, notamment par une décision, un contrat de droit administratif ou un contrat de droit privé[10]. Ce dernier type d’acte n’entre pas en considération puisque les rapports entre l’expert et l’autorité pénale sont de droit public.
  • Bernard Bertossa[11] considère qu’il s’agirait plutôt d’un contrat de droit administratif puisque l’expert doit effectuer une tâche publique en sa qualité d’auxiliaire de la justice niant toutefois l’importance du rapport de subordination[12]. Néanmoins, cet auteur émet des doutes sur la qualification de contrat dès lors que l’expert, ne pouvant pas refuser sa mission, ne bénéficie pas d’une autonomie de sa volonté, requise dans le cadre d’un contrat[13]. Pierre Moor et Etienne Poltier définisse la décision administrative lorsque les droits et devoirs du tiers sont formulés abstraitements[14], ce qui est le cas lors de la nomination d’un expert. A notre avis, l’activité de l’expert judiciaire étant réglée exclusivement dans une loi, ce qui ne laisse aucune place à la négociation des prestations, il semble que son activité relève plus d’un contrat administratif au quel s’applique les règle du mandat ou d’entreprise[15].
  • En tant qu’auxiliaire de la justice désigné par la direction de la procédure, l’expert est responsable de l’exécution de son travail et de sa conformité avec les règles de l’art. Il répond seul de la mauvaise réalisation de l’expertise ou des erreurs qu’il a pu commettre. Mentionnons encore que le spécialiste peut engager sa responsabilité pénale – commission des infractions prévues aux articles 307, 320, 322quater et 322sexties CP – ou civile pour acte illicite[16].
  • En revanche, l’expert ne doit pas fidélité au juge, bien au contraire. L’expert ne travaille pas pour le juge, mais pour la justice en collaborant uniquement à la recherche de la vérité matérielle[17].

 

[1] ATF 114 Ia 461, 464 = JdT 1990 I 182, 185; ATF 127 III 328, 330 = JdT 2001 I 254, 256-257; ATF 134 I 159, 160.

[2] Gautschi, art. 394 N 34b; Knapp, p. 538.

[3] ATF 114 Ia 461, 464= JdT 1990 I 182, 185; ATF 134 I 159, 164.

[4] ATF 127 III 328, 330 = JdT 2001 I 254, 256-257; RJN 2007 126, 132.

[5] ATF 134 I 159, 165 = JdT 1990 I 182, 185; ATF 134 I 159, 163; Pitteloud, p. 279.

[6] ATF 114 Ia 461, 464= JdT 1990 I 182, 185; ATF 134 I 159, 164; Gautschi, art. 394 N 34b; Knapp, p. 538.

[7] ATF 125 II 541, 544; TF 1P.787/2005 du 6 juin 2006, c. 1.7; Hauser, Schweri, Hartman, p. 310; Schmid, Praxiskommentar, art. 184 N 11 et 13-14; StPO-Donatsch, art. 184 N 29.

[8] Moor, Poltier, p. 421.

[9] Tanquerel, p. 234-235.

[10] Moor, Poltier, p. 421; Tanquerel, p. 234-235; Wiederkehr, Richli, p. 791, 1006 et 1034.

[11] Bertossa, p. 399.

[12] Contra ATF 102 II 57.

[13] Bertossa, p. 398.

[14] Moor, Poltier, p. 424-426.

[15] Perrier Depeursinge, art. 184, p. 235-236; StPO-Donatsch, art. 182, N 12.

[16] Bettex, p. 281-288; StPO-Donatsch, art. 185 N 9.

[17] Bühler, p. 567; CR-CPP-Vuille, art. 182 N 1; Donatsch, Kriminalistik 2007, p. 568; Hauser, Schweri, Hartmann, p. 310; Kaufmann, p. 220; Oberholzer, Strafprozessrechts, p. 293; Perrier Depeursinge, art. 183, p. 234; Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, p. 503; Rassat, p. 42; Zwiehoff, p. 16.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *